Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°175
8 novembre 2007

Sommaire :
Programme pour les luttes et programme pour la transformation révolutionnaire de la société


Programme pour les luttes
et programme pour la transformation
révolutionnaire de la société

Les mouvements de grèves qui s'annoncent pour les semaines à venir contre la politique du gouvernement montrent à quel point la bataille pour la convergence des luttes se combine avec une nécessaire réponse politique à la propagande du gouvernement. Car par-delà les différentes revendications mises en avant, défense des régimes spéciaux, des services publics, la question des salaires, c'est bien la même politique d'ensemble du gouvernement et du patronat que les salariés remettent en cause.
Le gouvernement prétend que ses réformes sont inévitables, "nécessaires au pays", et face à cela les directions syndicales semblent paralysées, parce qu'elles n'osent pas dire qu'elles sont contre les "réformes" en cours. La principale force du gouvernement est l'acceptation par la gauche tant syndicale que politique de ces réformes comme horizon indépassable. Les directions syndicales comme le PS n'ont d'autres politiques que de demander des négociations, de la concertation, du dialogue, mais ils ne remettent pas en cause le fond de la politique du gouvernement et du patronat.
Formuler une contre-argumentation à la propagande gouvernementale, exigeant l'égalité par le haut, les 37,5 annuités pour tous, des augmentations de salaires, implique d'exiger une autre répartition des richesses et donc de contester le fond même de la politique de la bourgeoisie, son ordre social.
La construction d'un parti anticapitaliste s'inscrit ainsi dans les besoins très concrets des luttes en cours pour opposer à la propagande libérale du gouvernement une politique cohérente mettant en avant les exigences et les besoins du monde du travail, une politique se situant du point de vue des intérêts des salariés, c'est-à-dire qui ne craigne pas de remettre en cause le pouvoir des classes dominantes en poussant la logique de la lutte des classes jusqu'au bout.
Ainsi, à travers la bataille engagée pour un nouveau parti, il s'agit d'aider à la reconstruction d'une conscience de classe au sens le plus élevé de cette idée, la conscience du rôle révolutionnaire de la classe ouvrière.
Face à la politique des directions syndicales, du PS et du PC, bien des militants se détournent de la politique en pensant qu'il faut se limiter au terrain des luttes sociales. Opposant l'action immédiate, concrète, à ce que certains appellent des définitions idéologiques... Cela conduit à penser que le nouveau parti devrait regrouper autour d'un programme d'action large sans références, dites idéologiques, à l'histoire du mouvement ouvrier.
Seulement, répondre à l'offensive politique de la bourgeoise n'est pas qu'une simple question d'action pratique mais bien une question de programme définissant une perspective politique pour les luttes, s'appuyant sur une conscience de classe pleinement indépendante de la bourgeoisie.
La question du programme est avant tout une question concrète, pratique, à travers laquelle s'expriment les contradictions et les besoins même de la situation. La nécessité d'oeuvrer à la convergence des luttes, et pour cela de les unifier dans une politique d'ensemble opposée à celle du gouvernement, oblige à poser la question des perspectives pour en finir avec cet ordre social, et donc d'un programme révolutionnaire.
Au moment où l'histoire comme la politique actuelle du PS et du PCF semblent disqualifier les idées dont ils étaient porteurs, il faut se demander ce que nous gardons du passé, de l'expérience des luttes d'émancipation du siècle passé. Il n'est pas possible d'éluder la question.
Il s'agit de discuter de ce qu'il faut nous réapproprier de l'expérience pratique et théorique du mouvement ouvrier du point de vue des combats à mener pour aider à l'émergence d'un parti défendant jusqu'au bout les intérêts des classes exploitées, d'un parti porteur d'un projet de transformation révolutionnaire de la société.
C'est une discussion de fond sur les tâches, le rôle du parti que nous voulons, sur ses rapports avec l'ensemble du mouvement social… sur ses bases programmatiques. Ce qui implique une discussion sur les raisonnements, les conceptions théoriques, philosophiques qui les sous-tendent.

La question du programme n'est pas une question "idéologique"
Rattacher la question du programme à toute l'histoire des expériences du passé ne relève pas d'une démarche idéologique, "c'est-à-dire le fait de s'occuper d'idées prises comme entités autonomes, se développant d'une façon indépendante et uniquement soumises à leurs propres lois", comme le décrit Engels. Les combats du passé n'ont pas été la mise en œuvre de constructions doctrinaires indépendantes de l'intervention militante pratique et sur lesquels nous pourrions aujourd'hui débattre pour en dissocier "le bon et le mauvais" en fonction du résultat… Il y aurait là pur pédantisme.
De la Commune de Paris à la Révolution Russe, à chaque étape de la lutte des classes, les militants du mouvement ouvrier ont cherché à apporter des réponses concrètes à des situations concrètes, en intervenant dans le déroulement même du combat. Les programmes du mouvement ouvrier, qui ont évolué et se sont enrichis à chaque étape de la lutte, les théories socialistes, communistes, sont nés de cette activité pratique, militante.
Comme Marx l'exprimait dans le Manifeste du Parti communiste : "Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventées ou découverts par tel ou tel réformateur du monde. Elles ne sont que l'expression générale des conditions réelles d'une lutte de classe existante, d'un mouvement historique qui s'opère sous nos yeux".
C'est avant tout cette méthode qu'il faut nous approprier, celle du marxisme, du socialisme scientifique. Le marxisme est né en rupture avec les utopies socialistes du passé, qui ne voyaient dans le socialisme que la réalisation d'un modèle de société idéale, partant de la critique du capitalisme mais restant le plus souvent coupées de la réalité des luttes sociales, de l'intervention réelle de la classe ouvrière car ne voyant pas en elle l'acteur de sa propre émancipation.
Le socialisme scientifique est une pensée vivante et concrète qui se nourrit de l'ensemble des progrès de la pensée humaine pour les appliquer aux luttes d'émancipation. Non pas pour fabriquer un système social aussi parfait que possible mais pour étudier le développement historique de l'économie qui a engendré les classes sociales et leur antagonisme et découvrir dans les contradictions de la situation sociale et politique les moyens de régler le conflit, en menant cette lutte des classes jusqu'au bout.
Le socialisme scientifique repose avant tout sur le pragmatisme de la lutte des classes, le pragmatisme de la lutte pour l'émancipation des opprimés qu'il s'agit de rendre consciente en partant du fait que "l'émancipation des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes".
Si notre courant, l'extrême gauche trotskiste, a une grande responsabilité dans la perspective de la construction du nouveau parti c'est que, né de l'opposition au stalinisme et du combat contre l'adaptation réformiste à l'ordre bourgeois, il a contribué à travers la diversité de son histoire à maintenir vivante la filiation avec le socialisme scientifique.
Souvent il est arrivé aux idées de Trostsky d'être transformées en formules idéologiques répétées mécaniquement hors de toute réflexion et pensée vivante. Mais pour nous, le trotskisme est avant tout la continuité avec le socialisme scientifique tel qu'Engels le définit dans sa brochure Socialisme utopique, socialisme scientifique : "(…) donner à la classe qui a mission d'agir, classe aujourd'hui opprimée, la conscience des conditions et de la nature de sa propre action, voilà la tâche du socialisme scientifique, expression théorique du mouvement prolétarien."
Le courant trotskiste, malgré bien des errements et des caricatures, sans échapper à la pression du recul et du stalinisme, représente la lutte contre les déformations qui étaient faites du marxisme militant. Sans ce combat, c'est cette continuité qui aurait été rompue.
En effet, les reculs, les échecs et les trahisons qui ont marqué le mouvement ouvrier du siècle passé ont donné naissance à toutes sortes d'idéologies se revendiquant du socialisme, du marxisme, mais qui n'en étaient que des caricatures. Ces "idéologies" sont en rupture non seulement avec la méthode mais surtout avec l'objectif même du marxisme : rendre conscientes à la classe des salariés ses propres actions.
La social-démocratie a théorisé son adaptation au capitalisme dès le début du XXème siècle, pour finir aujourd'hui par une totale conversion au libéralisme. Elle ne défend plus depuis longtemps un projet de transformation de la société, mais tout au plus un accompagnement pour atténuer les ravages engendrés par le libéralisme, par l'économie de marché qui reste son horizon indépassable.
Le stalinisme a transformé le marxisme en un dogme mort servant à justifier les privilèges et la dictature d'une bureaucratie naissante en URSS… Cette monstruosité stalinienne a permis de tout justifier, de la répression contre la classe ouvrière et les peuples aux multiples virages d'une politique ne visant qu'à défendre les intérêts d'un appareil bureaucratique. Le dogme du parti unique, " éclairant " et dirigeant les masses, a même pu servi d'idéologie, toute prête, aux mouvements nationalistes d'après guerre pour garder la direction du soulèvement des peuples contre le colonialisme.
Il nous est indispensable de comprendre cette histoire, comprendre comment derrière bien des débats dits idéologiques il y a surtout les déformations et les caricatures que la social démocratie ou le stalinisme ont fait du marxisme. D'une pensée vivante, arme de la lutte des classes, ils ont fait un dogme servant à justifier leur renoncement et leur adaptation à l'ordre social.
Nous réapproprier cette histoire du mouvement ouvrier, c'est la comprendre avec les limites imposées par ses échecs, et c'est en dégager l'essentiel, le socialisme scientifique et ce qui en fait la continuité : la conscience du rôle révolutionnaire de la classe des salariés. Il ne s'agit pas d'un credo idéologique, mais d'une claire compréhension des contradictions fondamentales qui traversent cette société d'exploitation et qui s'expriment dans les luttes que mène le monde du travail. Et c'est cette compréhension qui fonde la possibilité de reconstruire une conscience de classe, c'est-à-dire de rendre conscients à la classe des salariés les enjeux de son propre combat.
En effet, les acquis théoriques, politiques, du mouvement ouvrier ne sont pas des dogmes inventés par quelques réformateurs du monde mais bien le produit de l'activité pratique, militante au cœur même de la lutte de classe.
C'est pour cela qu'il ne s'agit ni de s'accrocher à des références du passé qui seraient la seule garantie de construire un parti véritablement révolutionnaire, comme le caricature Lutte Ouvrière, ni au contraire de s'en détourner au nom d'une critique des "idéologies" en espérant éviter les échecs passés mais sans en tirer les leçons. Cela reviendrait à amputer notre combat de sa dimension historique, c'est-à-dire le vouer à l'impuissance.
La seule façon de ne pas être dominé, intellectuellement et moralement, par la bourgeoisie, c'est de lui opposer l'histoire des luttes d'émancipation et d'inscrire notre propre combat dans cette continuité historique, dans la continuité des faits sociaux et politiques qui ont jalonné les luttes et les progrès du mouvement ouvrier. Dans cette continuité, le programme ne peut se concevoir que comme l'expression la plus conséquente des besoins de la lutte des classes en reliant concrètement la lutte quotidienne à la perspective d'un projet de transformation révolutionnaire.

Le nouveau parti, produit et instrument de la lutte des classes jusqu'au bout
Ce sont les conditions objectives qui caractérisent la nouvelle période qui fondent la nécessité d'engager la bataille pour un nouveau parti. Face à la mondialisation, cadre d'une offensive généralisée de la bourgeoisie, face au social-libéralisme, à l'effondrement du PCF et la paralysie complice des directions syndicales, le besoin d'un nouveau parti exprime le besoin d'une force politique représentant les intérêts des classes exploitées, instrument de leur défense, en rupture avec le système d'exploitation et les institutions dont elles sont victimes, en rupture aussi avec les partis issus des luttes du mouvement ouvrier mais qui se sont intégrés au système.
C'est cette situation qu'il nous faut comprendre, c'est d'elle qu'il faut partir en s'émancipant de tous les schémas hérités de la période précédente, qui ne font que figer des étapes d'un combat qui a été mené dans de toutes autres conditions.
Nous sommes pleinement solidaires de l'histoire du mouvement révolutionnaire comme des luttes d'émancipation des peuples, mais les militants qui les ont mené ont du faire face, répondre aux conditions de la lutte telles qu'ils les ont trouvées. Leurs réponses, les politiques qu'ils ont mené, qu'elles aient été victorieuses ou pas, ne voulaient pas être des solutions valables en tout temps et en toute heure. Comprendre les combats du passé, cela signifie comprendre les politiques menées face à des situations précises, historiques. C'est indispensable car cela fait partie de toute la richesse de l'expérience accumulée par le mouvement ouvrier, le mouvement révolutionnaire, mais cela ne peut constituer en aucun cas des modèles à suivre et d'ailleurs pas plus dans le passé du mouvement ouvrier qu'aujourd'hui.
Il n'y a pas de modèle, il n'y a pas à chercher à imiter ce qui serait la bonne voie, la bonne réponse, mais à travers les différentes étapes de l'histoire du mouvement ouvrier, ses combats ont inscrit dans les faits des apports d'une portée universelle, accumulant ainsi toute une expérience théorique et pratique qui constitue un programme de transformation révolutionnaire de la société.
La révolution russe, apogée de l'histoire du mouvement ouvrier, a enrichi le programme révolutionnaire d'une série d'acquis fondamentaux pour les luttes à venir. D'abord, c'est à travers elle que s'est développé ce qui n'avait été qu'ébauché avec la Commune de Paris, la démocratie des soviets, c'est-à-dire des conseils d'ouvriers, de paysans, de soldats, organes démocratiques pour la lutte, pour la prise et l'exercice du pouvoir par les masses. L'acquis de la révolution russe, c'est aussi l'expérience unique du premier parti révolutionnaire de masse, le parti bolchevik, qui a été capable, parce qu'il s'était construit au plus profond des masses, de diriger la révolution en se faisant le parti de l'émancipation des travailleurs par eux-mêmes. Le premier parti qui a donné un contenu vivant à la démarche transitoire partant des revendications immédiates des plus larges masses y compris paysannes pour poser et trancher la question du pouvoir.
La révolution russe constitue aussi la première véritable expérience de planification impliquant le contrôle démocratique par les masses sur la marche de l'économie. Et avec le combat de Trotsky, cette expérience s'est enrichie de la lutte contre la bureaucratisation et la dégénérescence de la révolution.
Tous les acquis de cette première révolution victorieuse qui a vu la prise du pouvoir par la classe ouvrière constitue un capital théorique et pratique qu'il faut nous réapproprier en le dégageant des mensonges de la propagande des classes dominantes comme des caricatures qu'en a fait le stalinisme.
Discuter des acquis de la révolution russe c'est aussi mesurer qu'ils correspondent au niveau atteint par la lutte des classes dans cette période d'apogée du mouvement ouvrier révolutionnaire, en terme d'organisation, d'activité pratique, et donc de conscience de classe et de débats théoriques.
En ce sens le contenu, la richesse de cette expérience dépasse encore largement notre propre activité, qui est elle-même le produit du niveau atteint par le développement des luttes sociales. C'est cette compréhension qui doit nous prémunir des débats " idéologiques ", c'est-à-dire des débats coupés des réalités même de la lutte des classes et donc de notre niveau d'intervention.
Le programme du futur parti ne peut se concevoir que comme une construction théorique exprimant cette activité pratique accumulée du mouvement ouvrier qui constitue son capital émancipateur.
Il s'agit de formuler et mettre en œuvre les idées nécessaires à l'intervention directe du monde du travail pour résoudre les contradictions du capitalisme à travers la lutte des classes. Ainsi le programme du futur parti doit exprimer la nécessaire articulation entre les convergences des luttes quotidiennes qui naissent des résistances face à l'offensive du gouvernent et du patronat et un projet de transformation révolutionnaire de la société.
Ce projet révolutionnaire n'est pas la défense d'un modèle de socialisme idéal qui serait plus démocratique, plus authentique que les précédents. Nous ne sommes pas des idéologues d'une nouvelle utopie mais des militants pragmatiques de la lutte de classe. Le communisme n'est pas pour nous une construction idéologique mais l'expression et la réponse aux contradictions du capitalisme qui, à l'heure de la mondialisation, ravage la planète.
Bien sûr nous ne savons pas à quel rythme, à travers quels combats, avec quelles étapes se développeront les évolutions de consciences ouvertes par la nouvelle période. Mais elles sont en cours, elles se sont exprimées dans les scores de l'extrême gauche depuis une dizaine d'années, comme dans le renouveau des luttes, et l'émergence de nouvelles équipes militantes. La confrontation qui s'annonce dans les semaines à venir en sera sûrement une étape importante.
Si ces évolutions ont lieu, pour une part, indépendamment de nous, il nous faut les comprendre, les anticiper pour les aider à se formuler le plus largement et le plus ouvertement possible, à déboucher sur un degré supérieur de conscience, donc d'organisation. Ce sont ces évolutions qui contribuent à créer les conditions objectives de l'émergence d'un nouveau parti. En retour, sa construction en sera un des facteurs accélérateurs. A travers son programme, le futur parti se fait l'expression organisée de ces évolutions des consciences, en les ancrant dans la continuité de l'histoire du mouvement ouvrier, en formulant l'objectif de la lutte, la transformation révolutionnaire de la société, le communisme.

Charles Meno