Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°162
19 juillet 2007

Sommaire :
Face aux attaques du gouvernement, les syndicats reculent, discutons des moyens de préparer la riposte


Face aux attaques du gouvernement,
les syndicats reculent,
discutons des moyens de préparer la riposte

A peine la loi sur le service minimum dans les transports en discussion au Sénat, Fillon vient d'annoncer sa volonté d'étendre les mêmes dispositions dans l'Education Nationale. Il montre bien ainsi la volonté du gouvernement de s'appuyer sur chaque point marqué pour aller plus avant dans ses attaques. Il mène une offensive politique dénonçant les syndicats comme des organisations catégorielles face à l'Etat et au gouvernement qui représenteraient l'intérêt général.
En s'attaquant au droit de grève, patronat et gouvernement remettent en fait en cause le droit démocratique des salariés, ceux qui font tourner toute la société, d'intervenir, de faire l'opinion, de faire pression contre la minorité de parasites qui détruisent les services publics et appauvrissent toute la population. Le droit de grève, c'est le droit de défendre les intérêts de la collectivité contre ceux de la minorité qui détient les rênes de l'économie.
Cela les directions syndicales n'osent ni ne veulent le dire. Et elles mêmes se laissent prendre au piège du corporatisme face à Fillon qui se paye le luxe de jouer les défenseurs de l'intérêt public !
Paralysées, restant sur le terrain de la " nécessité des réformes ", elles en sont réduites à faire semblant de discuter, accréditant les mensonges du gouvernement comme s'il s'agissait vraiment d'améliorer le service public, de protéger les usagers, alors que l'on annonce la suppression de milliers de postes.
Et si la CGT dénonce bien, par tract, l'attaque contre le droit de grève, elle réagit bien tardivement et son appel à rassemblements, dans les grandes villes, le 31 juillet, risque de rester bien symbolique. Quant à Gérard Aschiéri, secrétaire de la FSU, il se demande si on ne cherche pas à " restreindre l'expression même du droit de grève. Je pense, malheureusement, que nous sommes dans (ce) cas de figure ". Les syndicats enseignants, réunis en urgence, vu le tollé soulevé chez les enseignants, n'ont pu que remettre à septembre la décision d'un mouvement de grève.
Cette passivité des directions syndicales qui laissent l'initiative à la droite jette le trouble et le désarroi chez les militants. Beaucoup sont assommés et c'est bien l'effet recherché par Sarkozy.
Sarkozy, loin d'agir comme l'homme de la répression du mouvement syndical, se présente comme l'homme du dialogue, celui qui ne veut forcer aucune situation mais agir dans la concertation. Il assume une continuité avec la politique dite du " diagnostic partagé " de Raffarin-Fillon. Force est de constater que son offensive n'est possible que grâce à la complicité des directions syndicales.
Mais, en même temps, la révolte qui existe déjà parmi les bases militantes, dans tous les syndicats, grandit. La crise s'approfondit offrant des perspectives de contestation des directions. Une discussion est ouverte sur la nécessité et les moyens de reprendre l'offensive.

Des syndicats paralysés par leur dépendance à l'État et aux gouvernements.
Cette passivité des directions syndicales trouve son origine dans leur intégration croissante aux mille et un organes de co-gestion mis en place par le patronat et l'Etat. Aujourd'hui, cette intégration des syndicats à la gestion de l'État n'a jamais été aussi importante alors même que les rangs militants restent très faibles : 8 % des salariés sont syndiqués, dont 5 % seulement dans le privé, chiffres divisés par deux en 25 ans.
C'est par des milliers de canaux que les syndicats participent à cette gestion : CE, CCE, Prud'hommes, Comités de branche, Comités de groupe, CC européens, Sécurité sociale, CNAM, Mutuelles, Assedic, organismes de négociation paritaires, EDF, entreprises publiques, organismes de formation, etc.
Les syndicats en sont devenus dépendants financièrement. Sur un budget annuel de 220 millions d'euros, la CGT perçoit 145 millions hors cotisations des adhérents ; sur 138 millions, la CFDT perçoit 69 millions et FO 26 millions sur 61.
Si le côté négatif, la collaboration de classe, est bien apparent, il ne faut pas oublier que cette participation a, d'une certaine manière, été imposée à la bourgeoisie par le mouvement ouvrier. Ces positions sont devenues corruptrices du fait du recul du contrôle des ouvriers, des militants, de l'absence de politique indépendante de classe des directions syndicales tandis que la bourgeoisie, très consciemment, les associait à sa politique.
Sarkozy, et en cela porte-parole des milieux dirigeants du grand patronat, loin de vouloir affronter les syndicats veut pousser plus loin cette intégration, les " moderniser ", c'est-à-dire les vider de tout contenu d'indépendance de classes pour en faire des instruments de la politique libérale. .
Mais il y a là un danger mortel pour des organisations qui restent, malgré leurs reniements et leur faiblesse, des organes de défense indispensables aux salariés, des acquis essentiels du combat démocratique.

L'abandon de toute perspective de changement social a désarmé les syndicats
C'est l'essor des premières résistances à l'exploitation qui créa le mouvement syndical, qui s'est construit sur une base à la fois politique et syndicale, comme organisation oeuvrant, dans des structures différentes, au même but : l'émancipation de la classe ouvrière, l'abolition du salariat.
Les premières " Maisons du peuple " étaient des lieux de débat du parti, d'organisation des luttes électorales, de la résistance ouvrière, de quartier général des grèves et de construction de la CGT
Les militants révolutionnaires, socialistes, anarcho-syndicalistes puis communistes, en furent les militants les plus actifs.
Le syndicat était l'organe de base, de front unique, où tous les salariés voulant résister à l'exploitation se groupaient pour surmonter la division, indépendamment de leur niveau de conscience politique. Ce sont les militants politiques, les plus conscients, qui offraient aux syndicalistes des perspectives leur permettant d'aller au bout de leurs luttes et de leur prise de conscience.
A travers les avancées comme les reculs, tous les progrès réalisés dans l'organisation de la classe ouvrière ont correspondu à un progrès dans la conscience collective de ses propres intérêts.
Le déclin des syndicats est venu du recul de cette conscience.
Aux origines de la crise, il y a le dévoiement, l'abandon des idées de la lutte de classe au profit du réformisme ou de la collaboration ouverte, conséquence de la capitulation politique des partis réformistes, dominés, enfermés dans le cadre économique, social, politique du capitalisme.
C'est ce passé qui est à la base de la méfiance, solidement partagée aujourd'hui, vis-à-vis de toute intervention politique.
Au début du 20ème siècle, l'anarcho-syndicalisme de la CGT a été une saine réaction contre la dérive parlementariste de la social-démocratie. Mais le refus de la lutte politique qu'exprime la Charte d'Amiens laissait les perspectives politiques de changement entre les mains de la Social-démocratie faillie... et le mouvement syndical sans perspectives.
Plus tard, ce fut le Parti communiste, devenu l'instrument de la bureaucratie stalinienne, qui fit pendant des décennies, la police dans les rangs de la CGT, la mettant au service d'intérêts contraires à ceux des ouvriers.
Ces périodes ont laissé de profondes traces dans les consciences et expliquent la méfiance que rencontrent les militants voulant agir politiquement, d'un point de vue anticapitaliste.
Ayant perdu toute perspective de contestation du capitalisme, les directions syndicales sont paralysées, incapables de mener la bataille politique et morale contre la classe dominante. Elles sont dominées, soumises, condamnées à reculer et à participer à leur propre asservissement.

Le renouveau passe par la reconstruction d'une conscience de classe
La mondialisation, le capitalisme, ne laissent plus le choix aux travailleurs. Remettant en cause tous les acquis et les droits, ils contribuent à la dissipation des vieilles illusions sur un développement du progrès dans le cadre capitaliste.
En mondialisant le rapport d'exploitation salariée, ils unifient la classe ouvrière sur le plan européen, mondial. Sur ces bases, se constitue une nouvelle conscience de classe, démocratique et révolutionnaire. Elle se forge sous le feu des luttes et crée un courant large, informel, pour la lutte des classes à la base des différents syndicats.
Dans toutes leurs structures syndicales, les révolutionnaires s'inscrivent dans ce courant, y défendent leurs idées librement et trouvent l'espace militant leur permettant d'assumer toutes les responsabilités.
Au-delà des rangs syndicaux, des salariés, des jeunes éprouvent le besoin de s'organiser et commencent à reconstruire un mouvement syndical dans les secteurs les plus exploités.
A tous ces jeunes, ou moins jeunes, qui viennent à la lutte sans illusion, les révolutionnaires s'efforcent de transmettre une expérience et des compétences qui sont celles aussi de beaucoup d'autres militants syndicaux et ils les aident à comprendre l'histoire et les implications du combat qu'ils rejoignent, que celui-ci ne peut se mener jusqu'au bout qu'avec la claire conscience qu'il porte en lui un affrontement avec les classes dominantes, porteur d'une autre société débarrassée de l'exploitation et de l'oppression de classe.

Reconstruire un mouvement ouvrier indépendant, démocratique et unifié
Si le pessimisme pèse encore lourd, la conscience grandit parmi les salariés, les militants, de la soumission des directions syndicales et de la nécessité de prendre les choses en main. S'appuyant sur cette conscience, les révolutionnaires avancent des propositions de lutte. Nous défendons le plan d'urgence sociale et démocratique, un programme de rupture avec le diagnostic partagé et les capitulations. Nous discutons des moyens de préparer une lutte d'ensemble pour imposer une véritable redistribution des richesses pour mettre un coup d'arrêt à la dégradation de la situation.
Ce renouveau du mouvement ouvrier est lié à la renaissance d'une conscience politique. Il ne pourra se faire sans que de nouvelles équipes militantes, des jeunes, participent à la construction d'un nouveau parti anticapitaliste.
Œuvrer à ce renouveau, c'est marcher sur ses deux jambes : participer pleinement à la vie et au développement des syndicats, et, en même temps, à la construction de ce nouveau parti.
Reconstruire un syndicalisme vivant, c'est d'abord faire revivre la démocratie.
Dans toutes nos structures syndicales, nous oeuvrons à l'expression et à l'organisation la plus libre des travailleurs, des militants de base. Nous voulons redonner goût aux salariés de se réunir, de discuter de leurs revendications.
C'est cette vie démocratique, qui commence à renaître parce que les appareils bureaucratiques ont moins d'influence, qui permet de défendre librement les idées de la lutte de classe et de l'émancipation sociale.
Le syndicat doit redevenir une école d'organisation où est posée la question du contrôle des travailleurs, sur leurs propres organisations, sur leurs luttes, et, demain, sur les entreprises et la société. Seule une telle démocratie peut permettre de dépasser les mille pièges de la lutte et l'inertie des appareils syndicaux et permettre la prise en main des luttes par les travailleurs eux-mêmes, leur contrôle.
Les syndicats sont des structures larges, tous les militants ne partagent pas nos perspectives. Nous y défendons nos idées, sans nous laisser paralyser, tout en veillant au respect des structures et de la démocratie.
Mais nous ne fixons par avance aucune limite à notre intervention politique, notre seul critère étant le niveau de conscience des militants, des salariés.
Un débat a lieu, dans l'extrême gauche, dans tout le mouvement social, sur la légitimité de l'intervention politique. Peut-on mettre, comme le font certains, l'indépendance vis-à-vis de l'État au même niveau que l'indépendance vis-à-vis des partis politiques, y compris du parti révolutionnaire ?
C'est entretenir l'ambiguïté et un préjugé qui repose sur des décennies de domestication des partis ouvriers. Ce sont les trahisons passées des partis ouvriers et des directions syndicales qui ont engendré la méfiance. Une méfiance entretenue, aujourd'hui, par les appareils pour empêcher toute contestation de l'ordre établi.
Pour aller de l'avant, il faut nous débarrasser de ce préjugé réservant au syndicat la défense des intérêts économiques, et aux partis, la politique qui n'existerait qu'à travers les batailles électorales et parlementaires.
Le réveil de la conscience politique dans les syndicats est bien là. On l'a vu lors des débats sur le TCE ou par l'apparition des collectifs interpro en 2003 et 2006.
En apportant des perspectives anticapitalistes, les révolutionnaires peuvent, seuls, aider les salariés à remettre les syndicats sur les rails de la lutte des classes et empêcher leur asservissement définitif. Renoncer à cette lutte pour influencer le mouvement syndical serait se couper de toute perspective de reconstruire.

Reconstruire l'unité des travailleurs et de leurs organisations
La division des rangs syndicaux, conséquence de la perte d'indépendance des syndicats, est un des principaux obstacles à la défense des intérêts ouvriers.
Nous appuyant sur l'aspiration des salariés et des militants à l'unité, combattant le sectarisme sécrété par tous les appareils, nous combattons la division en défendant l'idée, dans toutes les structures où nous intervenons, comme dans les luttes, de l'unité de toutes les organisations.
Non pas que nous soyons des fétichistes de l'unité en soi.
La question de l'unité ne peut se poser abstraitement, indépendamment de la politique derrière laquelle elle se réalise. Nous proposons l'unité à tous les salariés, à toutes leurs organisations derrière une politique radicale, sans compromis avec la politique du patronat et du gouvernement.
Sans programme radical, l'unité peut n'être qu'un moyen pour les appareils de s'aligner derrière les plus libéraux, comme nous l'avons vu lors des luttes de ces dernières années. Lors du mouvement contre la réforme des retraites, par exemple, c'est seulement la pression des salariés et des militants qui a imposé le maintien de la revendication des 37,5 annuités pour tous.
Le mouvement ouvrier, syndical et politique est un tout. La nécessité s'impose de faire converger les forces. C'est pourquoi nous sommes pour l'unité syndicale et pour celle de tous les militants syndicaux, politiques ou associatifs. Ce qui s'est ébauché avec les collectifs interpro et lors de la lutte contre le TCE.

Pour un syndicalisme de classe, il faut une politique de classe
Plonger au coeur de ce nouveau courant de lutte de classe nécessite de nous donner les moyens de faire converger nos interventions, des cadres de débats, des lieux de rencontre entre militants quelle que soit notre organisation syndicale. La bureaucratie défend son influence politique en entretenant la division. Lutter contre cette influence, c'est d'abord et avant tout rompre avec les clivages d'appareils, imposer partout des rapports démocratiques faisant passer l'intérêt général du mouvement ouvrier avant celui de son propre appareil. Fondamentalement, rompre avec la bureaucratie, c'est raisonner et agir du point de vue des intérêts de l'ensemble de la classe ouvrière.
Il s'agit de nous donner les moyens de conquérir une influence pour disputer aux réformistes ou aux sociaux libéraux la direction des organisations ouvrières, tout en œuvrant à la construction, au sein du monde du travail, d'un nouveau parti.
Défendre un tel cours signifie se tourner vers les entreprises, les syndicats, les quartiers ouvriers, mener publiquement le débat avec l'ensemble des militants pour formuler concrètement une orientation d'indépendance de classe, populariser l'idée d'un plan pour les luttes, d'une préparation d'un mouvement d'ensemble, la légitimité des mesures d'urgence sociale et démocratique.
De nouveaux militants, des jeunes se tournent aujourd'hui vers les révolutionnaires. Il s'agit de les aider à défendre les idées de l'émancipation sociale dans leur entreprise, leur quartier, leur syndicat.
Notre tâche essentielle aujourd'hui, c'est, tout en oeuvrant à la construction d'un nouveau parti, de nous investir à fond dans la renaissance, en cours, du mouvement syndical en y défendant les idées de la lutte des classes. Il ne peut y avoir de syndicalisme de classe sans une politique de classe et la réciproque est tout aussi vraie.

Gérard Villa