Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°154
24 mai 2007

Sommaire :
Face à l'offensive de la droite libérale, à l'effondrement du PC et aux capitulations de la gauche, la question d'un nouveau parti du monde du travail est posée


Face à l'offensive de la droite libérale,
à l'effondrement du PC et aux capitulations de la gauche,
la question d'un nouveau parti du monde du travail est posée

Sûre de confirmer et d'amplifier aux législatives sa victoire à la présidentielle, la droite libérale affiche sa confiance, sa bonne humeur, sa décontraction. La droite " décomplexée " se déboutonne, fait du jogging et se lance joyeusement dans ses projets de " réformes ". Moderne, nous dit-on ! Même le bon élève Fillon sort de sa réserve, devient chef de la bataille et se lance dans sa réforme fiscale et annonce son calendrier mettant au pied du mur les confédérations syndicales.
Les choses sont claires, ceux qui ont pu être abusés par les faux-semblants de Sarkozy découvrant la France qui travaille sont contraints de voir les choses en face : Sarkozy est bien le président des riches et des privilégiés, l'homme du Medef.
Cela ne veut pas dire qu'il recherchera nécessairement l'affrontement, qu'il en ait même besoin pour imposer sa politique.
Une idée revient souvent, celle de comparer Sarkozy à Thatcher. Certes, l'un et l'autre sont de droite, au service de leur classe mais la comparaison ne va pas plus loin.
Dans les années 80, Thatcher a apporté des réponses aux problèmes de la bourgeoisie anglaise au début de la mondialisation financière. Ces problèmes n'étaient pas les mêmes que ceux de la bourgeoisie française. A la même époque, c'est Mitterrand qui a apporté des débuts de solution à ces derniers en prenant le PC dans son premier gouvernement, c'est-à-dire en l'associant à la mise en place du dispositif politique grâce auquel la bourgeoisie allait entamer son offensive contre le monde du travail. Jospin a pris le relais à partir de 97 jusqu'à 2002. Mitterrand puis Jospin ont fait leur travail, paralyser le PC, le prendre au piège de ses propres contradictions pour ruiner son influence tant électorale que militante. Ce faisant, le PS a ruiné sa propre influence. Le PS, Mitterrand l'avait reconstruit, en 1971, au congrès d'Epinay dans la cadre de la politique d'union de la gauche. Il tirait sa force du fait qu'il était capable de laisser miroiter l'illusion d'une alliance avec le PC pour changer la vie. En usant le PC au pouvoir pour mieux l'affaiblir et désarmer les travailleurs il a, du même mouvement, ruiné sa propre influence en ruinant toute illusion en un possible changement par les voies parlementaires.
Il a doublement préparé le terrain à la droite : en réconciliant la gauche avec le capitalisme, les profits, la bourse et le marché et en préparant la crise du seul grand parti qui restait, même de façon caricaturale, l'expression déformée des aspirations de la classe ouvrière à changer le monde.
La droite n'a eu qu'à accompagner l'effondrement de la gauche en la prenant au piège de ses propres contradictions dans le cadre de la cohabitation. Jusqu'en 2002 et au vote Chirac.
Sarkozy a su mouler ses ambitions dans ce cadre pour poursuivre jusqu'à son terme cette politique visant à en finir avec le PC et à vider le PS de toute consistance politique. Ce dernier, prisonnier de sa propre histoire depuis 1971, le congrès d'Epinay qui vit Mitterrand réussir son OPA sur lui, n'a pas su accomplir sa propre mue pour devenir un parti libéral " sans complexe ", selon l'expression à la mode. Il n'a pas su se défaire de toute " idéologie " pour s'adapter à la gestion pragmatique des affaires des classes dirigeantes et de la société dans le cadre de la mondialisation capitaliste.
Sarkozy a su faire d'un libéralisme sans limite son programme tout en allant sur le terrain de la gauche. Il a été le Blair de la droite bien plus que son Thatcher.
Loin d'être un Bonaparte comme certains analystes se plaisent à le présenter, loin de s'élever au-dessus d'un équilibre de forces antagonistes, il domine sur les ruines de la gauche, de ses capitulations, de l'adaptation des directions des organisations syndicales à la politique du patronat.
Essayer de comprendre les logiques politiques qui ont conduit à la victoire de Sarkozy est indispensable si nous voulons en tirer les enseignements, en dégager les éléments contradictoires pour pouvoir agir, expliquer autour de nous, préparer une contre-offensive du monde du travail.
Les visions manichéennes des choses paralysent et surtout la dramatisation de la victoire de la droite, en dehors de toute explication des mécanismes politiques qui l'ont permise, ferme les yeux sur l'essentiel : les capitulations de la gauche et l'effondrement du PC.
Les dramatisations idéalisent le passé pour noircir l'avenir sans voir les possibilités de renaissance du mouvement ouvrier dans les contradictions à l'œuvre entre l'effondrement de la gauche et la montée du populisme de la droite libérale alors que la classe ouvrière garde ses forces intactes. Elles sont l'expression d'un mode de pensée prisonnier d'une vision binaire de la politique structurée par l'opposition gauche-droite au lieu d'analyser la vie politique à travers les contradictions de la lutte de classe.
Les révolutionnaires ont depuis longtemps, depuis Marx, décrété la " fin des idéologies " pour adopter le point de vue du pragmatisme de classe, le pragmatisme de la défense des intérêts des opprimés, le pragmatisme de la lutte pour l'émancipation.
Le PC a abandonné, il y a longtemps, ce pragmatisme de la lutte révolutionnaire pour se faire le chantre de l'idéologie mystificatrice du totalitarisme stalinien. Tout comme le PS avant lui s'était fait le chantre de l'idéologie mystificatrice du réformisme parlementaire.
Malgré leurs reniements, leurs trahisons, le PC mais aussi le PS ont été, avec les organisations syndicales, les canaux par lesquels les exploités ont pu exercer d'une certaine façon leur pression sur l'Etat et les classes dominantes. Mais l'un comme l'autre n'avaient d'autre horizon que la société capitaliste elle-même. C'est cette contradiction qui les minait de l'intérieur, le PS étant incapable de faire sa mue libérale jusqu'au bout et le PC sa mue révolutionnaire.
Leur défaite n'est pas celle de la classe ouvrière même si, bien évidemment, la bourgeoisie a marqué un nouveau point. Elle peut même être le point de départ d'un renouveau du mouvement ouvrier. C'est un fait, il ne sert plus à rien de le regretter. La renaissance du mouvement d'émancipation à un niveau de masse exigeait la fin des vieilles forces issues de ses premières phases d'essor, la social-démocratie et le Parti communiste, tous deux ayant failli.
Une page est tournée, une nouvelle phase commence. Et de ce point de vue les possibilités sont riches. Les mettre en évidence suppose de dégager notre regard du passé pour imaginer l'avenir que nous voulons construire.
Oui, aujourd'hui, les bases d'un nouveau parti pour les luttes d'émancipation existent.
Les scores de l'extrême-gauche depuis 95, LO et la LCR, en sont l'expression.
Aujourd'hui, malgré les reculs, les échecs, les travailleurs et la jeunesse développent une activité militante plus indépendante des partis intégrés à l'ordre bourgeois voire en rupture avec ces partis. Bien évidemment le recul est là mais les jeunes générations frappent à la porte, la génération anti-CPE se politise, discute, cherche des réponses, des moyens d'agir.
La rupture que représente la victoire de Sarkozy, ce qu'elle révèle des partis de l'ex-gauche plurielle a un effet accélérateur de ces évolutions. Elle provoque la révolte, l'envie d'agir, non la résignation et la démoralisation comme les capitulations de la gauche le firent à la fin des années 80 et au début des années 90.
Pour ces nouvelles générations, pour les travailleurs qui veulent agir, défendre leurs intérêts, la nécessité de construire un nouveau parti s'impose. Cette préoccupation n'est plus le seul souci d'une minorité mais devient une discussion large et publique.
Les révolutionnaires sont au cœur de ce débat non pour apporter un modèle tout fait, faire la leçon, voire la morale, mais pour formuler une politique, un programme qui expriment l'ensemble des évolutions en cours.
Nous ne sommes pas des idéologues de l'utopie mais des militants pragmatiques de la lutte de classe.
Nous sommes partie prenante de ce mouvement qui s'ébauche pour un nouveau parti des luttes, de la jeunesse en rupture avec la gauche faillie. Nous voulons travailler à l'unité des anticapitalistes. Nous ne voulons pas refonder la gauche mais participer à la construction du parti de l'émancipation des travailleurs par eux-mêmes.
Les élections législatives de juin sont pour nous une nouvelle étape vers le regroupement des anticapitalistes. De ce point de vue, le refus de Lutte ouvrière de toute idée d'unité, si ce n'est en Haute-Savoie, est contraire à l'intérêt du mouvement révolutionnaire.

Yvan Lemaitre