Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°171
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11 octobre 2007
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Sommaire : | ||||||||||
Le Che ou les contradictions tragiques d'un révolutionnaire | ||||||||||
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Le Che ou les contradictions tragiques d'un révolutionnaire
Il y a 40 ans,
le 9 octobre 1967 était assassiné le révolutionnaire argentin
surnommé par ses proches le Che, victime d'une embuscade de l'armée
de la dictature bolivienne en place. Depuis, l'image de cet homme jeune et rebelle,
de ce militant qui voulait exporter la révolution cubaine dans le monde
et refusait le bureaucratisme, traqué et tragiquement assassiné,
fascine les jeunes et rappelle à de plus anciens les " années
de braise " des soulèvements anti-colonialistes qui bouleversèrent
le monde de l'après-guerre
Ce que la plupart en retiennent, par delà l'utilisation commerciale de
son image ou son statut de héros officiel du régime castriste,
c'est la beauté de l'engagement pour la liberté et pour changer
le monde, un humanisme révolutionnaire en rupture avec le capitalisme
et le stalinisme. C'est une image fulgurante, symbole tragique des contradictions
et de l'échec d'un combat qui se voulait révolutionnaire et internationaliste,
mais resta prisonnier d'un anti-impérialisme nationaliste et radical,
condamné à s'allier avec la dictature bureaucratique de l'ex-URSS.
Pour nous, il ne s'agit ni de juger, ni de faire un éloge inconditionnel
du mythe, mais de comprendre l'histoire réelle d'un combat et de son
échec.
A l'hostilité voire la haine de tous les partisans de l'ordre, il ne
sert à rien d'opposer une apologie qui ne permet pas de comprendre. Loin
de nous l'idée d'opposer à l'icône du Che celle de Trotsky,
comme on nous le prête souvent. Nous ne nous posons pas le problème
de cette manière. Ni disciples ni fils spirituels de Trotsky, révolutionnaire
militant pour l'émancipation humaine, nous cherchons dans les combats
passés quelles idées nous sont utiles pour les combats d'aujourd'hui,
pour agir.
Le Che symbolise de façon tragique le drame de toute une génération
de militants révolutionnaires qui n'a ni pu ni su trouver le chemin vers
la classe ouvrière, le mouvement ouvrier étant sous l'emprise
du stalinisme. La vague des luttes de libération nationale qui a suivi
la deuxième guerre mondiale n'a pu être dirigée par la classe
ouvrière qui, elle seule, aurait pu être en mesure de sortir ces
luttes de l'impasse du nationalisme en leur offrant une perspective internationaliste
pour en finir non seulement avec l'oppression impérialiste mais avec
le capitalisme. La bureaucratie contre-révolutionnaire stalinienne craignait
la révolution tout autant que la bourgeoisie et n'avait d'autre ambition
que de défendre son propre pouvoir. Confrontée au soulèvement
des peuples, elle fit tout pour les contenir dans le cadre du nationalisme,
quand elle ne s'y opposa pas directement. Le marxisme n'était plus pour
elle qu'une idéologie d'Etat totalitaire, sinistre caricature de la pensée
libératrice, émancipatrice, révolutionnaire de Marx, une
idéologie servant à justifier une politique contraire aux intérêts
des travailleurs et des peuples. Le Che exprime la tentative désespérée
de donner à ces luttes de libération nationale, au cur même
de ces luttes, une dimension internationaliste, échappant au carcan de
Moscou. Vaine tentative si cet objectif n'est pas lié à l'intervention
indépendante de la classe ouvrière
Au moment de construire un nouveau parti, dans une période nouvelle,
aboutissement à la fois de l'effondrement du stalinisme, de l'intégration
des pays nés des luttes de libération nationale au marché
du capitalisme mondial, de l'offensive libérale et impérialiste,
un retour critique sur cette période, ses échecs, ses illusions,
ses mythes nous est indispensable pour répondre au défi de la
nouvelle période.
A
l'heure de l'anti-impérialisme dominé par le stalinisme et le
nationalisme
Le monde dans lequel a agi le Che est façonné par les rapports
de forces internationaux issus de la deuxième guerre mondiale, la "guerre
froide". Deux grandes puissances s'affrontaient, les USA, impérialisme
dominant le monde, et l'URSS post-stalinienne qui, tout en échappant
à leur tutelle, contrôlait d'une main de fer sa population et celle
de son glacis des pays de l'Est. Tout en étant rivales, les deux puissances
maintenaient un statu quo décidé à Yalta dès 1945,
basé sur une commune volonté d'empêcher, chacun dans sa
chasse gardée, tout mouvement populaire pouvant remettre en cause l'équilibre
armé décidé par les grandes puissances sur le dos des peuples.
Le mouvement ouvrier se trouvait de fait, en particulier, dans les pays du Tiers
monde et d'Amérique latine, dévoyé par le réformisme
intégré à la politique de l'impérialisme ou le stalinisme.
En Amérique latine, la tutelle des USA était particulièrement
forte. L'impérialisme féroce de l'United Fruit ou d'autres multinationales
US privait tous ces peuples de leurs richesses, mais aussi des progrès
obtenus pour les besoins du capitalisme lui-même, en matière de
santé, de démographie, d'industrialisation. La paysannerie, en
particulier, y vivait toujours dans une grande détresse. Elle se souleva
comme en Chine, au Vietnam, en une vague de révoltes anti-coloniales.
Les luttes anti-impérialistes prenaient de fait un caractère international
en contradiction tant avec la politique de la bureaucratie de Moscou qu'avec
leurs directions nationalistes même si cela renforçait chacune
d'entre elles en affaiblissant leur adversaire commun.
Dans ce contexte, tout mouvement de contestation, vite classé comme "communiste"
ou même "terroriste" était stigmatisé et réprimé
par les USA et leurs alliés, les puissances impérialistes de second
plan comme la France, et considéré comme manipulé par l'URSS
ou la Chine
Ernesto Guevara de la Serna était de ces jeunes intellectuels qui avaient
la haine de l'impérialisme chevillée au corps. Il se forma au
contact de nationalistes radicaux d'Amérique latine, staliniens ou non,
qui avaient choisi la voie de la lutte armée. C'était la seule
qui leur semblait alors possible pour renverser des régimes honnis aux
ordres des USA comme à Cuba, le régime de Batista. Le Che rejoignit
les hommes de Castro en 1954 au Mexique.
A Cuba, un réel mouvement ouvrier, avec des dirigeants dont certains
étaient trotskistes, y avait été défait lorsque,
suite à une montée des luttes dans les années 30, le Parti
communiste cubain complètement stalinisé et en conséquence
aligné sur la politique d'alliance de Staline avec l'impérialisme
après l'arrivée d'Hitler au pouvoir, avait bradé le mouvement
contre de futurs postes de ministres dans un gouvernement du même Batista.
En Argentine, c'était le populiste Perón qui avait la mainmise
sur la classe ouvrière.
Alors que les paysans se soulevaient en défiant de puissants impérialismes,
le Che et ses camarades ne virent pas dans la classe ouvrière, embrigadée
derrière des populistes ou des réformistes, la force capable de
diriger la lutte. Ils y voyaient tout au plus une force d'appoint. La révolution
devait être menée par une guérilla dont la direction était
composée d'une élite d'intellectuels, d'hommes des villes, et
l'essentiel des troupes d'origine paysanne. Le Che se revendiquait du marxisme,
mais la révolution qu'il préconisait était plus proche
de la révolution chinoise maoïste que d'une révolution ouvrière ;
elle devait être le produit de l'alliance des intellectuels, des ouvriers
et des paysans, et parmi ceux-ci, les petits propriétaires ou les sans
terre plutôt que les ouvriers des plantations des grandes plaines, car
" ces paysans étaient sur des terres appartenant à
l'Etat ou à quelque gros propriétaire, cherchant à acquérir
un lopin de terre, un peu de bien être. Ils devaient continuellement combattre
les exactions des soldats, toujours alliés avec les latifundistes -leur
horizon ne dépassait pas la possession d'un titre de propriété.
Les soldats qui constituèrent notre première armée de guérilla
de paysans venaient de la portion de cette classe sociale qui montre presque
agressivement son désir de possession de la terre qui exprime le mieux
l'esprit catalogué comme " petit-bourgeois " ;
le paysan se bat parce qu'il veut la terre pour lui-même, pour ses enfants
; il veut la diriger, le vendre, et devenir riche par son travail ".
C'est cette condition qui en faisait des troupes acharnées au combat,
mais c'était aussi leur limite. Le but d'une telle révolution,
son programme tel que Castro le définit en créant le mouvement
du 26 juillet, n'était pas la fin de toute propriété, mais
la réforme agraire, la démocratie, la fin des exactions et de
la corruption du pouvoir et de l'armée à la solde des USA. Le
petit groupe de Castro, une vingtaine de jeunes au départ, mit en place
une guérilla qui, en 3 ans, de 1956 à 1959, réussit à
affaiblir une armée bien supérieure numériquement, techniquement,
aidée par les USA, puis à contrôler des régions entières
comme un mini Etat. Fin 1958, elle provoqua la fuite du dictateur, lâché
même par les Etats-Unis. Une puissante grève générale
accueillit l'arrivée triomphale des troupes de ce qui allait être
la future armée de Cuba à La Havane, le 1er janvier 1959.
Les guérilleros, les barbudos avaient en effet créé des
liens d'estime et de confiance avec les paysans par l'organisation de leur résistance
clandestine dans les montagnes les plus inhospitalières, celles de la
Sierra, par leur présence militaire mais attentionnée, proche
des plus démunis. Le Che était très attaché à
l'instruction de ses combattants, à la santé des populations,
ce qui avait entraîné en retour leur silence, leur complicité,
voire l'engagement de plus en plus de jeunes recrues paysannes dans l'armée
de guérilla, pourtant dirigée par des " blancs "
issus dans leur grande majorité de la petite bourgeoisie citadine.
La structure même de cette armée de guérilla nécessitait
non seulement la plus grande confiance politique et la plus forte discipline,
mais aussi une organisation pyramidale dont le chef incontesté était
Castro. Il en fut de même dans le Parti qu'ils construisirent après
la prise du pouvoir. Le Che écrit ainsi en 1966 : " A
la tête de l'immense colonne -nous n'avons pas honte de le dire- marche
Fidel, derrière lui vont les meilleurs cadres du Parti et, immédiatement
après, si près que l'on sent sa force énorme, vient l'ensemble
du peuple qui marche fermement vers le but commun ". Ce but, le
renversement de Batista, avait fini par entraîner le ralliement d'une
partie de la bourgeoisie radicale, lasse des exactions du dictateur, voulant
sa part du gâteau de l'économie nationale bradée aux USA.
Le Che l'explique en disant dans un autre article en 1961 : " Il
est compréhensible que la bourgeoisie nationale, ruinée par l'impérialisme
et la tyrannie, ait vu avec une certaine sympathie ces jeunes gens des montagnes
punir l'armée mercenaire, instrument au service de l'impérialisme.
Cette force, non révolutionnaire pourtant, aida en fait la révolution
à s'emparer du pouvoir ". Du coup, le mouvement de Castro
qui ne se revendiquait pas du communisme, appelé Mouvement du 26 Juillet
en souvenir de l'attaque de la caserne de la Moncada en 1953, avait des revendications
avant tout démocratiques libérales, le Che définissant
Castro dans une lettre à un dirigeant du Mouvement du 26 Juillet en 1958 :
" J'ai toujours considéré Fidel comme un véritable
leader de la bourgeoisie de gauche, mais sa figure est rehaussée par
des qualités personnelles extrêmement brillantes qui le placent
bien au-dessus de sa classe. C'est avec cet esprit que j'ai engagé le
combat : en toute honnêteté, sans espoir d'aller au-delà
de la libération du pays, disposé à partir lorsque les
conditions postérieures de la lutte l'orienteront vers la droite (vers
ce que vous représentez) ".
C'est seulement lorsque la bourgeoisie " patriote " décida
de soutenir la guérilla que celle-ci sortit de son isolement dans la
montagne, trouva des fonds et des liaisons avec y compris une partie du mouvement
syndical urbain, même bureaucratisé. C'était un milieu dont
le Che se méfiait, lui préférant les hommes de la guérilla
trempés à la lutte armée, animés d'une haine qui
n'avait d'équivalent chez les militants urbains que leur sectarisme (en
ce qui concerne le PC) ou leurs compromissions très récentes avec
le régime (pour les plus proches de la bourgeoisie).
Parvenus au pouvoir, le Che et Castro laissèrent d'ailleurs dans un premier
temps la présidence et les principaux postes de responsabilité
à des bourgeois comme Urrutia ou le Docteur Dorticós, tout en
conservant le commandement militaire, mais en demandant expressément
aux ouvriers et paysans de déposer les armes et de s'enrôler dans
la nouvelle armée cubaine.
Ces gestes n'ont cependant pas empêché l'intransigeance des USA,
dans ce contexte de guerre froide où il ne fallait aucune contestation
de leur mainmise dans leur pré carré. Le drapeau soulevé
par les masses cubaines et la guérilla était un défi à
190 kilomètres de leurs côtes. Pire, c'était un affront,
au moment où d'autres masses paysannes se soulevaient à travers
le monde.
Alors, bien que les dirigeants cubains aient cherché d'abord le compromis,
Castro se rendant même aux USA, le gouvernement américain s'est
aussitôt opposé au nouveau régime, et a instauré
l'embargo inique encore en place aujourd'hui.
Le régime cubain s'est alors radicalisé en s'appuyant sur l'adhésion
des masses, surtout suite à la tentative d'invasion de l'île à
la Baie des Cochons, en avril 1961. Acculé à commercer avec l'autre
géant de l'époque, l'URSS, et sanctionné pour cela, le
régime cubain s'est proclamé socialiste en mai 1961 et a intensifié
les nationalisations de biens américains, le commerce avec l'URSS et
ses satellites ainsi que la réforme agraire.
Le Che se retrouve alors Président de la Banque de Cuba puis Ministre
de l'industrie d'un pays pauvre enserré dans l'embargo. Il deviendra
le défenseur de la production dans ces conditions extrêmement difficiles
(sous le régime du rationnement, de l'interdiction du droit de grève),
préférant les " incitations morales " (médailles,
prix
) aux avantages pécuniaires mis en avant par les partisans
d'un stakhanovisme stalinien.
Il combattait, en défendant " l'homme nouveau " au
milieu de toutes ces épreuves, la bureaucratisation naissante au sommet
du régime, lui opposant un modèle humain très volontariste
et élitiste, mû par la seule émulation socialiste. C'est
ce qu'il définit dans une lettre en 1966 : " Le groupe
d'avant-garde est idéologiquement plus avancé que la masse ;
celle-ci connaît les nouvelles valeurs, mais insuffisamment. Alors que
chez les premiers, il se produit un changement qualitatif qui leur permet de
se sacrifier dans leur fonction d'avant-garde, les seconds sont moins conscients
et doivent être soumis à des pressions d'une certaine intensité
; c'est la dictature du prolétariat s'exerçant non seulement sur
la classe vaincue, mais aussi, individuellement, sur la classe victorieuse.
Ce qui implique, pour que le succès soit total, la nécessité
d'une série de mécanismes : les institutions révolutionnaires
-ensemble harmonieux de canaux, d'échelons, engrenage bien huilé-
qui seules permettront la sélection naturelle de ceux qui sont destinés
à marcher à l'avant-garde et la répartition des récompenses
et des châtiments selon les mérites de chacun ".
Là où des camarades ont cru voir à Cuba " un
exemple de la confirmation pratique de la théorie de la révolution
permanente ", Castro et le Che défendaient une économie
de survie nationale, entièrement dépendante de l'URSS, ce qui
les entraînait à ne pas dénoncer -voire à l'approuver-
la politique de celle-ci et de ses alliés.
Les réquisitions, les nationalisations de biens américains ne
constituaient pas le socialisme. Elles se sont faites avec l'accord de la partie
la moins réactionnaire de la faible bourgeoisie cubaine, celle qui n'a
pas fui à Miami. Elles ont été imposées par en haut,
sans contrôle ni auto organisation de la population, enrôlée
dans des milices et des comités de défense de la révolution
entièrement contrôlés par le régime.
Insatisfait de la bureaucratisation du régime acculé à
de graves difficultés économiques, la seule émulation ne
suffisant pas à faire redémarrer l'économie, l'absentéisme
et le chômage se développant à cause des bas salaires voire
de l'absence de salaire, le Che décida d'aller chercher du soutien politique
et économique chez d'autres nations du Tiers monde récemment indépendantes
auprès desquelles il défendit la révolution cubaine.
" Créer deux, trois, de nombreux Vietnam ",
des foyers révolutionnaires partout dans le monde contre l'impérialisme
américain, tel était son mot d'ordre. Mais à l'heure où
des alliés du peuple cubain et des autres masses insurgées existaient
y compris au sein du monstre américain, comme le mouvement noir aux Etats-Unis,
Cuba n'eut aucun geste à leur égard, respectant ses alliances
avec la bourgeoisie cubaine et l'URSS.
C'est suite au Discours dit d'Alger en 1965, où le Che se permit de critiquer
les pays de l'Est " complices dans une certaine mesure de l'exploitation
impérialiste ", qu'il fut écarté par Castro.
Persona non grata en URSS, il quitte alors le gouvernement cubain, sans rompre
politiquement avec Castro. Dans sa lettre d'adieu, le Che lui écrit :
" Je me sens fier de t'avoir suivi sans hésiter, de m'être
identifié à ta façon de penser et de voir
D'autres
terres en ce monde réclament le concours de mes modestes efforts. Je
peux faire, moi, ce que tes responsabilités à la tête de
Cuba ne te permettent pas, et l'heure est venue de nous séparer ".
Le Che part alors clandestinement avec un petit groupe de cubains noirs encadrer
une guérilla au Congo. Il renoue avec la lutte armée, se raccrochant
à l'espoir d'ouvrir de nouveaux foyers anti-américains par l'unique
force des fusils et de l'exemple.
Suite à l'échec complet de cette tentative, la guérilla
ressemblant plus à de la soldatesque qu'à une armée de
libération (avec à sa tête celui qui allait devenir le dictateur
Kabila), début 1967, le Che part en Bolivie, persuadé que les
Andes seront " la Sierra Maestra de l'Amérique latine ".
Mais c'est dans la précipitation, avec très peu de lien avec les
villes dont les ouvriers sont sous l'emprise du PC stalinien. Le dirigeant du
PC bolivien, Monje, se rend même au camp de la guérilla pour persuader
des militants qui ont rejoint le Che de revenir auprès de lui. Ce qu'ils
ne feront pas. Castro et le PC cubain gardent un silence total, même lorsqu'on
apprend que le dernier lien de la guérilla avec la ville a été
brisé par la dictature bolivienne. Des mineurs seront réprimés
pour s'être solidarisés avec la guérilla malgré leurs
directions staliniennes, en juin 1967.
Au bout de quelques mois, la petite vingtaine d'hommes de la guérilla
bolivienne du Che, affamés et malades, victimes de désertions
et de dénonciations, tomberont le 8 octobre 1967. Le gouvernement alertera
la CIA, dont un des agents ordonnera la mise à mort du Che le lendemain.
On enverra ses mains coupées dans du formol aux USA pour authentification
Mais il faudra attendre 1997 pour que les militaires dévoilent enfin
sa sépulture ; ils craignaient trop qu'elle ne se transforme en un lieu
de culte ! L'image de la révolte des peuples qu'il incarnait les obsédait
à juste titre.
La
fin du stalinisme et l'impasse des luttes de libération
L'immense révolte des peuples, encadrée au mieux par des nationalistes
radicaux, a abouti, non au reversement du système, mais à des
régimes, certes indépendants, mais dominant et étouffant
leur peuple. Le Che a voulu rompre le piège qui se refermait sur la révolution
cubaine et ses acteurs au nom d'un idéal internationaliste qu'il décrit
ainsi dans son article " Créer deux, trois Vietnam " :
" Résumons nos aspirations à la victoire : destruction
de l'impérialisme par l'élimination de son bastion le plus fort
: la domination impérialiste des Etats-Unis d'Amérique du Nord.
Adopter pour mission tactique la libération graduelle des peuples, un
par un ou par groupes, en obligeant l'ennemi à soutenir une lutte difficile
sur un terrain qui n'est pas le sien, en liquidant ses bases de subsistance
que sont ses territoires dépendants ".
L'impasse tragique de cette politique est aujourd'hui un fait politique. Les
dictatures qui sévissent dans les pays devenus indépendants le
montrent amplement. La mouture stalinienne du marxisme transformé en
idéologie d'Etats totalitaires, dont le Che n'a pu qu'effleurer, ébaucher
la critique, est ensevelie avec les dictatures d'URSS et des pays de l'Est,
avec la Chine reconvertie au capitalisme sauvage, la Tchécoslovaquie
déchirée en deux Etats réactionnaires
Mais le marxisme vivant, et non sa caricature stalinienne, demeure un outil
d'analyse pour l'action. Il ne peut pas y avoir de socialisme sans participation
massive, consciente, démocratiquement organisée des masses opprimées,
sous la direction de la classe qui peut déposséder la bourgeoisie
internationale, la classe des salariés.
Il ne peut y avoir que des " caricatures de socialisme ",
selon l'expression du Che, en fait des régimes nationalistes radicaux,
si les moyens de production restent entre les mains de la bourgeoisie, aussi
faible soit-elle.
Et le socialisme est impossible dans un seul pays qui plus est sous-développé,
même si les masses adhèrent à un projet alternatif au capitalisme
sans en être les moteurs, même au prix d'énormes sacrifices.
La lutte contre l'impérialisme est plus que jamais une lutte large, nécessitant
une organisation démocratique des opprimés y compris dans des
pays de dictature, même quand elle est clandestine.
La classe des opprimés est, par la fonction que lui attribue l'impérialisme,
organisée dans des structures socialisées, des usines, des quartiers
où le travail ou l'absence de celui-ci sont vécus collectivement.
La classe ouvrière est aujourd'hui la classe de loin la classe la plus
nombreuse dans le monde, produisant l'ensemble des richesses. Elle est venue
gonfler les bidonvilles, comme en Bolivie. La population des grandes agglomérations
y a augmenté de 446 % en 45 ans. Ce sont autant de paysans, souvent indigènes,
arrachés à la terre qui se retrouvent ouvriers, employés,
précaires ou chômeurs dans les villes.
Avec la fin de l'URSS, la chute du mur de Berlin, une nouvelle période
politique s'est ouverte. Avec la mondialisation accélérée
par des années de reculs sociaux et politiques du monde du travail, le
réformisme social-démocrate a cédé la place au social-libéralisme
gestionnaire de l'impérialisme libéral mondialisé.
L'ensemble de ces facteurs a ouvert la voie à une nouvelle conscience
anticapitaliste à l'échelle de la planète, perceptible
dans la montée des luttes en Amérique latine portant des populistes
ou des hommes et femmes politiques de gauche au pouvoir, la montée des
mécontentements, reflétée dans le mouvement altermondialiste,
dans le développement d'organisations politiques ou syndicales à
gauche de la gauche.
Ce qui pose le problème de la construction d'un parti pour l'organisation
démocratique des opprimés autour de la classe des salariés,
la seule à même de contrôler et faire fonctionner les moyens
de production socialisés pour le compte de la majorité de la population.
Ses militants sont des héros de tous les jours, des travailleurs du rang
ayant créé des liens de discussion, de confiance dans la lutte,
appris collectivement les responsabilités sans autre émulation
que celle du combat collectif quotidien.
L'internationalisme est plus que jamais, non un " devoir ",
mais une nécessité. " La Patrie ou la mort ",
slogan du Che, est encore plus qu'au lendemain de la deuxième guerre
mondiale un slogan dépassé, à l'heure où la socialisation
des moyens de production sous contrôle des travailleurs à grande
échelle est bien plus à l'ordre du jour.
Ce sont des marxistes qui ont dévoilé ces contradictions du capitalisme.
Trotsky a poursuivi la lutte en continuité avec les idées du socialisme
et du communisme révolutionnaire, contre la dégénérescence
stalinienne de la révolution ouvrière en Russie, la perversion
du marxisme en idéologie nationaliste servant à justifier le parasitisme
bureaucratique. C'est en ce sens que nous nous voulons ses héritiers.
Ce n'est pas regarder vers le passé que d'affirmer cet héritage.
C'est s'en servir pour tirer, avec tous les militants, quelle que soit leur
histoire, leur filiation, les leçons du passé parfois dramatique
du mouvement ouvrier mais aussi d'une immense richesse comme celle d'octobre
17 en Russie, l'expérience d'une révolution ouvrière victorieuse.
Pas
de modèle du socialisme, mais la lutte de classe jusqu'au bout
Car nous ne partons pas de rien. Une page de l'histoire du mouvement ouvrier
est tournée qui n'est pas vierge. Loin de condamner ou encenser, nous
avons besoin de définir, à la lumière de ces expériences,
dans le débat d'aujourd'hui, nos perspectives révolutionnaires.
Dans les années 68, le mouvement international de contestation du capitalisme
s'est, pour l'essentiel de ses forces, tourné vers les mouvements révolutionnaires
du Tiers monde, en faisant l'apologie de la lutte de guérilla, voyant
dans ces mouvements la force qui briserait le carcan stalinien sans voir que
cela ne pouvait se faire dans une perspective démocratique et progressiste
que par l'intervention indépendante de la classe ouvrière.
Ces illusions qui ont porté toute une génération sont aujourd'hui
sans contenu, elles cèdent la place à une nouvelle conscience
révolutionnaire. Le Che a contribué, par son engagement entier
dans la lutte, sans compromis, sans crainte des conséquences de ses idées,
de ses choix, à maintenir en vie la perspective d'une transformation
révolutionnaire de la société pour l'émancipation
humaine par delà les limites d'une période dramatique de l'histoire
du mouvement ouvrier.
C'est, quant au fond, de là que vient l'éclat de sa personnalité,
son rayonnement qui jette une vive lumière sur l'actualité du
combat révolutionnaire, démocratique.
Sophie
Candela