Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°164
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23 août 2007
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Sommaire : | ||||||||||
Les premiers pas d'une crise financière globalisée | ||||||||||
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Les premiers pas d'une crise financière globalisée
Démarrée
aux Etats-Unis dans le secteur des crédits immobiliers, une crise financière
balaie depuis la mi-août l'ensemble des marchés financiers, entraînant
l'effondrement des bourses et menaçant de paralyser la circulation monétaire.
Crise annoncée, puisqu'une première alerte avait secoué
les bourses au mois de mai dernier, suite à la faillite de certaines
sociétés de crédit immobilier "à risque".
Rentrée de vacances en urgence le 16 août, la ministre de l'Economie,
Lagarde, a incité les petits épargnants à "garder
la tête froide". Pratiquant le bluff et la suffisance qui caractérisent
le gouvernement de Sarkozy, elle affirmait qu' "elle ne croyait pas
aujourd'hui en une contamination de l'économie réelle en France"
au moment même où tout le monde était bien obligé
de reconnaître que la crise touchait l'ensemble du système financier
mondial !
Sarkozy, de son lieu de villégiature aux Etats-Unis, n'a bien entendu
pas raté l'occasion de montrer sa capacité d'initiative, affirmant
à quelques journalistes : " Moi, je suis pour une économie
qui fasse toute sa place aux créateurs, aux salariés, pas aux
spéculateurs [...] Je crois profondément à la liberté,
mais je ne peux pas accepter ce que nous avons vécu toutes ces dernières
années : l'explosion de la spéculation [...] Je l'ai dit pendant
la campagne : je suis pour la moralisation du capitalisme financier et la moralisation
passe par la régulation, des règles prudentielles et de la transparence
[...] La liberté, ce n'est pas la loi de la jungle ".
Fort de ces prétentions, il a envoyé le 17 août une lettre
largement médiatisée à Angela Merkel, qui préside
actuellement le G7, pour lui faire part de son "analyse" de la situation
et des remèdes qui permettraient, selon lui, d'y faire face. Il y proposait
de réunir le G7 de façon anticipée, afin de mettre en place
plus de "transparence" et une plus juste "évaluation
des risques" dans les affaires financières. Condition pour que
le monde de la finance puisse assurer en toute sécurité le rôle
qui est, selon lui, le sien : fournir les capitaux nécessaires au
fonctionnement harmonieux de "l'économie réelle"
Merkel a ignoré Sarkozy, lui faisant répondre par le vice porte-parole
du gouvernement allemand que ces propositions, elle les avait déjà
faites elle-même, en vain, lors de la dernière réunion du
G7 en juin dernier, et qu'on allait attendre la prochaine réunion, en
octobre, pour en rediscuter
C'est bien la loi de la jungle et les déclarations sur "la moralisation"
sont non seulement hypocrites mais vaines. Ni Sarkozy, ni Merkel, pas plus que
les autres dirigeants du G7, n'ont la moindre prise sur la crise en cours. Crise
qui, loin de se limiter au secteur de l'immobilier à risque américain,
et bien que les bourses se soient maintenant stabilisées et aient recommencé
à monter, est le signe que c'est bien l'ensemble du système financier
international qui est à la dérive.
Spéculer
sur les dettes
La crise s'est déclenchée dans le secteur bien particulier du
crédit immobilier "à risque", aux Etats-Unis, avant
de se propager comme une traînée de poudre à la plupart
des secteurs de l'économie, et dans le monde entier.
Ce type de crédit consiste à prêter de l'argent à
des familles aux faibles revenus pour financer l'achat de leur logement. Ces
crédits sont dits "à risque" ("subprim") du
fait de la faible solvabilité des emprunteurs. Ils sont à taux
variable, très bas au début pour attirer le client, puis atteignant
des niveaux usuraires - pour compenser les risques
-, et indexés
sur les taux de crédit généraux. Ils sont enfin garantis
par une hypothèque sur le logement : en cas de défaillance de
l'emprunteur, l'organisme de prêt saisit la maison pour la revendre.
Pour financer leurs prêts aux particuliers, ces organismes de "subprime"
ont "levé" des capitaux auprès des banques, soit sous
forme d'emprunt, soit en "titrisant" les dettes de leurs clients.
C'est-à-dire en émettant l'équivalent d'actions boursières
représentant, pour le détenteur, la possibilité d'encaisser
une part de la plus-value générée par ces prêts à
risque. C'est un système qui s'est largement répandu ces dernières
années, par lequel les sociétés de crédit à
risque, intervenant dans tous les secteurs d'activité, financent leur
propre fonctionnement.
Comme les actions et les obligations, ces titres sont échangeables sur
les marchés financiers, et sont ainsi la source d'une spéculation
d'autant plus effrénée que les perspectives de plus-value sont
importantes.
Ces plus-values proviennent de l'écart entre les mensualités que
versent les clients auprès de l'organisme de crédit et les sommes
que ce dernier rembourse pour ses emprunts. Tant que le secteur de l'immobilier
a connu une phase de croissance et que les taux des emprunts étaient
bas, ces prêts immobiliers "à risque" ont constitué
des opérations particulièrement juteuses. Mais les tendances se
sont inversées. Le secteur immobilier US s'est petit à petit saturé,
entraînant une baisse des prix de l'immobilier, tandis que les taux de
crédit n'ont cessé de s'élever, entraînant à
la hausse les mensualités de remboursement des familles. D'après
un sénateur américain, " les modifications d'intérêts
peuvent faire passer les mensualités de 400 dollars à plus de
1500 dollars, pour les gens qui ont pris les typiques crédits hypothécaires
à risques qui offraient des taux d'intérêt au rabais au
démarrage ". Le Monde du 21/08.
Les familles endettées qui ne peuvent plus payer leurs traites deviennent
insolvables pour leurs créanciers qui, eux, ne peuvent plus se débarrasser
des maisons saisies sur hypothèque. Ce qui était une source de
spéculation juteuse est devenu une source de pertes financières.
Plus de quatre-vingt sociétés spécialisées dans
les crédits immobiliers à risque se sont ainsi retrouvées
acculées à la fermeture ou à la faillite depuis le début
de l'année, et 21 000 salariés du secteur financier ont perdu
leur emploi. Les titres sur les dettes immobilières ont perdu toute valeur
réelle.
C'est une catastrophe pour des millions de familles. Selon le président
du conseil bancaire du Sénat américain, cité dans Le
Monde, " nous sommes au plus haut niveau des saisies de logements
depuis 37 ans, et au plus bas niveau depuis 10 ans pour les mises en chantier
de logements ", et il estime qu' " un à trois
millions de personnes pourraient perdre leur logement, non pas parce qu'ils
ont perdu leur emploi, ni parce que l'économie s'est effondrée,
mais parce qu'ils ont eu de mauvaises conditions pour leur emprunt immobilier ".
Une
bulle spéculative globalisée
Le phénomène avait commencé à se développer
à la mi-mai, entraînant une chute passagère des bourses,
mais le président de la banque fédérale américaine
avait alors affirmé qu'il n'y avait aucun risque que la crise des "surprime"
se propage au reste de la finance.
Deux mois plus tard, fin juillet, c'est pourtant ce qui s'est produit. On a
vu de grandes banques américaines, comme Citigroup, Morgan Stanley, Merrill
Lynch et Bear Stearns et bien d'autres, mais aussi BNP Paribas en France, plusieurs
banques allemandes et japonaises, fermer certains de leurs fonds, ou demander
des aides financières afin d'éviter la faillite.
Attirées par l'argent facile, ces "respectables institutions"
avaient créé leurs propres fonds de crédit immobilier à
risque, ou acheté des titres émis par d'autres sociétés
de "surprime", qu'elles avaient placé dans des "produits
financiers" proposés à leurs clients. Ces " clients
" pouvant être à leur tour des institutions financières
proposant leurs propres produits financiers, on se trouve en présence
d'un véritable domino spéculatif dont personne ne sait réellement
où il s'arrête, ni par où il passe.
Et ce domino spéculatif est loin de se limiter au secteur de l'immobilier
américain. C'est sur l'ensemble des secteurs de l'économie, et
dans le monde entier, que se joue la spéculation à grande échelle
sur les dettes et le crédit, créant une bulle spéculative
globalisée dont les "subprime" ne constituent qu'une infime
partie.
Avec la chute des valeurs des titres de "subprime", découvrant
que des grandes banques étaient elles-mêmes touchées, beaucoup
de détenteurs de portefeuilles boursiers se sont brutalement rendus compte
qu'ils étaient peut-être détenteurs de titres "à
risque",
et qu'il y avait un risque à les garder !
D'où la panique qui s'est étendue, à partir du 9 août,
à tout le secteur financier international, entraînant l'effondrement
des bourses.
Crise
de confiance des acteurs eux-mêmes
La méfiance ne s'est pas limitée à celle des détenteurs
de titres et à la bourse. Elle a aussi touché le système
bancaire dans son ensemble et affecté les circulations monétaires
quotidiennes entre banques. Pour faire face à leurs besoins immédiats
de liquidités, les banques s'empruntent mutuellement de l'argent, souvent
pour une journée. Mais l'éventualité que leurs partenaires
soient touchés par des pertes financières importantes de leurs
fonds à risque, a incité les banques à augmenter de façon
importante leurs taux de prêt à très court terme, équivalant
jusque là aux taux d'escompte (taux des crédits à très
court terme) fixés par les banques centrales. L'effet, s'ajoutant aux
pertes subies du fait de la chute boursière, en a été le
ralentissement de la circulation financière et la diminution des liquidités
disponibles.
C'est pourquoi, dès le début de l'effondrement boursier et tout
au long de la semaine qui a suivi, les banques centrales ont injecté
des sommes colossales dans le marché, mettant à la disposition
des banques qui en avaient besoin les sommes nécessaires à leur
fonctionnement immédiat, à leur taux normal d'escompte. Globalement,
la BCE (banque centrale européenne) a ainsi mis en circulation plus de
150 milliards d'euros, la FED, banque fédérale américaine,
une cinquantaine de milliards de dollars, la BOJ, banque centrale japonaise,
l'équivalent d'une dizaine de milliards d'euros. Aux apports d'argent
nouveau, la FED a ajouté la baisse de son taux d'escompte.
Ces interventions ne règlent en aucune façon le problème
de fond. Elles sont destinées à " redonner confiance aux
marchés " en apportant l'argent nécessaire pour que puissent
continuer à se faire les transactions financières, et avant tout
la spéculation sur les marchés financiers et les bourses. Il s'agit,
en quelque sorte, de subventions à la spéculation.
De fait, les capitalistes n'ont pas d'autre solution. Dans un monde financier
dont personne ne contrôle les réseaux, menacé par l'explosion
d'une bulle spéculative sans précédent, le seul frein à
l'effondrement total est la " confiance " que font les détenteurs
de titres à la capacité du système à leur assurer,
malgré tout, des plus-values. Mais il suffit d'une alerte pour que cette
confiance tombe, entraînant des réactions en chaîne dont
il est impossible de prévoir jusqu'où elles iront, ni quelle sera
l'ampleur de leurs conséquences.
Pas d'autre solution, donc, que tenter de restaurer cette confiance, autrement
dit stopper l'effondrement des bourses, en
relançant la spéculation
boursière ! Pas d'autre solution que la fuite en avant de l'endettement
et du crédit !
Sans illusion cependant, car malgré les discours qui se veulent rassurants
sur la "solidité des fondamentaux" et les exhortations
à ne pas céder à la panique, et même si les bourses
semblent se remettre à monter depuis quelques jours, personne ne s'aventure
à dire, dans le monde de la finance, où va s'arrêter le
phénomène
Il
y a urgence
La crise actuelle est révélatrice de l'ampleur des forces destructrices
accumulées dans le système capitaliste mondial, de sa fragilité,
de l'impuissance des responsables politiques et financiers à en assurer
le contrôle.
La baisse des revenus des petits propriétaires américains, la
hausse simultanée des taux de crédits, qui sont à la base
du déclenchement de la crise, ne sont pas le fait du hasard, un accident,
ils sont le résultat de l'évolution de la situation économique
mondiale : la course au profit, la concurrence entraînent, parallèlement
à l'emballement du crédit et de l'endettement, une baisse ou une
stagnation des revenus des salariés dans les pays industrialisés.
L'effondrement du secteur immobilier aux Etats-Unis est une des conséquences
de cette évolution : emballement du crédit alors que la baisse
des revenus rend les ménages de moins en moins solvables.
Ce sont les mécanismes de la crise : poussés par la concurrence,
les capitalistes produisent, grâce au crédit, comme si le marché
était sans limite, jusqu'au moment où ils se heurtent aux
limites du marché, de la demande solvable, d'autant qu'eux-mêmes,
pour abaisser leurs coûts, font pression à la baisse sur les salaires
Et c'est le krach.
La crise des "subprime" est probablement le signe que l'économie
mondiale est proche d'une telle situation. L'emballement, l'euphorie financière
a atteint ses limites. Les Etats-Unis sont au bord d'une récession, la
croissance stagne en Europe, du fait d'une diminution globale du pouvoir d'achat
de la population, accentuée par la hausse du coût des crédits.
Cette stagnation de croissance dans les pays importateurs de produits chinois,
associée à la course aux investissements productifs en Chine,
accentue à son tour la menace de surproduction dans ce pays, avec les
conséquences sociales et économiques que l'on peut imaginer
Mettre fin à cette fuite en avant, c'est lutter pour les salaires et
le pouvoir d'achat en contestant le pouvoir de ceux qui dirigent l'économie
sans même être capables d'en contrôler la marche et se nourrissent
de la spéculation, au premier chef les grands actionnaires des institutions
financières. Seule une grande institution financière centralisée,
placée sous le contrôle des travailleurs et de la population, serait
à même d'assurer la "transparence" et la "connaissance
des risques" dont nous parlent Sarkozy et Merkel. Et pour que les capitaux
cessent d'alimenter les jeux spéculatifs et servent à satisfaire
en priorité "l'économie réelle", c'est-à-dire
une économie ayant pour objectif de satisfaire les véritables
besoins des travailleurs et de la population, il faut que ces derniers en assurent
directement le contrôle, en expropriant économiquement et politiquement
ceux qui jouent avec l'avenir de l'humanité.
Eric
Lemel