Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°155
31 mai 2007

Sommaire :
Rien ne légitime les attaques de Sarkozy-Fillon contre les travailleurs. Préparons une riposte d'ensemble


Rien ne légitime les attaques
de Sarkozy-Fillon contre les travailleurs
Préparons une riposte d'ensemble

 

Le 29 mai au Havre, Sarkozy est monté au créneau dans la campagne des législatives. " Je vous demande de me donner la majorité dont j'ai besoin pour gouverner " a-t-il déclaré en dénonçant la période précédente de la cohabitation " avec son cortège de conflits larvés et de paralysie ".
Il veut élargir sa majorité pour aller " le plus loin possible dans la réforme ", pour mener sa politique au service des classes dominantes en étouffant toute contestation au nom de sa prétendue légitimité électorale.
La logique même de l'élection présidentielle est fort utile aux classes dominantes par son caractère plébiscitaire. Cette démocratie tronquée, réduite de fait aux grands partis institutionnels moulés dans l'appareil d'Etat et soumise au pouvoir de l'argent, permet de prétendre couvrir d'une légitimité populaire une politique anti-populaire. Et c'est au nom de cette " légitimité " que Sarkozy tente maintenant d'étouffer les exigences des salariés, lui qui a utilisé toutes les démagogies pour s'attirer les voix de l'électorat de gauche jusqu'à l'extrême droite.
Il pousse l'avantage en faisant exploser le PS avec son gouvernement " d'ouverture " et sa posture populiste au-dessus des clivages droite-gauche à la Bayrou. Face à cette politique, le PS s'avère incapable de résister, tétanisé, et trouve même de biens curieuses argumentations en invitant Sarkozy à… tenir ses promesses. " Je veux qu'avant le premier tour des législatives des décisions concrètes soient prises pour que les engagements pris soient rapidement tenus et qu'on voit que ces engagements soient traduits dans l'action ", explique Royal en rajoutant : " j'ai toujours crû à la politique par la preuve, donc je jugerai et nous jugerons sur les actes " ! Quelle franche opposition… qui révèle à quel point le populisme de Sarkozy prend racine dans les convergences bien réelles entre les partis institutionnels de droite comme de gauche.
Fort de ce rapport de force politique et de l'effondrement de la gauche, Sarkozy et Fillon se méfient cependant des réactions des salariés et, loin de chercher l'affrontement, ils cherchent à circonvenir les directions syndicales pour mieux les mettre à genou devant leur toute nouvelle " légitimité ". Cette politique, ils la mènent à nouveau à travers le " dialogue social ", dans le but de paralyser et de désarmer le monde du travail dont ils craignent les réactions, d'autant que bien des luttes se sont invitées lors de la campagne électorale.

Le " dialogue social " contre le monde du travail
Le 14 et 15 mai, Sarkozy a rapidement reçu les principales organisations syndicales qui se sont dites rassurées, à l'image de Thibault déclarant : " Il n'y aura pas de passage en force sur les dossiers sociaux ". Chérèque s'est même félicité de cette " première ", pressé sans doute de jouer son rôle vis-à-vis de Fillon qui appelle les syndicats à constituer un " pôle réformiste ".
Le 23 mai, Fillon annonçait la couleur avec son calendrier des " 100 jours ". Dès cet été, il veut mettre en place la détaxation fiscale et sociale des heures supplémentaires, un cadeau de plus au patronat qui constitue une atteinte à la part du salaire destinée à la protection sociale. La loi sur le service minimum est prévue pour début septembre, et pour ce qui est du " dialogue ", il précise : " Ce n'est pas à prendre ou à laisser. Si les organisations syndicales nous font une autre proposition, il n'y aura pas de loi ". En clair, il renvoie aux organisations syndicales elles-mêmes la mise en place de systèmes " d'alerte sociale " destinés à limiter les grèves. Quant au " contrat unique ", cette remise en cause du CDI pour faciliter les licenciements, il devra être négocié par les " partenaires sociaux " jusqu'à la fin de l'année. Le gouvernement prévoit même une conférence avec ces mêmes " partenaires " sur la " sécurisation des parcours professionnels " et la " flexisécurité " dès la rentrée.
Histoire d'enfoncer le clou vis-à-vis des organisations syndicales, Fillon déclarait le même jour : " la majorité silencieuse, qui en a assez de voir qu'une minorité est capable de tout enrayer, a désormais pris la parole. Maintenant, c'est elle qu'on va écouter ! Et maintenant, c'est elle qui va décider ".
Suite à l'annonce de ces " 100 jours ", il n'y a eu qu'une timide protestation des directions syndicales se cantonnant à la question du calendrier et n'osant même pas dénoncer l'illégitimité de toutes ces mesures. Reprenant à leur compte la loi sur la " modernisation du dialogue social " de janvier 2007, elles se contentent d'en appeler à la concertation des " partenaires sociaux " (comprenant également le patronat), sans chercher à préparer d'ores et déjà la riposte face aux mauvais coups du gouvernement.
Du coup, dès que Sarkozy a reproposé des rencontres, en annonçant sa loi-cadre sur le service minimum dans les transports, les directions syndicales ont accouru. Cette loi est une arme politique destinée à contester la légitimité de la lutte et de la grève, tout en renvoyant les négociations dans chaque entreprise. Mais visiblement, cela ne gêne en rien les directions syndicales, à l'image de Mailly rassuré par le fait que Sarkozy semble " prêt à laisser les partenaires sociaux négocier dans les entreprises ". Thibault s'est dit quant à lui " vigilant "... " Dès lors que le président de la République nous dit son intention de ne pas vouloir remettre en cause le droit de grève et qu'il n'y a aucune raison de lui faire des procès d'intention, on va essayer de le suivre (…) L'avenir nous dira si nous allons vers une compréhension ou une incompréhension sur ce sujet " !
Les directions syndicales se retrouvent sans force, incapables de préparer la riposte tellement elles sont engluées dans cette politique du " dialogue social ", dominées politiquement par l'adversaire.
En parallèle d'ailleurs, la plupart d'entre elles sont aussi embarquées dans la " délibération sociale " de Parisot depuis octobre dernier, la CGT y siégeant en tant qu' " observateur ". L'objectif du Medef est pourtant très clair : obtenir un " diagnostic partagé " sur la " remise à plat du régime d'assurance-chômage, du contrat de travail et de la sécurisation des parcours professionnels ".
Les directions syndicales n'ont rien à faire dans ces simulacres de concertations et de négociations où il s'agit de négocier… ce qui a été déjà décidé. Ce jeu de dupes de la " concertation des partenaires sociaux " auquel se prêtent complaisamment les confédérations ne vise qu'à contenir la colère du monde travail. Leur rôle est, à l'opposé, de montrer à la grande masse des salariés les objectifs du patronat et de Sarkozy, d'armer la révolte et les luttes, d'appeler à la mobilisation… Faire semblant de ne pas comprendre relève de la complicité.
Face à l'offensive du gouvernement, il s'agit de préparer une riposte d'ensemble par une politique donnant confiance dans les possibilités de la lutte. Ce " 3ème tour social ", les directions syndicales n'en veulent pas, respectueuses qu'elles sont du cadre des institutions et de l'Etat. Elles sont impuissantes parce que, comme le PS, elles n'ont comme seul horizon le capitalisme et ses institutions.
Pour préparer les luttes, il faut au contraire avoir l'esprit libre des illusions électorales, contester la légitimité même du capitalisme, de la domination de la propriété privée et des institutions qui la protégent et la servent. Il faut opposer à la légitimité des classes dominantes et de la propriété privée capitaliste celle du monde du travail et de la propriété collective communiste, avenir de l'humanité. Il nous faut reconstruire au sein du monde du travail, à travers la lutte sociale et politique, une nouvelle lucidité, une conscience de classe qui rompe avec tous les " diagnostics partagés ". Cette tâche est avant tout une politique, démocratique, révolutionnaire.

Pour préparer la riposte, construire un parti des luttes
Le problème de l'adaptation des directions syndicales n'est pas une question morale hors de la situation. Elle est le pendant de l'effondrement de la gauche devenue social-libérale et traduit cette incapacité des appareils intégrés à l'Etat à s'opposer à l'offensive du capitalisme dans cette période de mondialisation. Dominées par leur conformisme, les directions syndicales s'avèrent incapables de dénoncer cette prétendue " légitimité " de Sarkozy.
Mais les intérêts sociaux de la classe qu'il défend sont au contraire illégitimes car ils reposent sur l'exploitation du travail de l'immense majorité par une minorité de privilégiés. Face à cela, il nous faut défendre toute la légitimité de la lutte, des revendications du monde du travail face au parasitisme des actionnaires. Sans cela, il ne peut y avoir de lutte d'ensemble capable d'inverser le rapport de force.
Pour mener cette lutte politique et d'opinion, il y a besoin de construire un parti des luttes, au cœur du monde du travail et de ses mobilisations, capable de formuler une politique qui s'appuie sur les armes collectives des salariés : la grève, la pression politique sur les institutions, etc. et qui porte en même temps un projet de transformation sociale radical face au capitalisme.
Au sein des syndicats, en en respectant le cadre, il s'agit de défendre une politique pour la généralisation des luttes en regroupant des réseaux militants, en faisant tomber les barrières de boutiques, en regroupant les forces pour donner confiance dans la lutte. Ces équipes militantes qui ont envie de se battre, sont celles qui se regroupaient en 2003 dans les collectifs interprofessionnels ou lors du CPE en faisant pour certains l'expérience d'aller au contact de la jeunesse.
Pour beaucoup de ces militants, le " non " au referendum a également relancé l'intérêt pour la politique, avec en même temps l'illusion toujours présente de pouvoir inverser le cours des choses par un simple bulletin de vote. Aujourd'hui, ces illusions tombent avec l'effondrement de la gauche qui se convertit elle aussi au populisme et au dépassement des clivages droite-gauche.
C'est à la lumière de ces clarifications et de ces expériences qu'il nous faut discuter de politique, au travers des revendications, des exigences du monde du travail et de comment les imposer. L'interdiction des licenciements, les 300 € pour tous, pas de salaire à moins de 1500 € net, et surtout le contrôle indispensable du monde du travail sur la marche de toute la société, posent en même temps le problème de la construction d'un parti anticapitaliste qui défende les intérêts du monde du travail jusqu'au bout.
Le besoin de ne pas subir les pleins pouvoirs de la droite, la révolte face à l'impuissance, à la soumission, à la complicité des directions syndicales comme du PS poussent de nombreux militants, jeunes, travailleurs à chercher des réponses, une issue, les moyens d'agir. Il nous faut aider ses volontés à forger les armes de la riposte à travers la discussion pour reconstruire une conscience de classe, formuler une politique pour mobiliser, organiser à travers les résistances quotidiennes, les luttes, la vie syndicale, les débats politiques.
Le mouvement ouvrier, politique et syndical, s'engage dans une véritable renaissance. Il ne part pas de rien, loin s'en faut, il a des forces immenses, l'essentiel est qu'il gagne, qu'il conquière sa liberté de pensée et d'action, son indépendance et sa liberté de classe face à un adversaire dont l'illégitimité a été largement et cruellement démontrée.

Denis Seillat