Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°172
18 octobre 2007

Sommaire :
18 octobre, un tournant vers le "tous ensemble" ?


18 octobre,

un tournant vers le " tous ensemble " ?

 

Si vous voulez ma conviction, je pense que cette grève sera forte, que ce mouvement sera très fort, et j'ai même le sentiment qu'il devrait n'y avoir quasiment pas de train, de bus ou de métro ", déclarait dimanche Xavier Bertrand, ministre du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité… Dans l'intention, sans doute, de conjurer le sort, alors que s'annonçait une mobilisation des cheminots sans précédent, la plus importante depuis décembre 1995, et que s'allongeait la liste des autres secteurs, gaziers, électriciens, RATP, etc., qui se joignaient au mouvement.
Il n'aura pas été déçu.
Plus de 73 % du personnel de la SNCF a fait grève, plus qu'aux moments les plus forts de décembre 95, où elle avait atteint 60 %. La circulation des trains était pratiquement bloquée, ainsi que celle des métros et RER à Paris. Une mobilisation qui montre la détermination des cheminots à ne pas reculer sur leurs régimes de retraite, et qui rend d'autant plus inacceptable la position de la CGT qui n'appelle toujours pas à la poursuite du mouvement, alors que dans la région parisienne, à Lyon, à Marseille, des assemblées générales ont décidé la poursuite de la grève pour vendredi, ainsi qu'à la RATP.
Le mouvement a été largement suivi également chez les gaziers et les électriciens, dont les confédérations appelaient à la grève. Dans d'autres secteurs comme la Poste, l'Education nationale, les Hôpitaux, des équipes militantes ont entraîné leurs collègues dans le mouvement, tentant d'en faire l'amorce du nécessaire " tous ensemble ".
Des manifestations regroupant plusieurs milliers de travailleurs (300 000 en tout, 25 000 à Paris, 50 000 à Marseille d'après la CGT) ont eu lieu dans plus de 70 villes, comprenant de nombreuses délégations d'entreprises privées, qui ont fait de cette journée l'occasion de manifester leur ras-le-bol, leur volonté d'une riposte commune aux méfaits du gouvernement en particulier et du capitalisme en général. De nombreux étudiants ont aussi profité de l'occasion pour crier leur refus des accords sur l'autonomie de l'université obtenus début juillet par Pécresse.
Et l'ensemble du mouvement s'est construit sous la pression des cheminots, d'équipes militantes prenant les affaires en main pour secouer les routines des appareils syndicaux…
Cette contestation massive et populaire de la politique de Sarkozy arrive au moment même où se multiplient les " affaires ", révélant au grand jour la véritable nature de ses donneurs d'ordres et amis.
Tels les grands actionnaires et cadres supérieurs d'EADS, qui ont massivement spéculé sur les difficultés à venir d'Airbus, avant de lancer, leurs poches pleines, un " plan de sauvegarde " jetant à la rue des milliers de salariés.
Tel Gautier-Sauvagnac, dirigeant de l'IUMM, syndicat patronal de la métallurgie affilié au Medef, pris la main dans le sac, faisant des retraits de plusieurs milliers d'euros en espèces dans les caisses occultes de son syndicat, et pour des destinations inconnues…
Le même Gautier-Sauvagnac dirigeait la délégation patronale aux négociations sur " la modernisation du marché  du travail ". Parisot a dû lui trouver une remplaçante…
La contestation de la rue rejoint celle des magistrats qui s'opposent à la réforme du système judiciaire que tente d'imposer Rachida Dati. Celle des internes des hôpitaux, qui veulent garder leur liberté d'installation et contestent la réforme du système de santé, qu'ils accusent de conduire à une santé à deux vitesses.
Celle aussi de la loi sur l'immigration, dont la polémique sur les tests ADN a traversé les rangs de la droite et du gouvernement lui même. Une querelle parmi bien d'autres au sein d'une majorité dont les divisions éclatent au grand jour : Villepin multiplie les attaques contre son ancien ministre de l'intérieur, tandis qu'il est lui-même très sollicité par les juges, sur l'affaire Clearstream, et maintenant EADS…
Le succès de la mobilisation du 18 est le signe de l'échec de la politique d'isolement des cheminots. Les attaques tous azimuts, qui visaient à assommer, se retournent, et aident au contraire à la convergence des mécontentements.
Le gouvernement courbe l'échine, cherchant à conjurer le sort et attendant que l'orage passe pour reprendre la main. Il espère pour cela s'appuyer sur des directions syndicales inquiètes devant la poussée des équipes militantes, des travailleurs du rang, et compte sur leur volonté de ne rien faire pour favoriser la convergence des luttes, la construction d'un véritable " tous ensemble ". Loin de s'appuyer sur l'ampleur de la contestation pour exiger que le gouvernement remballe son projet et enchaîner sur la revendication d'un retour de tous à 37,5 ans de cotisation, Thibault exige du gouvernement… " la convocation de réelles séances de négociations " ! Exactement ce que propose Xavier Bertrand !
Le Figaro, lui, mesure bien l'enjeu politique de cette journée. " Après la victoire dans les urnes, après l'état de grâce, après l'ouverture, voici venue la salutaire épreuve de force qui pourrait définir sa présidence " écrivait-il dans un édito intitulé " Le chantage de la France d'hier ". Autrement dit, alors que pour toute une partie de la droite, la politique actuelle est faite de louvoiements et de compromis qui retardent d'autant la mise en œuvre des réformes, les affrontements sociaux qui pourraient commencer le 18 pourraient être l'occasion pour Sarkozy de gagner la bataille sociale là où Juppé l'avait perdue à 1995. Ce serait ainsi le véritable début de son quinquennat, celui d'un président de droite qui impose sa loi.
Mais quelles que soient les stratégies présidentielles, la véritable question est de savoir comment les travailleurs et les militants pourront y faire échec. La réponse dépend de la profondeur du mécontentement, mais aussi de la capacité des équipes militantes qui veulent aller vers un mouvement d'ensemble à se coordonner pour faire pression, à prendre des initiatives.
Le poids des capitulations des derniers mois est lourd, celui des défaites passées aussi. Mais le 18 marque aussi la fin de la déprime post-électorale. Se retrouver plusieurs dizaines de milliers au coude à coude dans la rue à crier sa colère est une première revanche sur l'élection de Sarkozy et l'effondrement politique de la gauche, le signe qu'il est possible d'inverser le rapport de force, que les choses sont peut-être en train de changer.
Les réflexes des mouvements de 2003, de la lutte contre le CPE, se réveillent. Les jeunes retrouvent le chemin de la rue. Tout cela participe de la construction d'une nouvelle conscience de la lutte, en rupture avec la politique des directions syndicales, dominées par l'offensive des patrons et du gouvernement, engluées dans le " dialogue social ".
Le 18 indique clairement qu'un mouvement d'ensemble se prépare, mûrit, cherche une politique. La discussion sur les suites est ouverte, chacun a bien conscience qu'il n'est pas possible d'en rester là. La révolte contre la passivité des directions syndicales s'exprime.
Le tous ensemble se prépare dès demain…

Eric Lemel