Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°178
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29 novembre 2007
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Sommaire : | ||||||||||
" L'ineffaçable marque de la révolution d'octobre " | ||||||||||
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"
L'ineffaçable marque
de la révolution d'octobre "
A la fin de la
conclusion de son Histoire de la Révolution russe, Trotsky écrit :
" La révolution d'octobre a jeté les bases d'une
nouvelle culture conçue pour servir à tous, et c'est précisément
pourquoi elle a pris tout de suite une importance internationale. Même
si, par l'effet de circonstances défavorables et sous les coups de l'ennemi,
le régime soviétique -admettons-le pour une minute- se trouvait
provisoirement renversé, l'ineffaçable marque de l'insurrection
d'octobre resterait tout de même sur toute l'évolution ultérieure
de l'humanité.
Le langage des nations civilisées a nettement marqué deux époques
dans le développement de la Russie. Si la culture instituée par
la noblesse a introduit dans le langage universel des barbarismes tels que tsar,
pogrome, nagaïka, Octobre a internationalisé des mots comme bolcheviks,
soviet, piatiletka [planification]. Cela suffit à justifier la
Révolution prolétarienne, si d'ailleurs, on estime qu'elle ait
besoin de justification. "
Les deux hypothèses évoquées par Trotsky sont devenues
une réalité. Les transformations impulsées par la révolution
d'octobre, vidées de leur force par le parasitisme bureaucratique, la
dictature de la caste des privilégiés, se sont effondrées
pour laisser le champ libre à la restauration de la propriété
privée capitaliste. Et, cependant, les idées que les travailleurs
russes ont inscrites dans l'histoire continuent à dominer la pensée,
l'activité même de ceux qui veulent changer le monde. C'est en
ce sens que " l'ineffaçable marque de l'insurrection d'octobre "
continue d'apporter un éclairage indispensable " sur toute
l'évolution ultérieure de l'humanité ".
Revenir sur l'histoire de la révolution russe, alors que l'effondrement
de l'ex-URRS a marqué la fin de la période ouverte par Octobre
17, c'est tenter de définir cette " ineffaçable marque ",
en en pensant l'actualité, la continuité pour prolonger la courbe
du développement du mouvement ouvrier et imaginer la suite, penser la
révolution à venir...
Il s'agit pour cela de saisir ce que Lénine et Trostky appelaient la
portée internationale de la révolution, sa portée universelle.
Universelle au sens où les lignes de forces qui ont fait son histoire,
les traits dominants des nouvelles structures sociales qu'elle a créées
seront nécessairement au cur des mécanismes qui engendreront
la révolution à venir, des transformations qu'elle opérera.
Un tel abord impose de dégager nos regards des pédantismes qui
jugent, des simplifications, des mythes et des caricatures que la grandeur même
de l'événement a engendrés et, d'abord et surtout des mensonges,
crimes de la dictature de la bureaucratie stalinienne. Les imposteurs ont fabriqué
de la révolution une image dont leur pouvoir pouvait s'accommoder, c'est-à-dire
contraire aux faits eux-mêmes comme à la pensée de ceux
qui ont influencé le cours des événements.
Soumettant le marxisme à ses propres besoins, le stalinisme en a fait
la négation même de ce qu'il est, la théorie de l'émancipation,
pour le transformer en une idéologie totalitaire. Il s'agit de dégager
de cette gangue totalitaire le rayonnement des idées qu'a mises au monde
la révolution. C'est aussi la seule façon de combattre l'idéologie
réactionnaire qui utilise la tragédie de la contre-révolution
stalinienne contre la révolution elle-même, pour tenter de disqualifier
le droit du peuple, des travailleurs à revendiquer le pouvoir.
Ce droit, la révolution russe l'a inscrit dans les faits. Ce qui n'avait
été qu'ébauche durant la Commune de Paris de 1871, l'Etat-commune,
" la forme enfin trouvée de la dictature du prolétariat "
pour reprendre la formule d'Engels, devint le pouvoir des soviets. Là
est l'essentiel de la portée universelle de la révolution, avoir
donné vie à cette forme enfin trouvée de la dictature du
prolétariat, une démocratie directe par et pour les masses.
Cet apport est indissociable de l'expérience du premier, jusqu'à
aujourd'hui unique, parti ouvrier révolutionnaire moderne, de masse,
qui prit et garda le pouvoir : la méthode de Lénine et les
acquis du bolchevisme, la première expérience de la mise en uvre
d'une démarche transitoire partant des exigences des masses pour organiser
la mobilisation jusqu'à la prise du pouvoir, la mise en place du contrôle
ouvrier et de planification de l'économie. Cet apport fut ensuite enrichi
de la lutte contre la contre la bureaucratisation de l'Etat, l'apport de Trotsky
dans la défense du programme révolutionnaire opposant l'internationalisme
à la théorie réactionnaire du socialisme dans un seul pays.
" L'intervention
directe des masses
"
Les forces réactionnaires présentent la révolution comme
un coup d'Etat dirigé par une minorité, extérieure ou étrangère
aux masses. Cette caricature illustre les raisonnements de la réaction,
son incompréhension même des masses, de leur capacité à
se mobiliser, à intervenir pour leur propre compte. La révolution
est bien la réponse des masses à la crise d'une société
réactionnaire fondée sur la domination d'une classe parasitaire
et non le résultat du coup de force des bolcheviks. Elle est " l'intervention
directe des masses dans les événements historiques ",
intervention qui surgit des contradictions même des rapports sociaux,
" l'irruption violente des masses dans le domaine où se
règlent leurs propres destinées ", comme l'écrivait
Trotsky.
La révolution d'octobre ne fut pas plus un coup d'Etat que celle de février
ne fut une révolte spontanée. Ce sont différents moments
d'un processus, un processus de maturation des consciences des ouvriers, des
paysans, des soldats qui aboutit au soulèvement dirigé par les
ouvriers révolutionnaires.
Le rôle du parti est de travailler à approfondir les évolutions
de consciences pour unir, regrouper la classe ouvrière et les masses
exploitées dans la défense par eux-mêmes de leurs propres
intérêts. Il s'agit de saisir les contradictions à l'uvre
pour permettre au prolétariat d'intervenir en prenant conscience qu'il
porte la seule issue progressiste à la crise. Cette action du parti se
déroule au cur des mobilisations et des luttes.
La révolution russe est née des contradictions mêmes de
la vieille Russie de la noblesse et du tsarisme, soumise au développement
capitaliste accéléré donnant naissance à une classe
ouvrière jeune, dynamique, dans un pays où la grande majorité
des masses paysannes étaient privées de terre. Les vieilles classes
dominantes étaient hostiles à toute évolution démocratique,
la bourgeoisie trop liée à elles pour oser prendre le pouvoir
à la tête du peuple, pour son propre compte. Dès lors, la
seule classe capable de conquérir la démocratie, disait Lénine,
était la classe ouvrière, ce faisant, rajoutait Trostky, elle
devra aller plus loin, conquérir le pouvoir pour elle-même et s'engager
sur la voie de la révolution socialiste
Leur volonté d'aller
jusqu'au bout des capacités révolutionnaires des travailleurs
les mettra d'accord.
La
force du bolchevisme, le lien avec les travailleurs et le matérialisme
militant, la théorie révolutionnaire
Lénine disait, nous sommes les jacobins du mouvement ouvrier, il donnait
par avance un contenu historique, international, universel au bolchevisme tout
en ruinant toutes les simplifications et caricatures qu'en ont fait la contre-révolution
stalinienne, mais, aussi et malheureusement, les révolutionnaires eux-mêmes.
Le parti n'a jamais été pour lui une phalange de militants professionnels
extérieurs aux masses elles-mêmes mais s'inscrit dans la continuité
de la pensée de Marx : le parti comme expression organisée
de la fraction la plus consciente de la classe ouvrière. Les traits particuliers
du bolchevisme, liés aux conditions concrètes, russes, de sa lutte,
ont souvent pris le dessus sur la philosophie politique qui le fondait.
Comme si le parti bolchevik répondait à un modèle de parti
né tout fait dans la tête de Lénine. En réalité
le parti s'est façonné dans le même temps qu'il façonnait
ses dirigeants comme ses militants aux différents niveaux de responsabilité
à travers les luttes de la classe ouvrière russe dans le cadre
du développement de la deuxième internationale.
Aux origines du bolchevisme, il y a la riche expérience du mouvement
révolutionnaire russe de la deuxième moitié du 19ème
siècle et ses efforts pour s'approprier le marxisme à travers
l'immigration. L'exemple de la révolution française domine les
esprits, l'influence des Lumières, la démocratie nécessaire
pour que le prolétariat puisse s'organiser, acquérir une conscience
moderne
En disant nous sommes les jacobins de la révolution, Lénine entendait
par cette analogie souligner que les bolcheviks étaient l'aile la plus
radicale, la plus avancée de la révolution, ceux qui sauraient
aller jusqu'au bout des intérêts du peuple. Une façon d'indiquer
par avance que le bolchevisme ne se définissait pas comme un corps de
doctrine tout fait mais bien comme le parti de la lutte de classe menée
sans crainte de ses conséquences ultimes, la révolution, le parti
de la démocratie jusqu'au bout
Et de la même façon
que jacobin a été synonyme de révolution radicale bourgeoise,
de même bolchevisme prend aujourd'hui le même sens du point de vue
du prolétariat. Il signifie la lutte de classe pensée et menée
sur le terrain politique dans le but de la conquête du pouvoir par les
opprimés.
La démarche repose sur " une analyse critique des bases
matérielles du processus politique " selon les mots de
Trotsky, pour comprendre, anticiper " la loi intime du processus
historique ". La volonté révolutionnaire se nourrit
de cette compréhension des lois intimes de l'évolution, c'est
elle qui nourrit la conviction profonde que le cours des événements,
la victoire de la révolution donnerait le pouvoir au prolétariat.
Une méthode de pensée et d'action, dont la vérification
dans l'expérience pratique fonde la confiance comme la discipline et
qui s'élabore à travers des rapports démocratiques qui
permettent, à chaque étape du mouvement, de capitaliser l'expérience
acquise.
Le parti s'est construit à travers les évolutions même des
luttes sociales et de la compréhension de la fraction la plus lucide,
la plus militante, la plus consciente des tâches de la révolution,
compréhension qui s'exprimait en un degré croissant d'organisation.
De 1903, date de naissance du parti bolchevik à 1905, ce furent les " années
de préparation de la révolution ", selon la formule
de Lénine, se forgent les armes idéologiques et politiques, 1905-1907,
les " années de révolution ", la confrontation
dans la lutte des politiques et des partis, " la répétition
générale ", puis les " années
de réaction " de 1907 à1910, les " années
d'essor " de 1910 à 1914, la " première
guerre impérialiste mondiale " jusqu'en 1917, la " deuxième
révolution russe " de février à octobre 1917
Savoir gagner dans le cours même de la lutte les masses à ses mots
d'ordre, l'enjeu est la conquête des consciences ouvrières, leur
donner les armes de leur propre combat.
Lutte
politique, démocratie et conscience des masses
La méthode de Lénine est l'application de la philosophie matérialiste
de Marx à la pratique militante, comprendre les mécanismes de
l'évolution sociale, le jeu contradictoire des rapports de force, leur
évolution possible en fonction des rapports économiques mais aussi
sociaux et politiques pour trouver les moyens que les travailleurs agissent
et pèsent sur ces évolutions.
" Le bolchevisme se distinguait en ceci qu'il avait subordonné
son but subjectif -la défense des intérêts des masses populaires-
aux lois de la révolution considérée comme un processus
objectivement conditionné " écrit Trotsky dans son Histoire
de la Révolution russe précisant : " l'étude
de la réalité était pour Lénine simplement une exploration
théorique dans l'intérêt de l'action ".
Ainsi, savoir saisir les contradictions à l'uvre pour ne pas céder
aux impressions du moment, aux idées dominantes comme quand, au lendemain
de la révolution de février, dans ses Lettres de loin, Lénine
sait ne pas céder à l'ambiance pour refuser sa confiance au gouvernement
auquel les soviets ont abandonné le pouvoir et anticiper, préparer
l'étape à venir du progrès de la conscience des masses.
A chaque moment de crise, en saisir le contenu à partir des forces à
l'uvre, de leur contradiction, de leurs rapports réciproques pour
définir l'attitude indépendante du prolétariat pour l'aider,
l'armer afin qu'il conquière à travers sa propre expérience
les capacités d'intervenir pour défendre ses propres intérêts.
C'est la politique de Lénine quand il écrit La catastrophe
imminente et les moyens de la conjurer pour développer les mesures
d'urgence nécessaires pour faire face à la désorganisation
du pays, à la misère et la famine, mesures que seuls les travailleurs
en alliance avec la paysannerie peuvent appliquer face aux classes dominantes
et à la bureaucratie d'Etat. Il définit les " mesures
démocratiques et révolutionnaires " pour tracer la perspective
: " Développer la démocratie jusqu'au bout, rechercher
les formes de ce développement, les mettre à l'épreuve
de la politique, etc., telle est une des tâches de la lutte pour la révolution
sociale ". Il pose la question du contrôle ouvrier pour empêcher
les classes privilégiées de saboter l'économie et, en conséquence,
la question de la conquête du pouvoir, la démocratie jusqu'au bout.
C'est ce que plus tard Trotsky appellera la démarche transitoire.
Au cur de la pensée de Lénine, la démocratie, cadre
indispensable à la fois pour que les opprimés fassent leur expérience
des autres partis et apprennent à prendre en main leurs propres affaires,
à agir pour la défense de leur propres intérêts,
se préparent à l'exercice du pouvoir
Cette conception découle de la compréhension de la révolution
comme intervention directe des masses, la seule force susceptible de transformer
l'Etat et la société.
L'Etat-commune,
les soviets, la démocratie pour et par les masses
L'aboutissement de cette politique c'est l'émergence, à travers
les crises et les conflits, par le jeu des contradictions et des forces en lutte,
de la classe ouvrière comme classe révolutionnaire postulant à
la prise du pouvoir, prenant le pouvoir comme classe porteuse de l'avenir de
toute la société. " On vit cette forme de lutte et d'organisation
s'étendre au mouvement ouvrier universel, et s'affirmer la mission historique
des soviets, fossoyeurs, héritiers, successeurs du parlementarisme bourgeois,
de la démocratie bourgeoise en générale " écrit
Lénine dans La maladie infantile du communisme.
La nouveau pouvoir, la démocratie pour les classes opprimées,
représente dans le développement historique un progrès
par rapport à ce que fut la conquête de la démocratie parlementaire
bourgeoise. Les soviets, instruments du pouvoir et du contrôle sur l'économie
en vue de l'expropriation des classes dominantes, la planification démocratique,
sont les organes démocratiques pour créer de nouveaux rapports
sociaux liquidant les vieux privilèges de classe.
Le pouvoir conquis est un instrument pour encourager, amplifier l'initiative
des masses pour approfondir la révolution. Que ce soit le décret
sur la terre, celui sur la paix ou le droit des nationalités, il s'agit
toujours d'appeler les travailleurs, les peuples à intervenir eux-mêmes
pour prendre en main l'organisation sociale, apprendre à devenir une
classe dirigeante, consciente de ses propres intérêts et de ceux
de la collectivité.
Deux mots résument l'essentiel de l'apport universel de la révolution
russe, soviet et bolchevisme comme, avant elle, la révolution française
avait affirmé la portée universelle du jacobinisme et du parlementarisme.
Les deux constituent des moments charnière dans l'histoire de l'Humanité,
des pas en avant irréversibles dans la marche de la démocratie,
c'est-à-dire la prise en main par les hommes de leur propre histoire.
La démocratie parlementaire était attachée à la
défense des privilèges de la classe bourgeoise, les jacobins,
expression la plus radicale sur le terrain de la lutte politique de cette nouvelle
démocratie bourgeoisie. La démocratie soviétique est liée
à la fin des privilèges, le bolchevisme est l'expression la plus
radicale sur le terrain politique de la lutte pour la conquête de ce nouveau
pouvoir, démocratique et révolutionnaire. Ainsi, notre combat
est en pleine continuité avec le bolchevisme.
La
lutte contre la bureaucratisation, démocratie et internationalisme, le
trotskysme
La démocratie de la fin des privilèges est incompatible avec la
survivance des nations et des Etats qui n'avaient d'autre fonction que de les
garantir. C'est bien pourquoi les bolcheviques fondèrent une nouvelle
internationale dans la continuité de toute l'histoire du mouvement ouvrier,
la troisième internationale.
La démocratie jusqu'au bout est hostile à tous les privilèges,
elle est aussi hostile aux frontières nationales qui les protègent.
Elle ne peut se développer pleinement jusqu'à en finir avec toute
espèce d'Etat et d'instrument d'oppression que si son espace s'élargit
sans cesse jusqu'à être, dirions-nous aujourd'hui, mondialisé,
globalisé.
Malheureusement, les conditions objectives qui avaient permis la première
révolution ouvrière victorieuse se retournèrent contre
elle. Faiblesse de la classe ouvrière, arriération sociale et
culturelle, poids de la petite bourgeoisie, en particulier paysanne, créèrent
les conditions de la contre-révolution bureaucratique. Elle n'eut de
cesse que de rompre avec l'internationalisme révolutionnaire pour dominer
les masses au nom du nationalisme camouflé sous le nom du socialisme.
Ce fut l'aberrante théorie du socialisme dans un seul pays.
Lénine et Trotsky combattirent la bureaucratie en essayant de s'appuyer
sur l'initiative des masses, la démocratie soviétique, c'est-à-dire
la défense du programme révolutionnaire indissociable d'un réel
internationalisme militant. Staline, lui, transforma la troisième internationale
en appendice de la diplomatie de la bureaucratie avant de la dissoudre.
* * *
Nous sommes confrontés
à un paradoxe : les traits définissant le caractère
universel de la révolution à venir se sont constitués,
théoriquement, politiquement et dans la pratique, dans un pays le moins
avancé des puissances dominantes au début du XXème siècle.
C'est ce Trotsky appellait " l'énigme qu'un pays arriéré
ait le premier porté au pouvoir le prolétariat ".
Il s'agit maintenant de donner à ces caractéristiques un contenu
moderne correspondant au monde d'aujourd'hui et en particulier aux pays les
plus avancés ayant déjà dans leur histoire une longue période
de développement du parlementarisme bourgeois. Cela exige de tout repenser,
en se protégeant des formules, pour saisir le fond de la démarche,
donner du bolchevisme une définition dégagée des traits
spécifiques inhérents aux conditions sociales et politiques russes
pour lui donner son actualité, son utilité, c'est-à-dire
sa dimension universelle : penser la lutte de la classe ouvrière,
des opprimés comme une lutte politique dont le but est la prise du pouvoir,
le pouvoir démocratique et révolutionnaire des travailleurs eux-mêmes,
moment d'une lutte internationale pour en finir avec l'exploitation, la propriété
bourgeoise et la société de classes.
La méthode, c'est la philosophie du matérialisme historique appliquée
au travail militant, aux luttes d'émancipation, " savoir
trouver, pressentir, déterminer, exactement la voie concrète ou
le tour spécial des événements, qui conduira les masses
vers la grande lutte révolutionnaire, décisive et finale. "
Les traits universels de la révolution russe que nous avons essayé
de résumer se sont forgés à travers l'histoire des luttes
de la classe ouvrière, ils en sont le développement enrichi à
chaque grande étape de l'affirmation de la classe ouvrière comme
classe révolutionnaire porteuse de l'avenir de l'humanité : 1848,
1871, 1917
Nous sommes à l'aube d'une nouvelle période. La classe ouvrière
connaît un essor sans précédent, le combat pour que les
travailleurs et les peuples deviennent maîtres de leur destin, une dimension
internationale qu'il n'a, jusqu'alors, jamais atteint.
Le développement du capitalisme a vidé la démocratie de
tout contenu réel, le développement économique s'est transformé
en une exacerbation des rapports d'exploitation des travailleurs, une soumission
des peuples à la domination des multinationales, la propriété
privée de la terre a abouti à une expropriation des petits paysans
qui alimente à l'échelle de la planète une immigration
sans précédent, une prolétarisation massive, la guerre
permanente seule permet de perpétuer une domination libérale et
impérialiste rejetée par les peuples. Ainsi le capitalisme a lui-même
créé les conditions d'un nouvel essor de la lutte démocratique
et révolutionnaire.
La nécessaire
réappropriation de la philosophie du bolchevisme nous renvoie à
Marx et au Manifeste du Parti communiste. En introduction du chapitre
deux, Prolétaires et communistes, il écrit :
" Quelle est la position des communistes par rapport à l'ensemble des prolétaires ?
Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers.
Ils n'ont point d'intérêts qui les séparent de l'ensemble du prolétariat. Ils n'établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier.
Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.
Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien.
Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les partis ouvriers : constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat.
Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde.
Elles ne sont que l'expression générale des conditions réelles d'une lutte de classes existante, d'un mouvement historique qui s'opère sous nos yeux. L'abolition des rapports de propriété qui ont existé jusqu'ici n'est pas le caractère distinctif du communisme.
Le régime de la propriété a subi de continuels changements, de continuelles transformations historiques.
La Révolution française, par exemple, a aboli la propriété féodale au profit de la propriété bourgeoise.
Ce qui caractérise le communisme, ce n'est pas l'abolition de la propriété en général, mais l'abolition de la propriété bourgeoise.
Or, la propriété privée d'aujourd'hui, la propriété bourgeoise, est la dernière et la plus parfaite expression du mode production et d'appropriation basé sur des antagonismes de classes, sur l'exploitation des uns par les autres.
En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique : abolition de la propriété privée. "
Yvan Lemaitre