Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°168
20 septembre 2007

Sommaire :
Parti de la gauche ou parti anticapitaliste : un programme à débattre et à approfondir


Parti de la gauche ou parti anticapitaliste :
un programme à débattre et à approfondir


Il y avait du monde à la fête de l'Humanité. Mais à écouter les débats, à lire diverses "contributions", il est manifeste que l'heure est plus que jamais au doute. Le Parti communiste passera-t-il l'hiver ? Ou faudra-t-il fonder un nouveau parti  ? La question n'est plus taboue, même si l'heure n'est pas encore venue de poser le balluchon des vieilles recettes et des vieilles ficelles.
Pour les amis de Mélenchon, comme pour un certain nombre de dirigeants ou ex-dirigeants du PCF comme Gayssot, il est manifeste en tout cas qu'on ne discutera pas d'autre chose que d'un replâtrage. Avec toujours la même injonction : " il faut faire du neuf à gauche ! ". Et toujours le même projet : celui du parti " vraiment à gauche ", l'un des avatars du grand parti antilibéral qui -fort de son nouveau succès- devrait " vraiment " contraindre le PS à défendre la politique qu'il n'a jamais voulu mener lorsqu'il est au gouvernement…
Un discours sans doute audible pour de nombreux militants mais bien peu crédible sur le fond, surtout lorsqu'on connaît le bilan personnel de Mélenchon et Gayssot en matière d'antilibéralisme, en tant que ministres de l'enseignement professionnel ou des transports dans le gouvernement Jospin ! Mais ce discours reflète probablement assez bien une partie des questions que se posent aujourd'hui bon nombre d'entre eux sur la capacité de leur parti à incarner un espoir de changement après plusieurs désastres électoraux, prisonnier qu'il est à leurs yeux d'une histoire et surtout d'une spirale d'échecs qui semble irréversible.
C'est pourtant une erreur d'optique. Car c'est confondre le fond et la forme. Ce qui fait obstacle aujourd'hui à l'audience de ces militants n'est pas l'existence de leur parti en tant que tel, qu'il faudrait rebaptiser autrement pour être plus attractif. C'est l'absence de crédit aux yeux de la population d'un projet qui prétendrait encore contester le capitalisme tout en portant l'espoir de ce changement dans le cadre des institutions. C'est le réformisme, aujourd'hui, qui a du plomb dans l'aile, même rebaptisé antilibéralisme.
Le projet de la LCR est évidemment tout autre. Il ne s'agit pas pour nous de refonder la gauche ni de ressusciter les illusions qu'elle a pu engendrer au cours de son histoire, lorsqu'elle se prétendait plus à gauche. Nous voulons nous engager vers la construction d'un parti anticapitaliste, un parti pour la lutte jusque au bout, c'est-à-dire un parti révolutionnaire, en rupture avec le capitalisme et ses institutions, un parti qui redonne enfin aux idées du socialisme et du communisme leur véritable force contestatrice et subversive.
Ce projet est-il possible aujourd'hui ? Peut-il être réellement attractif et crédible ? C'est tout l'enjeu de la discussion actuelle qui commence à peine. Mais cette discussion sera d'autant plus riche qu'elle assumera les multiples dimensions de ce débat. Car tout est lié et c'est ce que nous voudrions discuter ici : la pratique militante quotidienne et la nécessité d'un projet de rupture, la dénonciation concrète du capitalisme et la défense d'un programme vraiment socialiste et communiste qui n'est pas un supplément d'âme pour les lendemains qui chantent, encore moins une " idéologie ", mais une boussole, un guide pour l'action à partir de ce que nous comprenons des évolutions actuelles du capitalisme et de l'actualité d'un projet révolutionnaire.

Un parti anticapitaliste et donc un parti révolutionnaire
Le parti que nous voulons construire peut difficilement être autre chose qu'un parti révolutionnaire. Il y a bien sûr bien des manières d'aborder cette question, mais le plus simple est sans doute de le faire à partir de ce qui revient le plus souvent et le plus spontanément dans la discussion : la question des alliances.
Nous sommes pour construire un parti qui refusera toute alliance avec le Parti socialiste. C'est un choix qui peut paraître à première vue relativement anodin, bien plus en tout cas que de parler de rupture révolutionnaire ou de parti révolutionnaire. C'est pourtant un choix qui nous engage bien plus qu'il n'y paraît.
Car à moins d'imaginer une majorité improbable sans les socialistes, il ne reste guère d'alternative : ou s'allier avec le PS -en essayant de lui faire faire ce qu'il n'a pas envie de faire- ou renoncer inévitablement à une logique institutionnelle et faire de la politique autrement, par les luttes.
Car contrairement à ce que prétendent les réformistes, la politique ne se réduit pas au bulletin de vote, pas plus que les luttes ne sont pas le domaine réservé du syndicalisme. La politique c'est aussi -et surtout- la lutte de classe. Au travers des luttes, ce sont bien de nouvelles expériences d'organisation et donc de pouvoir qui s'accumulent, c'est une alternative politique concrète qui s'ébauche à chaque étape, à condition de privilégier systématiquement les expériences d'auto-organisation, les embryons de pouvoir qui permettent à la population de s'organiser, depuis les premiers comités de lutte ou comités de grève, jusqu'à la revendication d'un pouvoir des travailleurs, directement exercé par eux-mêmes.
Quant à construire un parti pour les luttes, c'est assumer inévitablement des questions que tout le monde finit par se poser, la nécessité de la confrontation avec l'ordre des choses existant et avec l'Etat. A moins de bluffer les gens qui seraient tentés de nous rejoindre, en leur expliquant très clairement ce qu'il ne faut pas faire (avec les socialistes), tout en restant dans le vague sur ce qu'on pourrait faire, en dehors des institutions. Et cela bien que nous ayons nous-mêmes une petite idée en tête… Une démarche qui pourrait s'apparenter à une forme de manipulation, à proscrire totalement.
L'important est donc de ne pas se tromper de discussion. Le plus difficile n'est pas d'assumer l'étiquette de " parti révolutionnaire ", qui en tant que telle n'effraie pas grand monde. C'est ainsi que bien des militants du PCF se disent toujours révolutionnaires, tout en revendiquant la nécessité d'exercer le pouvoir dans le cadre des institutions, qui restent pour eux un passage obligé et incontournable. Ce ne sont pas les mots qui font problème, ni les étiquettes.
Le problème est plutôt une question de contenu sur lequel il faut s'entendre. Etre " révolutionnaire ", pour les militants du PCF et pour bien d'autres à gauche de la gauche, c'est transformer radicalement la société. C'est être anticapitaliste. Révolutionnaire pour nous a un sens plus précis : c'est la question du pouvoir, c'est la rupture avec les institutions et avec un Etat qui n'est pas comme beaucoup le croient encore au-dessus des classes. C'est assumer la rupture à ce niveau aussi, même si faute d'expériences récentes, nous serions bien incapables d'en définir les modalités précises.
L'enjeu du parti à construire avec une partie des gens qui sont susceptibles de nous rejoindre est bien là. Il s'agit pour nous de convaincre non seulement sur l'idée générale -ce n'est pas si difficile même dans un milieu assez large- mais sur le contenu réel d'un projet révolutionnaire et ce qu'il implique.
C'est une discussion à laquelle nous pouvons difficilement échapper, à moins de vouloir absolument passer pour des gens pas très honnêtes… ou pas très sérieux, car on imagine mal un parti qui découvre en cours de route, et surtout au pied du mur, les problèmes qui se posent à lui, surtout lorsqu'ils touchent à l'essentiel, c'est-à-dire la question du pouvoir !

Des pratiques communes, et donc un programme et des références communes
Il y a bien sûr une dimension pratique, militante dans la construction d'un parti. L'histoire de l'extrême gauche le montre amplement : on peut avoir comme en France trois organisations qui se réclament plus ou moins du trotskysme et avoir développé avec le temps des pratiques militantes -qui sont aussi des choix politiques- assez différentes.
La seule référence au trotskysme ne suffit donc pas pour garantir que nous pourrions réellement et durablement militer ensemble dans le même parti, même si nous pouvions tomber d'accord sur les grandes lignes d'un programme. Cela suppose très vite, et de façon volontariste, que nous expérimentions les possibilités réelles, concrètes, de marcher ensemble. Car sans cela, nous courrons à la catastrophe malgré nos références communes.
Mais la question se pose également à l'inverse. Nous pouvons aussi gagner toute une série de gens qui en nous rejoignant se radicalisent et rompent au moins en partie avec leurs idées antérieures, plus ou moins réformistes, plus ou moins radicales. Et nous pouvons développer très vite des pratiques convergentes voir communes avec ces camarades. Elles peuvent d'ailleurs déjà préexister, et c'est pour cela que nous pensons qu'il est possible aujourd'hui de lancer cette question du parti, parce que ce milieu existe, et parce que nous avons souvent milité ensemble dans des luttes avant que la question de militer ensemble dans le même parti finisse par se poser.
Mais sur quoi reposent ces pratiques communes et que recouvrent-elles ? Nous sommes révoltés par le bilan des socialistes au pouvoir et nous n'avons nullement l'intention de nous allier avec eux. Nous sommes souvent en opposition avec certaines pratiques des municipalités communistes, par exemple sur la question du logement, et l'exemple d'Aubervilliers vient de le rappeler crûment. Nous sommes bien sûr en colère contre l'inertie de bureaucraties syndicales, et nous avons souvent envie de nous engager avec les secteurs les plus combatifs de la population. Nous le faisons d'autant plus volontiers que nous avons très rarement de " fil à la patte ", vraiment rien dans les institutions, un peu plus sans doute dans les appareils syndicaux. Mais demain ? Que vaudront nos pratiques communes, si elles ne reposent pas sur quelque chose de plus solide, des idées, un programme, une boussole et des références communes ?
La question se pose d'ores et déjà parce qu'en réalité, une bonne partie de nos interventions immédiates, tant sur le plan syndical qu'électoral pour ne prendre que ces exemples, sont orientées, conditionnées par nos choix plus fondamentaux sur le plan politique. Ce sont ces choix justement qui méritent d'être discutés de façon réellement approfondie.
Ainsi, nous mesurons chaque jour le frein que constituent les bureaucraties syndicales. Nous militons pour regrouper dans les syndicats les équipes militantes les plus combatives, comme nous cherchons à promouvoir systématiquement dans les luttes toutes les formes d'auto-organisation. Mais le choix des comités de grève ne peut pas être simplement un " truc " en plus, pour contourner le seul frein des directions syndicales. C'est une conviction profonde que chaque lutte doit être l'occasion pour la population, pour des travailleurs, d'expérimenter de nouvelles formes d'organisation, de nouvelles formes de pouvoir.
L'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes ". Pour nous il ne s'agit pas d'une simple formule. Elle n'a de sens qu'en lien avec tout ce que nous comprenons de l'emprise d'une classe dominante sur la société et le fonctionnement de son Etat, la nécessité d'accumuler de nouvelles expériences même de façon embryonnaire jusqu'à la prise du pouvoir, parce que la formation d'une conscience de classe et son indépendance ne sont pas des processus abstraits, pas plus que la lutte contre toutes les formes d'aliénation et de délégation de pouvoir. Vaste débat qui mérite sans doute de vérifier que nous avons bien les mêmes préoccupations qui se nourrissent inévitablement des mêmes références…
Il en est de même avec la question électorale. Un exemple tout proche -celui de nos camarades portugais au sein du Bloc des gauches- nous montre que cette question peut prendre une grande place dans la vie d'une organisation de la gauche radicale, et poser quelques problèmes aux révolutionnaires que nous sommes.
Prés de 10 % des militants du Bloc des gauches ont aujourd'hui un mandat électif (1). Certes, la plupart n'ont aucune responsabilité de gestion et ce n'est pas forcément dramatique en soi. C'est même à certains égards un succès si cela traduit une influence et une intervention réelle dans les luttes, ce qui n'est pas simple non plus, car le Parti communiste portugais conserve aujourd'hui encore, malgré son recul électoral, une solide mainmise sur le mouvement syndical et dans la classe ouvrière, tout en étant il est vrai moins présent que le Bloc des gauches dans les " nouveaux mouvements sociaux ".
Faut-il s'en inquiéter ? Des conseillers municipaux d'extrême gauche sont à priori des gens honnêtes, et non des bureaucrates mal intentionnés. Pourtant, c'est bien le centre de gravité du parti qui est en train d'être modifié, avec lui ses préoccupations, et ses priorités. Bien sûr, ce genre d'évolution se traduit rarement par des choix spectaculaires sur le plan politique, du moins pendant toute une période. Mais comment faire comprendre qu'il serait sans doute nécessaire d'avoir dès maintenant une vraie réflexion ? La question peut sans doute sembler abstraite à certains, voire " idéologique ". Elle risque en tout cas de ne pas être comprise si les questions fondamentales sur l'Etat et plus largement une approche matérialiste comme celle du marxisme ne sont pas bien assimilées.
A moins d'en rester à une défiance presque libertaire, celle de Louise Michel par exemple, contre tous les pouvoirs. Mais cela ne nous protègera guère sur une question qui exige un vrai contenu, et pas seulement une réaction presque instinctive…

Pour un processus constituant
Il nous faut donc des références communes. Mais le parti que nous voulons construire sera révolutionnaire et pluraliste. Il intégrera des militants de traditions différentes, y compris au sein du mouvement révolutionnaire : trotskystes, libertaires, syndicalistes révolutionnaires… Une gageure si nous commençons par décréter qu'il faudra être d'accord sur tout pour commencer à construire le parti !
L'important sera évidemment de nous mettre d'accord sur l'essentiel, c'est-à-dire " une compréhension commune des événements et des tâches " pour reprendre la formule de Trotsky sur la définition d'un programme.
Mais ce que nous comprenons de certains épisodes particuliers de l'histoire du mouvement ouvrier, ou du marxisme, ne sont pas non plus des questions abstraites, voire " idéologiques ", que l'on pourrait opposer à la défense d'un programme sans doute plus pratique, davantage centré sur notre intervention, et seul susceptible de nous réunir.
Les deux ne sont pas opposables parce que tout est lié. On l'a vu notamment sur la question syndicale et électorale. Mais il y en a bien d'autres, avec en ligne de mire bien souvent la question de l'Etat qui ne se réduit pas non plus à quelques formules très générales de Marx… ou de Bakounine. Car pour l'aborder et le comprendre, il faut aussi avoir en tête des expériences très précises dans l'histoire du mouvement ouvrier, celle de la Commune sur laquelle il sera sans doute facile de se mettre d'accord, celles de l'Espagne en 36 ou du Chili sur lesquelles ce sera plus compliqué parce qu'elles renvoient à de vraies divergences stratégiques qui n'appartiennent pas qu'au passé…
Ces questions d'histoire, ces références, ne sont pas des questions superflues ou de spécialistes, prisonniers de leurs marottes ou de leurs doctrines particulières. Ce sont autant d'éclairages vivants, précis, qui donnent un contenu réel aux questions majeures que nous nous posons : la construction d'un parti, sa capacité à gagner une influence de masse, les moyens de conquérir le pouvoir…
On peut espérer bien sûr dans l'avenir que nous serons confrontés à des situations inédites, et que nous serons amenés à faire ensemble de nouvelles expériences. Mais nous ne partirons pas non plus de rien, et l'on peut difficilement envisager un ciment solide sans ces discussions approfondies à partir d'exemples du passé, comme sur notre compréhension plus générale du marxisme.
Alors comment faire ? A l'évidence, nous n'allons pas tout régler d'un seul coup, cela n'aurait d'ailleurs pas de sens : inutile d'exiger par avance que des réformistes d'hier deviennent des révolutionnaires pur sucre, ou que les multiples groupes trotskystes, libertaires, ou venus de diverses planètes, se mettent brutalement d'accord après avoir été divisés pendant si longtemps ! Ce ne serait guère raisonnable. Mais ce n'est pas non plus une raison pour ne pas discuter, et pour ne pas essayer de convaincre, parce qu'il y a quand même dans notre bagage commun de trotskystes des préoccupations et des outils qui ne sont ni secondaires ni dépassés.
C'est donc également en ce sens que nous pourrons parler de " processus constituant ". Le parti à construire ne sera pas une reproduction de la LCR. Il ne sera pas non plus sa négation. Nous ferons vraiment avec d'autres et nous ne mettrons pas de préalable inutile à l'élaboration d'un programme commun. Mais nous n'abandonnerons pas non plus l'essentiel en cours de route. Et nous continuerons à dire qu'il y aura par la suite bien des discussions que nous souhaitons mener, qui sont utiles et légitimes, indispensables même si nous voulons réellement asseoir nos pratiques communes sur une compréhension commune.

Jean-François CABRAL

1- D'après Francisco Louça, dirigeant du Bloc des gauches. Entretien réalisé le 7 juillet pour le journal des camarades suisses SolidaritéS retour