Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°191
20 mars 2008

Sommaire :
Un basculement irréversible


Un basculement irréversible

 

Les résultats du second tour des municipales ont confirmé, même si c'est à une petite échelle, la percée électorale des listes présentées ou soutenues par la LCR. Ce succès prend tout son sens au regard d'une situation marquée par une grande confusion, avec une défaite électorale sans appel de la droite, une victoire par défaut des partis d'une gauche institutionnelle qui continuent d'évoluer à droite et une abstention record atteignant plus de 50 % dans nombre de quartiers populaires.
A peine 9 mois après l'élection de Sarkozy, après la chute sans précédent de sa cote de popularité, c'est clairement sa politique qui a été désavouée sur le terrain électoral.
Mais plus profondément, alors que la crise du capitalisme mondialisé s'approfondit, ces élections reflètent une situation politique et sociale nouvelle, marquée par une crise des partis institutionnels et des évolutions en profondeur des consciences, dont les scores de la LCR sont une des expressions, et qui marque un basculement irréversible dont il nous faut tenter de saisir l'importance et les conséquences.

Sarkozy face à sa défaite, la fuite en avant
A l'issue des élections municipales et cantonales, la gauche l'emporte dans 25 villes de plus de 100 000 habitants sur 37, et à travers les Conseils généraux, elle contrôlera désormais 60 des 102 départements.
C'est une défaite sans appel pour la droite, même si on a pu assister à un festival de déclarations ridicules pour en minimiser la portée, tel François Fillon déclarant : " le vote des Français ne doit pas être instrumentalisé par des considérations partisanes ".
L'importance de la défaite fait grincer des dents au sein même de la droite, tellement les vaincus ont conscience d'avoir été entraînés dans la chute de popularité de Sarkozy. Après avoir promis tout et son contraire, avoir dit que ce n'étaient que des élections locales, puis qu'il tiendrait compte des résultats, Sarkozy distribue à travers un mini remaniement ministériel quelques bons points ou lots de consolation et annonce qu'il faut poursuivre les réformes, " J'ai été élu pour conduire cette politique et c'est celle que je mènerai "...
Cette arrogance ne relève pas d'un autisme maladif mais bien d'une fuite en avant imposée par les contradictions de la situation sociale et politique.
Pour Sarkozy, " Ce n'est pas une question d'idéologie. Ce n'est pas une question de politique. Ce n'est même pas une question de gauche et de droite, c'est une question de bon sens ". " De bon sens ", en clair : la défense des intérêts des classes dirigeantes.
Sarkozy prétendait se soucier des préoccupations des classes populaires, être le candidat du " pouvoir d'achat " alors que toute sa politique est au service des privilégiés. Cela apparaît de plus en plus clairement aux yeux du plus grand nombre, y compris de ceux qui ont pu se laisser abuser par ses promesses démagogiques de la campagne présidentielle.
La prétendue force de Sarkozy n'était qu'un jeu de dupes qui reposait avant tout sur l'absence d'opposition des partis de la gauche institutionnelle comme des confédérations syndicales. Sarkozy n'apparaissait fort que du fait de la faiblesse de la gauche qui lui laissait le champ libre pour sa démagogie d'ouverture.
Après la défaite électorale de la droite, cette politique d'ouverture est finie, alors que le déclin du Front national ouvre à la droite populiste un large espace pour sa démagogie réactionnaire. Cette évolution à droite du pouvoir prépare de nouveaux affrontements au moment où la gauche enracinée dans ses positions locales et régionales voudrait ouvrir une nouvelle cohabitation.
Mais l'époque de la cohabitation est finie.

Une victoire électorale qui prend le PS à contre-pied…
La gauche doit plus sa victoire au désaveu que les électeurs ont voulu signifier à la droite qu'à sa propre politique. Le PS a bénéficié de la sanction infligée par les électeurs à la droite bien plus qu'il n'y a réellement contribué, tellement il a mené une campagne timorée, tournée vers le centre droit, et qui ne voulait surtout pas exprimer la révolte et les exigences des classes populaires.
Il faut que le gouvernement change sa politique " a déclaré Ségolène Royal, mais les quelques exemples mis en avant montrent bien à quel point le PS ne veut absolument pas s'appuyer sur sa victoire électorale pour affronter une politique dont il partage, sur le fond, nombre des objectifs. Ainsi, sur le pouvoir d'achat, qui est l'un des problèmes centraux pour des millions de salariés et de précaires, Hollande n'a demandé que d'avancer la date du coup de pouce au SMIC !
Cette absence de combativité au lendemain de ce qui est présenté comme une victoire de la gauche est à l'image de ce qu'a été la campagne de ces partis.
Si, à quelques rares exceptions, le PS, le PC comme les Verts ont refusé au second tour la possibilité d'une fusion de listes avec celles d'extrême gauche, ils ont par contre cherché, partout où cela était possible selon les situations locales, à faire des alliances avec le Modem de Bayrou.
La politique du PS s'inscrit dans une logique de bipartisme qui écarte l'extrême gauche et aussi le PC, pour viser à la formation d'un grand parti de centre gauche avec, comme seul horizon déjà annoncé, la préparation des prochaines élections présidentielles de 2012.
L'évolution du PS vers la droite, sa totale conversion au social-libéralisme, se traduisent par la rupture des derniers liens qui le rattachaient à la politique d'union de la gauche, même s'il n'a pas dédaigné récupérer tout ce que pouvait encore lui rapporter électoralement le soutien du PCF.
D'où la situation du PC qui, pendant la campagne, s'est fait le champion d'une nouvelle union de toute la gauche, apportant partout où il l'a pu son soutien zélé sans pour autant être payé en retour, puisque le PS n'a pas hésité à maintenir des listes face à des candidatures du Parti communiste quand il avait l'espoir de l'emporter.
Si les élus du PC sauvent l'essentiel de leurs positions, le parti lui-même est très affaibli tellement ses propres contradictions sont tendues à l'extrême. Plus que jamais, il est incapable de formuler une autre perspective politique que celle de s'aligner sur le PS, dans le seul but de sauvegarder le maximum d'élus quitte à, comme cela a été le cas à Aubagne, s'allier avec le Modem. La crise qui traverse le PCF, parce que nombre de ses militants sont en désaccords avec cette orientation, ne peut que s'accentuer face à cette totale dépendance vis-à-vis du parti socialiste, qui le déporte encore plus à droite.

Abstention, crise des institutions et instabilité politique
La progression de l'abstention, qui atteint des niveaux record, montre que la crise de confiance des partis institutionnels est loin d'être surmontée.
La défaite de la droite ne s'est pas accompagnée d'un renforcement de la confiance des classes populaires dans les partis de gauche. Et ce n'est pas l'évolution à droite du PS lorgnant vers le Modem, ni du PCF s'alignant sur lui, qui pourrait redonner confiance.
Bien au contraire, à travers la crise de la représentation politique, c'est une crise de confiance dans les institutions elles-mêmes qui s'exprime et qui repose sur une profonde révolte face au développement des inégalités sociales, et un manque total de confiance dans la volonté des partis gouvernementaux de lutter contre.
Ce discrédit des institutions et des partis qui ne se situent que sur ce terrain, est porteur d'une instabilité politique qui ne peut qu'entraîner une période de tensions, de politisations à travers lesquelles les classes populaires peuvent être emmenées de plus en plus à intervenir directement pour faire entendre leur colère et faire valoir leurs droits.
Et cela d'autant plus que ce discrédit de la classe politique ne s'est pas exprimé par une montée de d'un populisme d'extrême droite.
Ainsi, alors que l'ensemble des partis institutionnels évolue à droite, la rupture ne fait que s'accentuer avec la population qui subit directement les conséquences de l'offensive libérale, et cela dans un contexte économique qui ne peut qu'exacerber les tensions.

Un basculement de la situation économique qui réduit la marge de manœuvre du gouvernement
La crise économique, partie de la faillite du système des crédits immobiliers aux Etats-Unis, n'en finit pas de se développer depuis l'été dernier et menace la stabilité de tout le système financier mondial.
Quelle que soit l'issue de cette crise, elle ruine l'espoir d'une reprise de la croissance sur laquelle misait le gouvernement, diminuant encore plus ses marges de manœuvres.
Le gouvernement et le MEDEF sont pris dans une contradiction entre la pression du capitalisme mondialisé qui s'enfonce toujours plus dans une crise qui engendre surprofit, spéculation, instabilité et régression sociale, et les exigences des classes populaires qui se sont traduites par les luttes des cheminots et de la jeunesse et se poursuivent à travers la multiplication des conflits locaux, notamment sur la question des salaires.
Cela ne peut que les pousser à accélérer les réformes prévues, les remises en cause du droit du travail, et entraîner une régression sociale encore plus grande. Cette accentuation des attaques, au moment où le mécontentement et la révolte s'expriment et où la rupture avec bien des illusions est en train d'aller jusqu'au bout, ne peut que contribuer à approfondir les politisations en cours, préparer les conditions de l'émergence d'une nouvelle conscience de classe anticapitaliste.

Rassembler le monde du travail
Cette nouvelle conscience ne pourra se former qu'à partir de la rupture avec les vieux partis issus de l'histoire du mouvement ouvrier.
Et c'est là que les scores réalisés par les listes présentées et soutenues par la LCR prennent toute leur signification et leur importance. Ils expriment des évolutions en profondeur des consciences et peuvent être en même temps un facteur d'amplification de ces évolutions.
Nos résultats confirment qu'il existe un courant, bien plus large que ce que représente la LCR, qui se retrouve dans la perspective d'une politique de regroupement de toutes celles et ceux qui refusent de se plier à la logique des marchés et qui veulent imposer sur le terrain des luttes une autre répartition des richesses.
Nos listes unitaires mais indépendantes ont su faire émerger cette perspective claire au milieu de la confusion née de l'évolution à droite des partis institutionnels de droite comme de gauche.
La question de l'émergence d'une nouvelle force politique est posée à tous, largement, publiquement.
Le virage politique qui a été imposé aux militants et sympathisants de LO au lendemain de son congrès et qui a abouti à leur présence sur des listes municipales des partis de gauche est un échec qu'elle a payé électoralement car il est complètement à contretemps des évolutions en cours. En menant une politique unitaire de regroupement tout en gardant notre entière indépendance vis-à-vis de la gauche, nos listes ont obtenu de meilleurs scores électoraux et même plus d'élus que LO.
Car la possibilité et la nécessité d'un nouveau parti sont au cœur même de la situation sociale et politique face aux attaques du gouvernement, à la faillite des partis de la gauche gouvernementale et des directions syndicales, et à la montée du mécontentement.
C'est autour d'un programme de lutte reposant sur le plan d'urgence sociale et démocratique qu'Olivier Besancenot a défendu pendant les élections présidentielles et que les listes unitaires soutenues par la LCR ont développé localement, qu'un tel regroupement pourra se faire.
Sur la base d'une telle perspective politique, il s'agit de créer le cadre d'un regroupement qui permette à chacun de devenir un acteur de la construction de ce parti nécessaire au monde du travail. C'est par la discussion collective, démocratique, que nous pourrons réussir à intégrer toutes les expériences qui convergent autour de cet axe à travers les élections comme à travers les mobilisations.
Des générations différentes, avec des histoires différentes, se retrouvent. Certains sont des militants venus des réseaux syndicaux, associatifs, ou des militants politiques en rupture avec les partis de gauche, d'autres s'éveillent aujourd'hui à la politique sur la base de la révolte et de la volonté de lutter contre les conséquences des attaques du gouvernement Sarkozy. C'est seulement à travers des liens démocratiques, profondément respectueux des histoires de chacun, des rythmes d'évolution des uns et des autres, que l'ensemble de ces volontés individuelles pourra se fédérer et se transformer en une force politique cohérente, en un réseau militant dans les quartiers et les entreprises unis par un même programme de lutte.
Un tel réseau apprendra à porter la contestation partout, à utiliser les rapports de force, à faire de la politique du point de vue de nos propres intérêts, de notre propre classe, à travers un projet politique cohérent.
Par cette construction collective, ce réseau se transformera en un parti anticapitaliste, capable de porter dès aujourd'hui sans la moindre réserve les exigences sociales et démocratiques du monde du travail, posant la question du pouvoir, de la transformation révolutionnaire de la société.
Oui, il y a un basculement irréversible de la situation sociale et politique, mais il n'y a aucune automaticité pour que le monde du travail soit à même de devenir dans les années qui viennent la force dominante capable d'influer sur le cours de l'histoire dans le sens du progrès et de la démocratie.
Ce basculement ne laisse pas d'alternative, de troisième voie, face à la lutte acharnée qui oppose les forces réactionnaires au service des classes dominantes et celles du progrès et de la démocratie au service de la classe ouvrière.
De notre capacité à comprendre, saisir, porter cet antagonisme dans l'arène sociale et politique dépend la suite.

Charles Meno