Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°152
10 mai 2007

Sommaire :
La victoire de Sarkozy ou la victoire du populisme


La victoire de Sarkozy
ou la victoire du populisme

Sarkozy est à peine élu qu'une une nouvelle campagne s'engage en vue des législatives : celle de la " droite décomplexée ". Le Figaro vante " l'affirmation du peuple de droite " en se félicitant que " non seulement la droite se maintient au pouvoir, mais elle a gagné sur une orientation plus à droite que jamais ". La voilà donc qui mène sa campagne pour convaincre du vote d'adhésion à sa politique, soulignant à l'image de Fillon que la forte participation est " la porte qui permet de sortir de la crise de confiance qui ankylose la France depuis si longtemps ".
Voilà étalés toute la démagogie et le populisme de cette campagne qui a bluffé et aveuglé des esprits en plein désarroi au point que des salariés puissent imaginer que Sarkozy les a compris… depuis son yacht de 60 m au large de Malte prêté par le milliardaire Bolloré ! Provocation qui est bien un geste politique de celui qui prétendait parler au nom de " la France qui se lève tôt " ! Geste de mépris à l'égard de ceux qu'il a dupés dans la logique même du personnage qui annonce la couleur. Malheur à ceux qui se laissent duper…
Face à tout cela, bien des militants, des salariés, des jeunes, expriment leur profonde inquiétude ainsi que leur besoin de comprendre comment on en est arrivé là. Par-delà le miroir déformant des institutions et des élections, il nous faut comprendre les raisons de la victoire de Sarkozy pour dégager les enseignements politiques nécessaires à la construction d'un réel parti des luttes, pour organiser les résistances et avancer une perspective politique de transformation sociale.

Du 5 mai 2002 au 6 mai 2007, la montée du populisme
Dès son premier discours, Sarkozy a repris la pose de la rupture : " Le peuple français a choisi de rompre avec les idées, les habitudes et les comportements du passé (…) Je veux réhabiliter le travail, l'autorité, la morale, le respect, le mérite ".
Et de fait, une page est tournée, c'est la fin de la période Chirac marquée par la cohabitation droite-gauche qui avait abouti au 21 avril 2002.
Mais cette rupture de Sarkozy s'inscrit également dans une continuité, celle du 5 mai 2002 et du score de 80 % de Chirac, les premiers pas de cette droite populiste.
Par l'usurpation du 5 mai, Chirac a incarné cette confusion droite-gauche qui s'est retrouvée dans " la France d'en bas " de Raffarin. C'est au nom de " l'esprit de mai " au-dessus de ces mêmes clivages droite-gauche que ce dernier a mené ses contre-réformes sur les retraites et la Sécu, en associant les directions syndicales conciliantes à son " dialogue social " de dupes. C'est de la base qu'est venue la contestation de cette politique, lors des mouvements de 2003, comme lors du CPE.
Ce populisme a préparé le terrain de la droite extrême de Sarkozy qui a mené une campagne politique au service du Medef et de la bourgeoisie qui réclame plus d'attaques contre le monde du travail et plus de privilèges dans cette période de mondialisation.
Alliant refrain du Medef et fausse compassion pour les ouvriers, Sarkozy s'est adressé aux électeurs de gauche, aux salariés, avec les références à Jaurès, à " la France exaspérée ". Il s'est présenté comme le candidat du travail, avec tous les relents du patron paternaliste et un objectif : " Une droite moderne et une droite équilibrée, qui n'hésite pas à aller chercher des catégories qui n'ont jamais voté pour elle ".
Dans cette recherche de nouvelles catégories, il a également rallié les voix de l'extrême droite par ses appels réactionnaires sur le terrain de " l'identité nationale " ou sa haine de mai 68. De fait, le FN est affaibli à la fois par son score du premier tour et par le fait que son propre électorat n'ait pas suivi la consigne d'abstention de Le Pen. Sarkozy se vante maintenant d'avoir récupéré les voix de Le Pen dans le " giron de la République ", mais c'est surtout l'expression d'une évolution réactionnaire de la droite qu'il a tenu à réaffirmer dans son premier discours : " Je veux remettre à l'honneur la nation et l'identité nationale (...). Je veux en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi " !
Mais au-delà du culot du personnage, le fait marquant de ces élections tient aussi à l'incapacité de la gauche à révéler ce populisme et cette démagogie, à disputer l'influence d'une partie de l'électorat populaire à Sarkozy qui flatte les ressentiments et les rancoeurs au profit d'une infime minorité de privilégiés. En cela, la gauche a démontré sa propre faiblesse et son incapacité à se remettre du 5 mai 2002.


La force de Sarkozy, les capitulations de la gauche
Face à Sarkozy, Royal n'a su opposer que la morale, parlant de " l'ordre juste " ou du " juste salaire ", quand lui se penchait cyniquement sur ces salariés qui ne gagnent pas assez pour vivre et qu'il veut surtout faire travailler davantage !
Responsable vis-à-vis de la bourgeoisie, Royal s'est présentée comme la candidate de la " réforme pacifiée ", c'est-à-dire de ces mêmes réformes nécessaires aux affaires de la bourgeoisie à l'heure de la mondialisation. Lors du débat avec Sarkozy, elle a repris d'ailleurs la " remise à plat " des 35 heures ou des retraites et des régimes spéciaux… en concertation avec les " partenaires sociaux " ! Refrain usé et connu.
Royal n'a que des vœux pieux à formuler, en déclarant que " le but ultime du profit, ce doit être le progrès humain ". Sur le fond, elle défend la même " valeur travail " que Sarkozy, la " réconciliation des Français avec le monde de l'entreprise ".
La gauche est incapable de se remettre du vote Chirac révélant à quel point on ne peut pas impunément voter pour un adversaire et lui donner les pleins pouvoirs…
Passé le deuxième tour, le PS poursuit sa mutation. Il lui faut adapter son idéologie, sa politique aux nécessités et contraintes de la mondialisation capitaliste. Cela signifie pour lui devenir un parti pendant du parti de droite, en s'appuyant sur la logique bipartiste des institutions. Royal appelle à " refonder " : " Vous pouvez compter sur moi pour approfondir la rénovation de la gauche et la recherche de nouvelles convergences au-delà de ses frontières actuelles " dit-elle en regardant vers Bayrou pour les législatives. Sur ce terrain, les rivalités et les ambitions ne manquent pas à l'image de Strauss-Kahn qui déclare juste après : " La rénovation sociale-démocrate que j'ai initiée ne l'a pas encore emporté dans le camp socialiste. Il faut maintenant mettre en oeuvre ce renouveau, c'est la condition de l'espoir et moi je suis disponible pour cela ".
Fort de ces capitulations de la gauche, Sarkozy et la droite vont maintenant mettre en œuvre leur politique au service de la bourgeoisie contre ceux dont il a réussi à capter le désarroi par son culot, sa démagogie et son cynisme. Parisot s'est déjà empressée de le féliciter, déclarant s'engager " avec responsabilité et enthousiasme à l'écriture de la nouvelle page qui s'ouvre ". Et Sarkozy annonce la mise en place de mesures dès juillet prochain, comme la suppression des charges sociales et des impôts sur les heures supplémentaires.
Face à la victoire de la droite, certains comme le PC parlent maintenant de " véritable catastrophe politique " en appelant au rassemblement de toute la gauche. Déstabilisé, le PC n'a pas d'autre politique que de lancer des appels impuissants au PS… qui regarde sur sa droite.
Se faisant, le PC révèle à quel point il n'a rien appris, ni compris. En 2002, Marie Georges Buffet expliquait : " Si c'est cette France, la France citoyenne qui bat Le Pen le 5 mai prochain, Chirac risque bien de ne pas connaître l'état de grâce, d'être obligé de faire profil bas. Quelque part, c'est aussi lui qu'on aura battu ". Quel brutal démenti pour ceux qui disaient avoir gagné le 5 mai 2002 et qui croyaient que l'on pouvait voter pour la droite sans la renforcer ! La faillite des marchands d'illusions.


Face à la droite et au Medef, construire un parti des luttes
La vraie réponse viendra des résistances. Une page est tournée, il nous faut tirer les enseignements des politiques faillies qui ont conduit à une telle débâcle de la gauche. Cette débâcle, l'effondrement du PC, fait de la nécessité de fonder un nouveau parti la préoccupation politique essentielle pour l'ensemble des militants du mouvement ouvrier, un parti qui rompe avec la gauche gouvernementale, réformiste pour s'affirmer comme le parti des luttes, sur des bases clairement anticapitalistes, sur le terrain où les opprimés peuvent peser réellement.
Affirmer cette perspective comme une tâche immédiate suppose de ne pas confondre la débâcle de la gauche institutionnelle, sa faillite avec une défaite du monde du travail.
La logique institutionnelle donne un reflet déformé de l'opinion par la pression du vote utile. Le raz-de-marée UMP qui se prépare pour les législatives ne supprimera pas les éléments de crise, les contradictions auxquels la droite devra faire face. La victoire de la droite ouvre la voie à une nouvelle offensive contre le monde du travail. Sarkozy entend profiter de l'avantage que lui a donné sa capacité à profiter des capitulations de la gauche pour l'affaiblir encore plus, mais il n'est pas écrit que l'imposture résiste à l'épreuve des faits. Ainsi, apôtre du libéralisme, il a dû faire sa campagne sous le signe de " l'Etat protecteur ". Ses propres démagogies peuvent tout autant se retourner contre lui.
La participation massive au premier comme au deuxième tour semble donner raison à tous ceux qui prétendent que la crise du 21 avril est résorbée, que la rupture entre les partis de gouvernement et les classes populaires est une histoire du passé, mais ils se trompent. Cette évolution, cette rupture n'est pas un phénomène linéaire. Elle obéit à des contradictions inhérentes au fait que dans le même temps que les consciences s'émancipent, elles ne voient pas encore comment agir hors du cadre des institutions. D'où la participation importante qui exprime surtout une politisation nouvelle, dans un contexte nouveau et qui offre d'importantes possibilités à ceux qui ne confondront pas l'écume et le fond.
La tendance générale va vers un approfondissement de la rupture qui s'était manifestée le 21 avril. Mais faut-il encore qu'il y ait une force politique qui l'exprime, milite pour cela en offrant une perspective. Sinon, le populisme évoluant de plus en plus à droite pourrait muer vers un régime ayant des traits de plus en plus réactionnaires, répressifs, antidémocratiques.
Cette évolution n'est ni écrite ni achevée.
Elle dépend de nous, de nos capacités à assumer nos responsabilités pour ouvrir la perspective de la construction d'un nouveau parti des travailleurs. Elle dépend de notre capacité à surmonter les démoralisations, les incompréhensions pour expliquer, convaincre, entraîner.
Tout au long de la campagne, les résistances des travailleurs ont été nombreuses. Nous avons su à travers la campagne d'Olivier, comme Arlette l'a fait elle aussi, les exprimer, défendre les exigences du monde du travail, tracer des perspectives.
Il nous faut unir les forces des anticapitalistes pour amplifier ce travail, surmonter les scepticismes, les découragements, garder l'offensive.
Les ruptures avec les partis institutionnels qui servent la bourgeoisie et sa politique se poursuivent. Les effets dévastateurs de la mondialisation s'accentuent, la droite populiste est bien incapable d'apporter la moindre réponse aux problèmes posés. La nécessité d'agir pour unir les forces autour d'un parti des luttes, populaire, anticapitaliste et révolutionnaire, en tirant les leçons de la période qui s'achève, devient impérieuse.
Notre méthode, c'est savoir agir politiquement avec nos armes de classes et sur notre terrain, en utilisant les institutions, en utilisant et défendant les acquis démocratiques.
Le parti que nous voulons construire porte en lui la contestation même du système. Il s'agit d'armer les consciences de ceux qui veulent résister d'une perspective politique de transformation sociale et révolutionnaire, affranchie de toutes les illusions cultivées par la gauche, aujourd'hui libérale et vaincue par ses propres capitulations…

Denis Seillat