Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°192
3 avril 2008

Sommaire :
2005-2008 : après trois ans de débats, le processus pour un nouveau parti est désormais bien engagé


2005-2008 : après trois ans de débats,
le processus pour un nouveau parti est désormais bien engagé !

Le pire n'est jamais sûr. On avait pourtant prédit le pire : la LCR isolée, repliée sur elle-même au lendemain de la rupture avec les collectifs antilibéraux en septembre 2006. C'est pourtant elle désormais qui polarise sans conteste le débat au sein de la gauche de la gauche.
Avec parfois sa traduction électorale : sur près de 200 listes aux élections municipales, plus d'une centaine ont été des listes unitaires avec d'autres courant politiques, pour l'essentiel les Alternatif, les CUAL, parfois des secteurs du PCF. Quelques listes communes ont même été réalisées avec LO en contradiction avec son orientation plus générale de soutien à l'union de la gauche, comme à Maison-Alfort (94) ou à Vigneux (91).
Dans les comités d'initiative pour un nouveau parti anticapitaliste, la diversité des parcours et des trajectoires qui rassemble anciens et nouveaux militants est encore plus grande. Il arrive même que des militants des anciens comités Bové finissent par trouver leur place dans un cadre qui se révèle à l'usage plus ouvert et plus respectueux que bien des collectifs " unitaires " auxquels ils ont été habitués auparavant. Ils se retrouvent aux côtés de militants d'extrême-gauche, de militants syndicaux et associatifs certes très différents mais unis par une même volonté de rupture avec le système en place, et surtout d'une nouvelle génération de jeunes et de moins jeunes qui n'a jamais milité nulle part, mais qui ressent fortement aujourd'hui la nécessité de " prendre parti " face au rouleau compresseur des attaques du gouvernement et de la bourgeoisie.
Bien sûr, les difficultés ne manquent pas. L'hostilité de Lutte ouvrière en particulier - dont les militants représentent un capital d'expérience qui serait utile pour le nouveau parti- n'est pas franchement une bonne nouvelle. Une fois de plus l'extrême-gauche apparait sous son mauvais jour au risque de perdre en crédibilité, sectaire, divisée, soucieuse de défendre son pré carré au nom de " principes " qu'elle est capable de renier le lendemain sans explication.
C'est d'autant plus regrettable qu'après des décennies de marginalisation totale ou partielle et de division, l'extrême-gauche a enfin la possibilité de se dépasser elle-même. La LCR n'a pas de partenaire à l'échelle nationale, et les ruptures au sein du mouvement ouvrier n'ont pas eu lieu. Mais localement, des évolutions commencent à prendre une tournure significative, en même temps que le projet de nouveau parti rencontre un écho grandissant.
C'est d'ailleurs une des leçons de ces dernières années : tracer sa route contre vents et marées a été un choix compliqué au sein de la ligue, depuis la candidature d'Olivier Besancenot jusqu'à l'adoption d'un projet de parti révolutionnaire large qui garde le cap sur des acquis essentiels. Mais au lieu de l'enfermement promis, c'est bien une nouvelle étape qui a commencé, avec la possibilité d'agréger enfin de nouvelles forces sur la base d'un projet qui a eu largement le temps de mûrir.

Retour sur les candidatures unitaires et la " gauche de gauche "
La victoire du Non au référendum sur le TCE en mai 2005 n'a pas été l'événement fondateur que d'aucuns espéraient avec une certaine illusion. Ce fut pourtant une étape significative, sans doute nécessaire, offrant une réelle possibilité de clarifier les enjeux d'une politique.
Ce fut une étape utile car il y a bien eu une dynamique réelle autour du 29 mai au sein de la population : le refus même sur le seul terrain électoral du " réalisme " prôné par la gauche du Oui, les discussions à n'en plus finir sur les 20 ans d'expérience gouvernementale par le PS comme par le PCF, la volonté pour beaucoup même de manière confuse de trouver un " débouché " aux luttes, mélange d'illusion électorale mais aussi volonté sincère de leur donner une plus grand efficacité et de poser la question d'une nouvelle représentation politique…
La ligue ne s'est pas trompée sur les symptômes, à la différence de LO qui est largement passée à côté : il y a bien eu depuis 1995 l'apparition d'un milieu large de la " gauche radicale " qui a accompagné la remontée des luttes parallèlement à l'effondrement du stalinisme, sans doute prisonnier encore de toutes sortes de raisonnements réformistes, mais portant également par ses choix et par ses ruptures, même partielles, d'autres ambitions. Avec l'apparition également de nouvelles luttes de la jeunesse qui a permis d'ancrer ce processus sur d'autres terrains que celui des élections.
A l'évidence, il y a eu depuis une douzaine d'année une situation nouvelle, riche en possibilités, mais qui s'est exprimée sur le terrain électoral de toutes sortes de manières, avec des votes pour l'extrême-gauche et d'autres pour la gauche antilibérale… avec des formules exprimant sans doute une envie de radicalité plus ou moins communes mais qui étaient quand même de natures différentes, certaines étant plus claires ou au contraire plus ambiguës que d'autres…
En 2005, la première erreur était évidemment de se payer de mots en répétant à satiété des phrases toutes faites sur les " séismes " en politique et autres " perspectives de rupture ", au point de croire qu'un vote comme celui du 29 mai peut " changer la donne à gauche ", et que d'une politique de front commun électoral peut naître comme par enchantement une perspective de recomposition politique…
Une erreur d'appréciation qui ne portait pas tant sur la profondeur et la nature des transformations de conscience que ce vote pouvait refléter que sur le projet lui-même qui pouvait s'y rattacher.
Notre projet pouvait-il être de " changer la donne à gauche " et " construire une nouvelle force qui fasse reculer l'hégémonie du Parti socialiste sur la gauche " ? C'était évidemment jouer sur une ambiguïté entre deux orientations très différentes : soit construire une alternative à la gauche de gouvernement sur des bases lutte de classe ; soit construire une " gauche de gauche " au sein de la gauche grâce à la construction d'un pôle antilibéral, en misant malgré tout sur l'espoir d'une politique gouvernementale honnête, c'est-à-dire honnêtement réformiste dans le cadre des institutions de la bourgeoisie…
Le ton a vite été donné lors la première rencontre nationale des collectifs en juin 2005 : la priorité était clairement aux perspectives électorales. De son côté, la LCR a également contribué à nourrir cette ambiguïté, en essayant notamment d'appâter le PCF sur ce terrain, en particulier dans son adresse distribuée à la fête de l'Humanité en septembre de la même année.
Il a fallu près d'un an pour commencer à clarifier la situation et discuter enfin sur le fond : les contraintes de la mondialisation actuelle et les marges de manœuvre que laisse le capitalisme pour une politique réformiste ; les rapports entre institutions et lutte de classe ; et surtout une réflexion approfondie sur les possibilités de construire ou non un processus de recomposition politique à partir d'un front électoral, en commençant par distinguer clairement ce qui relève d'une politique unitaire sur le terrain des luttes, voire sur des objectifs politiques précis, et des possibilités de construction d'un parti politique indépendant de la gauche institutionnelle…
C'est ce travail qu'a commencé à faire la LCR lors de sa conférence nationale en juin 2006 : partir cette fois des nécessités politiques inscrites dans la situation elle-même pour proposer un projet clairement anticapitaliste ; garder le cap d'une démarche unitaire, en faisant du contenu politique le point de départ d'une discussion sur les alliances et non le contraire.
Cette démarche revenait évidemment à poser autrement la question du " débouché politique " : non pas comme un substitut aux luttes ou un raccourci, avec la tentation inévitablement de construire une nouvelle majorité électorale, mais d'abord comme une politique pour les luttes posant la question du pouvoir sous la forme du contrôle de l'économie et de l'Etat, dans la perspective d'un gouvernement des travailleurs issu des nouvelles formes de pouvoir nées dans les luttes, par les travailleurs eux-mêmes. Auquel cas, le rapport de force à changer n'est pas fondamentalement celui qui peut surgir entre partis de gauche au sein du parlement, mais sur le terrain de la lutte de classe face au patronat et à son Etat, quel que soit le gouvernement.
Cette démarche exigeait également de poser autrement la question du parti : non pas comme un parti de la transformation sociale dénonçant les excès du capitalisme, mais comme un parti de la rupture contestant aussi bien la propriété privée que les institutions de la bourgeoisie, un parti pour le pouvoir des travailleurs, un parti anticapitaliste où la question du réformisme et de la révolution est une question réellement débattue jusqu'au bout, parce que le capitalisme mondialisé tel qu'il se déploie aujourd'hui donne à cette question une nouvelle actualité.

Une étape de construction et d'approfondissement du débat politique
Le chemin parcouru depuis l'appel pour les candidatures unitaires est considérable. Il montre que des clarifications politiques sont possibles pour peu que l'on veuille mener ce débat jusqu'au bout, en exprimant ce que la situation elle-même permet de faire mûrir dans les consciences.
C'est ainsi qu'à l'occasion des municipales, plus de la moitié des collectifs antilibéraux ayant soutenue une liste l'ont fait avec la LCR sur la base d'une rupture complète avec le Parti socialiste. Là où ces listes ont fait plus de 10 % des voix, le choix de se maintenir malgré tout au deuxième n'a pas provoqué de cassure ou de défection notable. A posteriori, cela confirme la légitimité du débat mené sur cette question et le refus des formules ambiguës que proposaient à l'époque ces mêmes collectifs.
La discussion pour autant est loin d'être terminée. Le refus d'une alliance avec le Parti socialiste ferme sans doute temporairement les possibilités d'une intégration rapide dans les institutions. Mais ce choix ne règle pas toutes les questions loin s'en faut, surtout lorsqu'on veut construire un parti, discuter de son programme, de ses perspectives et de ses délimitations.
Il faudra à la fois beaucoup de débats et beaucoup de pratiques communes pour avancer désormais ensemble. Un équilibre pas toujours facile à trouver.
Ainsi durant la campagne municipale, des progrès substantiels ont été accomplis pour agréger de nouvelles forces, faire militer des gens d'horizons divers, développer un anticapitalisme concret à partir d'exemple locaux faisant le lien entre une situation particulière et le fonctionnement plus général du système capitaliste.
Mais en privilégiant des accords à géométrie variable et des professions de foi parfois très localistes, notre campagne s'en est trouvée inévitablement déportée, faute d'un cadre national un peu conséquent.
Du coup, on a eu parfois tendance à oublier l'autre dimension : une campagne nationale non seulement de désaveu de la politique de Sarkozy mais de défense d'un plan d'urgence sociale et démocratique, pour la convergence des luttes et pour la construction d'un nouveau parti. Sans doute aussi parce que cet épisode est arrivé un peu tôt dans le processus en cours…
Aujourd'hui, dans les comités d'initiative pour le nouveau parti, le problème se pose sans doute un peu différemment. Le temps de la discussion est nettement privilégié. Un peu partout des militants d'horizons très différents débattent autour des mêmes enjeux qui ont fait discuter les camarades de la ligue lors de leur congrès : l'indépendance avec le PS, la rupture avec le capitalisme et les institutions de la bourgeoisie, la démocratie, le rapport avec les syndicats…
Pour certains l'appel national de la LCR suffit pour l'instant, d'autres voudraient le réécrire… L'essentiel est surtout d'avancer et commencer à construire sans attendre : car pour débattre à une échelle large et démocratique du programme et des délimitations du nouveau parti, il faut tout simplement que les comités d'initiative existent et militent ensemble. L'intervention dans les luttes et l'approfondissement du débat au fil du temps permettront alors de créer les conditions d'une refondation, d'un nouveau parti.
Jusqu'à quel point d'homogénéité ? L'avenir le dira. Le parti à construire sera évidemment " pluraliste ", il suffit de s'entendre sur le terme. Si l'on veut dire par là qu'il s'agit de respecter dans le processus constituant les trajectoires personnelles des uns et des autres, c'est une évidence. Si l'on veut dire aussi que le nouveau parti sera traversé de débats contradictoires et qu'il ne sera surtout pas monolithique, ce devrait être également une autre évidence. Cela s'appelle tout simplement la démocratie...
Mais le " pluralisme " peut recouvrir une autre démarche : la construction d'une " nouvelle force " en réalité bien différente d'un parti, un conglomérat de projets divergents où se retrouveraient durablement des courants plus ou moins constitués, les uns anticapitalistes voire antilibéraux, les autres plus révolutionnaires, en essayant de trouver malgré tout un dénominateur commun qui permette d'avancer ensemble…
Curieusement, des militants de sensibilités très divergentes peuvent trouver quelques avantages à maintenir durablement des courants organisés : les uns par peur de se diluer dans un ensemble trop vague et trop réformiste à leurs yeux, les autres par crainte d'exclure du monde si le profil est trop nettement révolutionnaire… Miracle de la dialectique, qui montre simplement que le projet de construire un nouveau parti est un combat politique dont il est difficile de dire par avance les différentes étapes.
C'est ce combat politique que nous assumons complètement. A l'étape actuelle, si nous souhaitons être minoritaires de part l'afflux de nouveaux militants, nous souhaitons tout autant gagner sans complexe une majorité politique. Cela suppose de réussir à dégager du mouvement qui s'engage une volonté commune.
L'entreprise sera évidemment de longue haleine. Elle passera sans doute par toutes sortes d'expériences pas toujours faciles à gérer. Mais après toutes celles que nous avons connues dans les " collectifs unitaires ", il est possible d'aborder cette nouvelle étape avec davantage de détermination et une bonne dose d'optimisme…

Jean-François CABRAL