Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°180
13 décembre 2007

Sommaire :
Chavez, le bonapartisme et les classes populaires
Après le congrès de Lutte ouvrière : la situation appelle d'autres réponses, camarades !


Chavez, le bonapartisme et les classes populaires

La défaite de Chávez au référendum du 2 décembre est un événement majeur de la lutte de classes. Une discussion approfondie s'impose. L'impérialisme et la bourgeoisie fêtent une victoire, nous devons répondre en étant en mesure de prendre parti sur la base d'une analyse des faits et de la défense des perspectives révolutionnaires.
Il faut le faire d'autant plus que le plébiscite était une initiative de Chávez et qu'il a en contrôlé complètement le déroulement. Le projet de réforme constitutionnel a été préparé par le Président et amendé à la marge par le Parlement. C'est la première défaite électorale de Chávez, dans une opération montée par lui-même.

L'analyse des résultats
Un plébiscite est un mécanisme profondément antidémocratique et de caractère autoritaire et bonapartiste. Par définition, il s'agit d'empêcher les initiatives et l'intervention de la population. Le plébiscite au Venezuela confirme cette règle et toute discussion sur la signification politique de la défaite devrait commencer par indiquer que nous essayons d'avancer toujours sur la base de la mobilisation politique, démocratique, et non en utilisant les mécanismes pourris de l'Etat bourgeois, même s'il se revendique la lutte pour le socialisme du XXIe siècle.
Les résultats sont clairs. Le "non" a obtenu 50,7%, contre 49,3% pour le "oui" ; 4,5 millions de voix contre 4,380 millions. L'abstention a atteint 45%. La comparaison avec les données de l'élection présidentielle de décembre 2006 est très significative. L'abstention a augmenté de 20 points. Le chavisme a perdu 3 millions de voix -40% de ses voix à l'élection présidentielle de 2006- et l'opposition a gagné à peine 250 000 voix. En résumé : la victoire du "oui" a été l'effet mécanique et politique de l'abstention de presque la moitié des votants chavistes de 2006. 3 millions de voix ont manqué à l'appel, des voix des quartiers pauvres de Caracas et des ouvriers.
Le PSUV, le parti unifié de Chávez, dispose de 5 millions de membres inscrits et dans le plébiscite, le "oui" a eu presque 1,6 million de voix en moins. C'est une démonstration éclatante de la nature du PSUV et, à juste titre, les commentaires sur les résultats, des chavistes et de non chavistes, soulignent qu'un des éléments de la défaite a été le caractère complètement bureaucratique de la campagne.
Une étude plus approfondie des chiffres va dans le même sens. Chávez recule surtout dans les régions pétrolières, urbaines et indigènes : "les régions industrielles avec la plus grande concentration d'ouvriers industriels… ont été celles où le vote pour Chávez a le plus diminué" (On peut lire une analyse détaillée dans : Edgar A. Hernandez, Sectores : laboral, petrolero, urbano e índigena, los grandes ausentes en las urnas para el Referendo, Aporrea, 8/12/07)
Il ne faut pas exagérer, par contre, l'influence de Podemos et de l'ancien ministre de la Défense, Baduel, qui sont passés du chavisme au vote "non". Chávez a perdu sans que l'opposition fasse une percée en voix.
Mais Chávez tire une autre conclusion des résultats. Pour lui, le coupable c'est le peuple. Dans un discours enflammé, le 6 décembre, il lui fait la leçon : " Le oui a perdu dans les quartiers, vous n'êtes pas allés voter. Vous pouvez dire ce que vous voulez, mais il n'y a pas d'excuse, manque de conscience, d'engagement pour la patrie. Vous n'avez pas d'excuse. "

La nature de la défaite
On peut suivre une partie du débat passionnant sur la défaite de Chavez parmi les militants et organisations au Vénézuéla dans le site Aporrea (www.aporrea.org). La polémique est aussi très vive en Amérique Latine.
Mais il y a des textes et des approches qui sont inacceptables. Alan Woods, dirigeant de The Militant, et dans un autre registre, James Petras, se sont permis de qualifier des militants comme Orlando Chirino et des organisations en Amérique Latine qui ont appelé à ne pas soutenir le "oui", de collaborateurs et complices de la "contre-révolution". Ce sont des calomnies qu'on connaît bien, assez utilisées par le stalinisme et d'autres ennemis du mouvement ouvrier, et qui n'ont pas leur place dans un débat entre organisations et militants.
Orlando Chirino a appelé a voter "nul" (Venezuela : El 2 de diciembre rechacemos la Reforma Constitucional. Vota Nulo. Aporrea, 30/11/07.) Une petite minorité de militants a soutenu cette position. Elle a eu entre autres le mérite de bien situer les objectifs et le contenu du projet de réforme constitutionnel.
Tant dans la forme que dans le fond, cette réforme se proposait de renforcer le pouvoir personnel du Président de la République. Tout le régime politique est organisé autour de ce pouvoir. Cette définition n'est pas anodine pour essayer de comprendre le processus en cours au Venezuela. La réforme constitutionnelle aurait eu comme résultat un renforcement de l'appareil de l'Etat ; les "conseils communaux" et les autres formes de "pouvoir populaire" apparaissaient comme un accompagnement pour coopter une couche active de la population pour l'appareil bourgeois de l'Etat.
Le socialisme du XXIème siècle, de même que celui du XXème, ne peut pas être le résultat d'un décret ni d'une opération plébiscitaire. Le pouvoir personnel ne peut pas se confondre avec l'activité politique des opprimés. Chávez dit maintenant que les résultats du 2 décembre montrent que le peuple n'était pas prêt à défendre le socialisme. C'est un raisonnement curieux.
La lutte séculaire contre l'exploitation et pour le socialisme procède à l'inverse, à partir de l'activité, les intérêts, la conscience des exploités, et de la capacité des "dirigeants" à l'exprimer et l'organiser.
L'opération du 2 décembre se situe sur un autre terrain. Au Venezuela, on peut constater une réalité très contrastée. D'un côté, le personnel de l'Etat a changé en profondeur et le conflit avec les Etats Unis, entre l'impérialisme et le pays dominé, est très aigu et définit aussi la nature du nouveau régime politique. De l'autre, la société, l'économie et la structure de l'Etat ont très peu changé entre 1989 et aujourd'hui. Comme l'explique un chercheur qui se définit plutôt comme chaviste : "L'économie du Venezuela continue à être une économie de marché capitaliste, avec une superstructure de démocratie bourgeoise, intégrée dans le métabolisme productif des nations développées" (Faisal M. Zeidan, La economía venezolana : elementos para una discusión que se avecina. Rebelión, 10/12/07.)
Chávez a renforcé l'intervention de l'Etat et l'appropriation de la rente pétrolière, en conflit avec l'impérialisme et en faveur de l'indépendance nationale. Il a fortement augmenté les dépenses sociales (les "misiones" dans les quartiers populaires). Il a exproprié quelques grands domaines et nationalisé quelques entreprises, à travers des opérations dans le cadre du marché capitaliste. Mais il n'a pas lancé un processus d'expropriation de la propriété privée des moyens de production et il n'organise pas les mécanismes de l'économie en fonction des besoins de la population et contre les lois du marché.
La combinaison entre ces deux processus a commencé à produire des éléments de crise, même avec les milliards de dollars apportés par le pétrole ou, plus précisément, les milliards de dollars du pétrole provoquent aussi une crise économique. L'inflation est énorme, il y a des phénomènes de pénurie de produits sur le marché (les familles ne trouvent pas de lait, par exemple), du marché noir de devises. L'inégalité de revenus s'est accrue ces 5 dernières années, le salaire réel est en train de chuter à cause de l'inflation, le manque de logements augmente d'année en année.
La réforme constitutionnelle comprenait 2 propositions importantes : la journée de 6 heures de travail et l'extension universelle du système de Sécurité sociale. Mais même ces avancées, qui peuvent être décidées par une loi, ont des effets limités pour la population, parce que 40 % du travail est informel et le chômage est très élevé. La révolution bolivarienne n'a pas pu diminuer ces chiffres.
On cite assez la formule de Lénine : " Le socialisme, ce sont les soviets et l'électricité ". Il faut la comprendre comme la nécessité de conjuguer la mobilisation sociale et les formes d'organisation du pouvoir politique des opprimés, avec le développement productif et le travail associé. Chávez devrait dire : le socialisme du XXIe siècle est le pouvoir du Président, du chef et les dépenses sociales.
Avec ces contradictions, le renforcement du pouvoir personnel, le bonapartisme, devient la réponse politique pour essayer d'éviter la crise. Ce renforcement n'a pas pu avoir lieu et une période d'incertitude s'ouvre.

Chávez et l'Amérique Latine
On dit avec une certaine facilité que Chávez et Venezuela sont un point d'appui pour les luttes en Amérique Latine et que la défaite du 2 décembre va affaiblir les forces "luttes de classe". Pour ne pas parler de toute l'Amérique Latine, regardons un instant l'Argentine où Chávez vient de faire sa dernière visite. Il a assisté à la prise de pouvoir par Cristina Kirchner. On a profité de l'occasion pour signer le document constitutif de la Banque du Sud, qui est l'horizon stratégique du chavisme en Amérique Latine.
La récente élection de Cristina Kirchner s'est appuyée aussi sur Chávez, en même temps qu'elle recevait les sympathies de Wall Street et des principaux groupes capitalistes du pays. La continuité et la stabilité du gouvernement Kirchner et de son programme capitaliste ont pu bénéficier de sa capacité à contrôler la "gauche" et à coopter une partie de ses dirigeants à l'appareil de l'Etat. Le chavisme a été un appui décisif pour le gouvernement argentin, à la fois pour faire des affaires et pour précipiter cette gauche dans les bras de la politique bourgeoise. Le Venezuela et Chávez, loin d'être un appui pour les tendances "lutte de classe", ont été un appui pour les tendances favorables au développement du capital et des affaires.
La situation en Bolivie est différente, pour prendre le revers de la monnaie. La politique de conciliation de Morales ne peut pas empêcher, au moins pour l'instant, les tendances à la guerre civile, voire à l'éclatement du pays, cette fois avec le soutien du Brésil de Lula.
Le nationalisme ne peut pas surmonter les conflits avec l'impérialisme et donner forme à l'illusion d'un développement capitaliste autochtone. Il n'ouvre pas la voie à une mobilisation révolutionnaire de la population et à une lutte politique en conséquence. Dans tous les cas, c'est une impasse qui peut conduire à une tragédie.

Marcelo N.

Après le congrès de Lutte ouvrière :
la situation appelle d'autres réponses, camarades !

Dans la galaxie des forces politiques, les trotskystes appartiennent décidément à une espèce bien originale… A bien des égards, la période qu'ils vivent est exceptionnelle, différente certes du gauchisme flamboyant des années 1970, mais tellement éloignée de ces décennies de militantisme à l'ombre des seuls partis reconnus et incontestables de la classe ouvrière, Parti socialiste et Parti communiste, que nous avons tous subies. Désormais, l'heure est à la reconstruction d'un pan entier du mouvement ouvrier, anticapitaliste et révolutionnaire, et même si cela ne fait que commencer et reste incertain dans ses résultats, on devrait dire aussi et surtout : enfin !
Mieux encore. Car du point de vue de Lutte ouvrière, les conditions n'ont jamais été aussi favorables pour se sentir à l'aise et partager avec d'autres, la LCR notamment, ce qu'elle considère comme un acquis politique de son existence séparée : le combat intransigeant pour une politique indépendante de la classe ouvrière, une délimitation claire avec les partis réformistes, un travail opiniâtre parmi les travailleurs du rang et pas seulement en direction de son "avant-garde".
Une telle opportunité ne s'est pas présentée par hasard, mais après un long mûrissement sur la base des expériences et des bilans que bien des travailleurs et des militants de gauche ont pu faire depuis plus de vingt ans. Une expérience et un bilan que la LCR a fait de son côté également, éclairée par sa propre histoire, tout récemment encore.
Et pourtant ! A lire le communiqué que LO a publié après son congrès, il faudrait croire tout le contraire. La période serait si noire, le recul des consciences tellement désespérant et les possibilités pour l'extrême gauche si faibles, qu'il faudrait brutalement perdre son indépendance et jeter le discrédit sur quarante ans de combat politique, pour se précipiter dans les marais électoraux de l'union de la gauche !
Bien des militants de LCR, et surtout bien des sympathisants à LO, ont eu peine à croire qu'un tel virage était possible. " Ne pas nuire à la gauche " parce que la gauche serait quand même " moins pire " que la droite ? Jusqu'ici, LO avait laissé à d'autres ce langage…
C'est évidemment une très mauvaise nouvelle. Du point de vue des intérêts généraux du monde du travail, le choix de Lutte ouvrière de rallier publiquement des listes de l'union de la gauche contre celui fait par la LCR de soutenir des listes indépendantes, tout en fermant la porte à toute discussion sérieuse sur le nouveau parti -sous prétexte qu'il ne serait pas assez révolutionnaire !- ne peut que jeter le discrédit sur le sérieux avec lequel l'extrême gauche aborde ces questions, et troubler bien des gens qui avaient l'habitude non seulement d'additionner nos scores électoraux, mais considéraient parfois à juste titre qu'un jour ou l'autre LO et LCR devraient quand même logiquement se retrouver ensemble.
A tous ceux là, il ne suffira pas de dire que LO file un mauvais coton depuis pas mal de temps, et qu'à la LCR nous n'y sommes pas pour grand-chose. On peut toujours tout expliquer, mais toutes les explications du monde ne suffiront pas à effacer le mal qu'ils peuvent faire. Plus que jamais, nous sommes confrontés à une situation qui appelle d'autres choix pour faire face à nos responsabilités communes. Les camarades de Lutte ouvrière ont toute leur place dans ce combat pour une nouvelle représentation politique du monde du travail, un "parti des travailleurs", anticapitaliste et révolutionnaire.

La tentation du repli
Bien évidemment, nous n'ignorons pas les difficultés à mener cette discussion, qui tiennent en premier lieu aux choix de la direction de Lutte ouvrière de tout faire… pour ne rien faire avec la LCR.
La manière avec laquelle elle a commencé à mettre en œuvre sa nouvelle orientation pour les élections municipales ne facilite pas non plus les choses. Cette politique n'a commencé à filtrer que peu à peu, par petits bouts, notamment à Saint-Brieux en octobre. Mais après coup, il est vite apparu qu'elle avait été discutée depuis plusieurs mois avec l'ensemble des militants et les sympathisants proches, sans que rien ne transpire au dehors.
Les arguments ont changé avec le temps. En vis-à-vis, les camarades de LO ont d'abord insisté sur la nécessité pour eux d'avoir des élus pour démarrer un travail d'implantation dans les villes, après avoir porté leurs efforts exclusivement dans les entreprises. Ils l'ont présenté à minima : la campagne électorale ne devrait durer que deux semaines, une parenthèse qui ne devrait pas entacher leur indépendance politique. Puis lorsque l'affaire a commencé à devenir publique, les arguments n'ont plus été exactement les mêmes : exit la question des élus, la priorité pour LO devenait désormais de ne pas nuire à la gauche, en soutenant le PCF face au PS, ou la gauche face à la droite.
Dans un article publié le 23 novembre dans l'hebdomadaire Lutte ouvrière, Roger Girardot justifie ainsi ce choix : " Pour 2008, nous préparons à nouveau des listes Lutte ouvrière qui seront au moins aussi nombreuses qu'en 2001. Le problème est que nous ne voulons pas que, dans la situation politique actuelle, nos listes puissent nuire aux listes de gauche. C'est pourquoi nous avons engagé des discussions avec les listes de gauche qui nous sollicitaient et, dans d'autres cas, nous avons pris l'initiative en nous adressant aux candidats du PCF. Nous ne faisons pas cela pour avoir des élus car, des élus, nous pouvons en avoir en nous présentant indépendamment comme en 2001 ".
Une telle orientation a évidemment sa propre logique. La position de LO étant désormais publique, il est vite apparu que la question n'allait plus seulement être discutée pendant deux semaines, mais bien pendant des mois. Une courte citation de George Kaldy, l'un des principaux dirigeants de LO, semble indiquer que cette organisation est prête désormais à aller beaucoup plus loin : " Il ne nous est pas indifférent qu'il y ait 40 % de logements sociaux dans une ville (…) Gérer une municipalité ne nous gène pas. Il y a des petites marges pour faire avancer nos propositions " (le Monde du 28 novembre).
En peu de temps, le discours est donc passé de considérants tactiques pour se construire à un autre registre, celui des accords politique avec la gauche, et in-fine de cogestion des municipalités sous prétexte de faire avancer quelques "propositions" !
Cela parait d'autant plus choquant qu'au même moment, l'appréciation que portait LO sur notre projet de parti anticapitaliste changeait lui aussi significativement de registre. En août, Arlette Laguiller avait déclaré regarder cette initiative avec " sympathie ". Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il y a ceux qui comme LO veulent construire un parti " marxiste, léniniste, trotskyste ". Et il y a le patchwork des anticapitalistes à la sauce de la LCR qui tourne le dos à la révolution.
C'est d'autant plus étonnant que LO est justement en train de faire la démonstration qu'avec une boussole marxiste-léniniste-trotskyste, on n'évite pas toujours les dérives de toutes sortes, même réformistes…
Mais si de tels arguments peuvent nous faire sourire, nous aurions tord de sous-estimer la difficulté. Pour bien des militants de LO, il y a sans doute une certaine logique à mettre bout à bout toutes ces certitudes : une organisation qui prétend être dépositaire des Tables de la Loi n'est-elle pas différente de toutes les autres ? Et cette différence ne suffit-elle pas à justifier toutes sortes de détours pour la bonne cause ? Car quoi que fasse Lutte ouvrière, elle est systématiquement présentée par sa direction comme la seule organisation qui reste révolutionnaire, presque par nature -ou par essence, car cela relève plutôt de la métaphysique… Et quoi que fasse la LCR, sa politique restera entachée d'un gros soupçon de réformisme, ou au moins de dérive opportuniste, tant il est vrai qu'il y a des taches indélébiles qui ressemblent à des punitions divines et que certains considéreraient comme telles s'ils n'étaient pas athées, mais qu'il suffit d'accréditer en convoquant des dizaines d'années d'Histoire…
Il est donc difficile dans ces conditions d'avoir prise sur un discours qui tourne en rond.

Une contradiction à laquelle il sera difficile d'échapper
Les camarades de Lutte ouvrière sont pourtant confrontés aujourd'hui à un tournant majeur et à un choix décisif qui va les engager durablement. C'est un facteur de crise qui ne peut que s'approfondir et devrait sans doute peser davantage que les discours factices cherchant à opposer les "vrais" révolutionnaires à tous les autres.
En 1995 LO avait proposé d'examiner les possibilités de construire un "parti des travailleurs" sur la base du plan d'urgence qu'Arlette Laguiller avait défendu lors de la campagne présidentielle. Elle y a immédiatement renoncé, trouvant que ceux qui venaient à ces réunions -souvent nombreux- ne correspondait pas à ce qu'elle attendait, signifiant par là son incapacité à se dépasser elle même. Lutte ouvrière a exclu dans la foulée ses sections de Bordeaux et de Rouen, les camarades à l'origine de Voix des travailleurs.
Aujourd'hui la direction de LO ne cherche pas plus à discuter. Elle se contente de lancer des injonctions : le parti sera 100 % trotskyste ou ne sera pas ! Bien loin, évidemment, du "parti des travailleurs" qu'elle avait proposé en 1995. Mais c'est sa façon à elle d'en parler malgré tout et… de ne jamais le faire. Car à ce petit jeu, les conditions ont peu de chance évidemment d'être réunies un jour…
La direction de LO pense justifier ainsi son existence séparée mais c'est une illusion, les événements actuels le montrent amplement. Contrairement à ce qu'elle voudrait faire croire, nos deux organisations ne sont pas en train de tracer deux routes parallèles destinées à ne jamais se rencontrer. Les initiatives prises par la LCR sont déjà en train d'ébranler profondément le milieu de LO et par ricochet ce sont ses militants qui seront confrontés à cette difficulté. La fuite en avant de sa direction sur le terrain des municipales, sous prétexte de ne pas cautionner le parti anticapitaliste d'Olivier Besancenot, est déjà un aveu de son impuissance. Il sera difficile d'échapper à l'attractivité du nouveau parti.
Bien sûr, les dirigeants de LO peuvent encore faire le pari de notre échec, car rien n'est assuré ni garanti en ce domaine. Mais un petit groupe ne peut pas se construire indéfiniment en misant sur l'échec des autres. Surtout si l'échec n'est pas certain.
Que l'initiative de la LCR commence à prendre même un peu, et il apparaîtra clairement que ce n'est pas un nouveau PSU qui est en train de se construire, mais bien un parti destiné à prendre toute la place disponible à l'extrême gauche, y compris celle de LO. Au risque de pousser sa direction à s'enfoncer toujours plus loin dans sa logique, à la fois sectaire avec les autres révolutionnaires, et opportunistes avec les réformistes.
De cela, nous ne doutons pas que les militants de LO n'en aient guère envie. Mais il ne suffit pas toujours de ne pas avoir envie pour ne pas subir, si l'on reste prisonnier d'un cadre et d'une situation qui nous dépasse et qui a sa propre logique.
Les camarades de LO sont à la croisée des chemins. Continuer dans cette voie, c'est désormais prendre le risque d'être embarqués toujours plus loin dans des mouvements erratiques dont la seule boussole sera la survie d'un petit groupe dirigeant, convaincu que la voie de la révolution se confond avec la sienne. La seule alternative est de rompre radicalement avec cette logique et la fascination du petit groupe, le " seul qui aura résisté dans la période actuelle ".
Les camarades de Lutte ouvrière sont à la croisée des chemins mais ils ne sont nullement obligés de faire le bon choix sous prétexte qu'autrement, il leur faudrait avaler de sacrées couleuvres… même très grosses. Des couleuvres, on peut toujours en avaler tant qu'on reste persuadé que rien d'autre n'est possible pour continuer le combat révolutionnaire.
Le vrai problème est celui des perspectives. Le monde n'est pas noir… sauf dans les discours de sa direction. C'est là-dessus que nous devons convaincre, en continuant à nous adresser à LO.
Oui, camarades, il est possible pour les révolutionnaires de gagner de l'influencer dans la période actuelle, et de le faire sur des bases correctes avec les militantes et les militants de la LCR, pour aller ensemble vers la construction d'un nouveau parti.
Tourner la page de Lutte ouvrière n'est pas une trahison, ni une abdication. D'ailleurs personne ne vous demande de rejoindre la LCR, et nous allons nous aussi tourner la page de notre organisation. Nous allons essayer de faire mieux, différemment. Nous allons faire autre chose, avec bien d'autres qui ne sont pas encore révolutionnaires mais que nous allons essayer de gagner à nos perspectives. Nous allons prendre nos responsabilités et nous ouvrir davantage.
Nous n'allons pas abdiquer nos idées, pas plus que vous. Ce ne sera pas la fin du " marxisme-léninisme-trotskysme ". Ce sera seulement la fin d'une période, celle des chapelles et des groupuscules gauchistes. Ce temps est révolu. Autre chose est possible.
Et ça, c'est plutôt une bonne nouvelle ! Avec vous, camarades, dans l'unité.

Jean-François CABRAL