Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°195
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15 mai 2008
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Sommaire : | ||||||||||
Soyons raisonnables..., réalisons l'impossible | ||||||||||
Les vrais acteurs de Mai 68: dix millions de grévistes et les idées de la révolution (réédtion d'une brochure éditée par Voix des travailleurs en mai 1998) | ||||||||||
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Soyons raisonnables..., réalisons l'impossible
Nous avions vingt
ans et, nous ne le savions pas, nous avions rendez-vous avec l'histoire. Nous
avions confiance en nous, nous voulions prendre l'avenir en main, tout était
possible. Aujourd'hui, quarante ans plus tard, il y a, pour ceux qui sont restés
fidèles à leur jeunesse, à leur révolte, à
ce rendez-vous, comme une satisfaction ironique à entendre ceux qui sont
devenus "vieux et cons à la fois", comme le chantait
alors Brel, pontifier pour tenter de se rassurer, d'exorciser des démons
qu'en leur for intérieur ils savent bien vivants et qu'il redoutent.
"Il s'agit de savoir si l'héritage de Mai 68 doit être
perpétué ou s'il doit être liquidé une fois pour
toutes" déclarait Sarkozy à l'occasion d'un meeting de
la campagne présidentielle plaçant lui-même l'héritage
de Mai 68 au centre du débat politique. "Mai 68 nous avait imposé
le relativisme intellectuel et moral", dit-il encore, pour renchérir
: "L'héritage de mai 1968 a introduit le cynisme dans la société
et dans la politique." C'est lui qui aurait imposé l'idée
que tout se valait, qu'il n'y avait aucune différence entre le bien et
le mal, le vrai et le faux, le beau et le laid
C'est lui aussi qui serait
responsable du "culte de l'argent roi, du profit à court terme,
de la spéculation", des "dérives du capitalisme
financier"
et finalement du "capitalisme sans scrupule
des parachutes en or, des retraites chapeaux, des patrons voyous".
Seule une haine solide peut rendre aussi bête, et il faut aussi une étrange
perversité pour imaginer pouvoir masquer son propre esprit de lucre en
prétendant exorciser "le mal" que représenterait l'adversaire.
Le jeu de miroir renvoie à Sarkozy lui-même et ses amis tellement
68 est l'antithèse de cette image pervertie qu'ils tentent d'en donner,
eux qui le haïssent parce qu'ils craignent la jeunesse, les travailleurs,
la révolte, la liberté, la démocratie.
Le
spectre de 68 les hante
Cette offensive idéologique obéit cependant à la logique
d'une bataille politique qui est au cur de la volonté de revanche,
de la rupture de Sarkozy, la "bataille pour les valeurs", c'est-à-dire
la défense d'une morale bourgeoise, réactionnaire, conformiste,
individualiste... Le fait que cette offensive sur les "valeurs"
se mène au nom du combat contre Mai 68 est révélateur de
l'état d'esprit d'une fraction de la droite et de la bourgeoisie française.
Elle voit encore, à juste titre, en 68, la condamnation d'un passé
révolu où la France avait pu rêver d'être une grande
puissance avant de sombrer dans le pétainisme puis les sales guerres
coloniales, les sympathies avec l'OAS... De Gaulle avait bien essayé
de laver la tâche de Pétain avant que Mitterrand ne tente de faire
accepter, par son propre passé, et le pétainisme et les guerres
coloniales. Mai 68 les rejetait l'un et l'autre dans une même révolte.
Sarkozy, lui, voudrait réconcilier cette France bourgeoise avec ce triste
passé pour tenter de faire croire qu'elle pourrait encore être
une grande puissance et lui un grand homme. Dérisoire !
La rupture de Sarkozy, c'est enterrer l'héritage de 68 pour renouer avec
ce passé ! Il prétend réconcilier la droite avec elle-même,
la décomplexer, pour qu'elle assume son passé pétainiste,
colonialiste, sans éprouver le besoin ni de le masquer comme le fit De
Gaule ni de le justifier honteusement comme le fit Mitterrand
.
C'est aussi la rupture avec la droite de cohabitation symbolisée par
Chirac. Cette droite qui avait gouverné avec Mitterrand, avec un PS issu
du Congrès d'Epinay de 1971 qui avait su capter une large fraction de
la génération 68.
Cette bataille politique contre 68 c'est surtout l'hommage du vice à
la vertu !
Mai 68 est une révolte contre cette bourgeoisie hostile au progrès
mais aussi contre ceux qui s'en étaient faits ses complices, en particulier
le PS qui fut au gouvernement au début de la guerre d'Algérie
avant d'aller chercher De Gaulle en 58 pour le porter au pouvoir. Révolte
aussi contre le pacifisme du PC. La lutte contre la guerre d'Algérie,
pour le droit à l'indépendance du peuple algérien, c'est-à-dire
la victoire du peuple algérien, a été déterminante
dans l'engagement et la politisation de la génération qui fit
68. Lutte contre notre propre impérialisme, elle a été
prolongée par la lutte contre la guerre du Vietnam qui a nourri, renforcé
les sentiments de solidarité internationale auxquels la révolution
cubaine associée à la révolte des Noirs américains
donnait un contenu universel : l'avenir de l'humanité était dans
la solidarité des peuples.
Cette conviction fournissait les bases d'une critique radicale de la coexistence
pacifique à travers laquelle la bureaucratie soviétique négociait
avec l'impérialisme en fonction de ses seuls intérêts sur
le dos des peuples.
La
révolte de la jeunesse et de la classe ouvrière
Ce sont les contradictions mêmes entre les possibilités ouvertes
par le développement économique de l'après-guerre, celui
des sciences, des techniques et les rapports sociaux, politiques réellement
existants qui ont fait naître Mai 68. C'est une combinaison de facteurs
reflétant l'inadaptation de la société aux progrès
réalisés après guerre et cela tant sur le plan international,
ce qui s'est exprimé à travers les luttes de libération
nationale, que sur le plan politique, ce qu'exprimait le mot d'ordre contre
De Gaulle, "Dix ans, ça suffit", ou sur le plan des
moeurs, mouvement féministe, lutte pour le droit à la contraception
et à l'avortement, etc
La veille société, ses structures,
les préjugés et le conservatisme craquaient sous la pression du
progrès économique, scientifique, technique, culturel.
La Social Démocratie et le PC étaient tout à fait intégrés
au système même si De Gaulle les avait écartés du
pouvoir. Il y a là d'ailleurs sûrement une explication de certaines
attitudes gauchistes, à strictement parler. Bien des jeunes, sans conscience
de classe ou même politique, avaient tendance à associer dans un
même rejet le système et les partis de gauche qui s'y étaient
intégrés sans tenir compte des forces sociales que représentaient
ces partis. Force et faiblesse du gauchisme : rupture avec l'ordre établi
sans que cette rupture soit capable ou puisse trouver un contenu social susceptible
de transformer le monde. Il faut dire que la politique des staliniens à
l'égard des révolutionnaires comme du mouvement étudiant,
" les casseurs ", a nourri et a pu justifier en retour l'hostilité
sans nuance de bien des militants du mouvement à leur égard. Le
PC est alors apparu contre le mouvement étudiant comme un défenseur
de l'ordre faisant la police au sein du monde du travail.
Mai 68 apparaît encore d'abord et avant tout comme une révolte
de la jeunesse. Cela était vrai dans les universités, bien évidemment,
mais aussi dans le monde du travail. La jeunesse est, par nature, plus libre,
plus disponible, plus tournée vers l'avenir que ses aînés,
moins sensible aux pressions sociales. Elle avait grandi dans le climat de l'après-guerre
marqué par une grande défiance vis à vis de la bourgeoisie,
le mépris du pétainisme et de la collaboration avec le nazisme.
De Gaulle avait certes essayé de réconcilier la nation avec elle-même,
de redonner crédit aux classes dominantes, mais sans y parvenir réellement
d'autant que le climat politique entretenu par les guerres coloniales nourrissait
bien des relents de pétainisme. Il y avait eu aussi un début de
démocratisation de l'enseignement, faible certes, balbutiant mais suffisant
pour faire des universités des institutions totalement inadaptées,
lieux dans lesquels le mécontentement s'accumulait, commençait
à bouillonner, à se politiser avant qu'il n'explose. A l'opposé,
le climat entretenu par la droite nationale, les groupuscules d'extrême-droite
enfantés par l'OAS, rentrait en contradiction avec la soif de liberté,
intellectuelle, morale, sexuelle, l'ambition d'un autre monde en rupture avec
cette vieille bourgeoise déconsidérée. Il contribuait à
l'émergence du radicalisme qui allait exploser.
La jeunesse était aussi bien plus libre vis à vis des influences
sociales démocrates ou de la mainmise stalinienne. Elle s'était
révoltée dès son plus jeune âge aux images des chars
russes brisant la révolte des ouvriers hongrois.
Un
séisme international
Cette évolution des consciences a eu lieu, à des degrés
divers, dans la jeunesse du monde entier. Elle a trouvé, à travers
des situations différentes, les moyens, les canaux qu'elle a pu pour
s'exprimer, faire avancer les choses de Berkeley à Prague, de Berlin
à Mexico, de Varsovie à Dakar ou à travers le mai rampant
italien
Beaucoup ont tendance à penser que la jeunesse aujourd'hui a perdu cette
capacité de révolte, ou que cette révolte est plus individualiste.
Les faiblesses politiques de la jeunesse sont surtout le reflet du legs des
générations antérieures, voire une idéalisation
par celles-ci de leur propre passé. La jeunesse garde toutes ses capacités
de révolte mais elle a grandi, s'est formée dans un contexte politique
totalement différent de celui de la génération de 68. Autant
nous avions grandi dans un monde d'affrontement, de combats politiques, de conquêtes
scientifiques, sociales, de guerres aussi, autant la jeunesse d'aujourd'hui
a grandi, s'est formée dans un monde de recul, de dérobades, de
capitulations, un monde où les repères politiques se dissolvaient
dans le dialogue social, le consensus, le marché et la rentabilité
financière.
Cela, c'est le legs des vieilles générations à la jeunesse
et celle-ci a cependant su, à chaque nouvelle étape de ce long
recul, relever la tête, se battre alors que les aînés lui
tournaient bien souvent le dos.
Sa tâche est immense: il s'agit de redonner force et vigueur aux idées
de Mai 68 dont les acteurs même ont le plus souvent déserté
le combat. Pour nous, c'est un des défis que nous tentons de relever
en engageant la bataille pour un nouveau parti anticapitaliste. Il s'agit de
permettre à la jeunesse de renouer avec les idées de son propre
avenir, celle de la contestation sociale et politique, de redonner leur force
révolutionnaire aux idées du socialisme et du communisme, de les
faire à nouveau rimer avec liberté et démocratie, solidarité
internationale. Notre génération a participé à ce
combat en se révoltant contre les trahisons de la Social-démocratie
et du stalinisme, aujourd'hui il s'agit de reconstruire sur les ruines politiques
de ces partis, l'un complètement adapté à l'économie
de marché et à la mondialisation, l'autre exsangue de n'avoir
pas su rompre avec le premier.
Et si Mai 68 symbolise la révolte de la jeunesse, il ne faut pas oublier
que cette révolte n'a pris tout son sens que parce qu'elle a été
d'abord et avant tout une révolte ouvrière.
La
puissance de Mai 68, c'est la grève générale
Le mouvement étudiant a joué un rôle de catalyseur, il a
surtout ouvert une brèche dans le dispositif gaulliste, montré
que le pouvoir fort n'était pas invincible. Il a obligé le PC
et la CGT à investir leur force dans la bataille par crainte d'être
débordés, de perdre le contrôle de la situation. A partir
du 13 mai, le centre de gravité du mouvement se déplace vers les
usines. Le pays est paralysé, la classe ouvrière montre sa force
en particulier à tous ceux qui philosophaient, déjà, sur
la fin de la classe ouvrière, son intégration dans la société
de consommation
Ceci dit, la jonction avec le mouvement étudiant
ne se fera pas réellement même si le slogan "Travailleurs,
étudiants, solidarité" trouve un large écho. Le
PC veille au grain, les occupations d'usine sont contrôlées et
sous la mainmise de la CGT qui réussit à construire un cordon
sanitaire entre les usines et les facs. Mais bien des jeunes travailleurs viennent
voir ce qui se passe dans les facs occupées, se politisent, prennent
part aux discussions même si, le plus souvent, les préoccupations
restent profondément différentes.
On touche aux limites de Mai 68 avec une jeunesse étudiante extrêmement
radicale, politisée, généreuse mais le plus souvent issue
des classes aisées, prisonnière d'elle-même, face à
un mouvement ouvrier fort, combatif mais dominé par des illusions réformistes
et par l'appareil stalinien. Et la jonction ne se fera pas réellement.
Les organisations révolutionnaires elles-mêmes étaient trop
faibles pour pouvoir réellement infléchir le cours des choses,
elles avaient été trop longtemps contenues aux portes des usines
par la pression, bien souvent physique, de l'appareil du PC.
La
continuité des luttes émancipatrices de la classe ouvrière
Mai 68 a cependant bousculé cette omnipotence du PC, ouvert une brèche
aux idées révolutionnaires. Sans cela, probablement, nous ne serions
pas aujourd'hui en mesure de prendre l'initiative au moment où le PC
s'effondre victime de sa propre politique. Il y a là une continuité
qui donne une grande portée à ce quarantième anniversaire.
Et c'est bien ce que les conservateurs de droite comme de gauche voudraient
évacuer de l'histoire car cette continuité, c'est fondamentalement
la classe ouvrière comme classe révolutionnaire capable de changer
le monde.
Nous entendons agir pour que le mouvement révolutionnaire soit capable
de dépasser ses propres limites qui ont été particulièrement
préjudiciables au lendemain de Mai 68, l'esprit de petits groupes rivaux,
sectaires, pour être en mesure de regrouper les forces anticapitalistes
et donner naissance à un nouveau parti du monde du travail.
Pour cela, il nous faut nous ouvrir pleinement vers l'avenir. Mai 68 est un
moment d'une lutte continue, celle du travail contre le capital, des opprimés
contre les oppresseurs. Loin de nous accrocher à ce passé, de
l'idéaliser, son anniversaire est l'occasion d'un retour critique sur
nos propres faiblesses. Nul besoin d'incantation sur un nouveau 68 mais, bien
au contraire, de nous réapproprier la force critique de la jeunesse,
sa capacité de contestation.
Nous n'avons pas besoin de mythes, ceux du Che ou de Castro, qui idéalisent
les luttes de libération nationale ni de ceux qui érigent Lénine
ou Trostky en modèle au prix de la transformation de leur pensée
en idéologie justifiant le pouvoir des vieilles générations
sur la jeunesse. Loin de chercher à revêtir les costumes d'une
autre époque, il nous faut penser notre époque pour transformer
le monde.
Mai 68 représente l'aboutissement d'une montée des luttes à
l'échelle internationale, luttes dont l'ampleur étaient bien plus
grande que celles de 68. Mais, alors que ces luttes radicales, armées,
restaient cependant dans le cadre du système, ou plutôt ne prétendaient
pas en finir avec le capitalisme, Mai 68 a remis en cause le capitalisme lui-même
et son allié international, dans le cadre de la coexistence pacifique,
le stalinisme.
A n'en pas douter, là est la véritable origine du rayonnement
de Mai 68 : la contestation radicale du capitalisme dans une de ses principales
citadelles.
C'est toute son actualité au moment où les contradictions dont
sont surgies la révolte étudiante et la grève générale
se sont développées, approfondies à travers la mondialisation,
au point de mettre en cause l'avenir de la planète elle-même. C'est
bien cette exacerbation des contradictions mondialisées de la société
de classe qui donne son importance et son contenu à l'anniversaire de
68, au combat politique qu'il provoque.
De ces contradictions surgiront à un niveau bien plus élevé
qu'en 68 de nouvelles révoltes de la jeunesse et de la classe ouvrière,
une contestation globalisée de la société d'exploitation,
une révolution pour les temps modernes.
Déjà, ces contradictions s'expriment sur le terrain politique
avec la fin du stalinisme et des partis qu'il avait façonnés,
accompagnée de la dérive des vieux partis sociaux-démocrates
devenus des partis du libéralisme. Et aussi avec le renouveau du mouvement
révolutionnaire.
L'extrême gauche n'est plus seulement comme nous l'écrivions il
y a dix ans, "à la croisée des chemins", aujourd'hui
nous sommes contraints à une mue.
Nous rééditons en complément de cet article une brochure
écrite pour le trentième anniversaire de 68. Elle contribue à
souligner la continuité de notre combat depuis 95 pour un parti des travailleurs.
Ce combat entre dans une nouvelle phase décisive. Cette bataille devient
pour les jeunes, les travailleurs, un enjeu déterminant pour l'évolution
des rapports de force politiques. Du point de vue du mouvement ouvrier, elle
est la question clé.
L'union
des idées révolutionnaires et de la classe ouvrière
Il s'agit de réussir ce qui ne fut pas possible en 68, faire que le mouvement
ouvrier renoue avec une claire conscience de ses propres intérêts
antagonistes avec ceux des classes dominantes, irréconciliables pour
se construire une claire conscience révolutionnaire. Les évolutions
tant économiques, sociales que politiques y conduisent. Elles ont sapé
les bases matérielles du réformisme, l'illusion qu'il serait possible
de concilier les intérêts de la bourgeoisie et ceux des salariés.
La nouvelle génération se heurte à une société
encore plus bloquée que ne l'était celle des années soixante.
Le progrès scientifique, technique, économique aboutit à
la régression sociale, l'environnement est menacé comme jamais,
la guerre toujours une constante des relations internationales
Alors que
la mondialisation capitaliste pousse au brassage des peuples, la bourgeoisie,
attachée à ses privilèges nationaux, est incapable de construire
l'Europe. Il n'y a pas d'avenir, de projet qui n'implique la transformation
de la société.
Nous avons à nouveau rendez-vous avec l'histoire, pour aider à
ce que naissent des contradictions même de la société une
nouvelle force organisée du monde du travail, instrument de liberté,
de démocratie, d'émancipation, une force de contestation, une
force révolutionnaire.
La jeune génération a rendez-vous avec la révolution.
Yvan
Lemaitre
Les
vrais acteurs de MAI 68 :
dix millions de grévistes et les idées de la révolution
Il paraît
qu'en France, on aime les commémorations. Il faut dire que pour les gens
au pouvoir, elles sont une occasion de réécrire l'histoire à
leur propre avantage ou de caricaturer les actions de ceux qui les dérangent.
Ainsi, les 30 ans de mai 68 sont l'occasion pour toute la presse de parler de
tout sauf de ce que fut réellement mai 68. (voir annexe1
une chronologie des évènements)
Bien sûr, comme cette presse se veut vivante, on voit se multiplier les
témoignages des prétendus acteurs de l'époque ou le récit
de ce qu'ils sont devenus. Et les journalistes s'adressant pour l'essentiel
à ceux qu'ils connaissent, on peut lire toutes sortes de portraits inintéressants
de prétendus anciens soixante-huitards, ayant trouvé leur place
dans cette société bourgeoise qu'ils condamnaient dans leur jeunesse,
place souvent confortable, voire très confortable. Tout cela vise à
donner du crédit à cette image d'Epinal qu'en son temps le Parti
Communiste a largement contribué à fabriquer, en opposant la classe
ouvrière responsable et respectant les élections aux gauchistes,
fils à papa irresponsables et aventuriers.
La contestation de mai 68 a brassé des gens de tous horizons, de tous
les milieux sociaux. La classe ouvrière rentrant dans la lutte, en s'engouffrant
dans la brèche ouverte par le mouvement étudiant, entraînait
derrière elle, à ses côtés, de larges sympathies,
y compris dans des milieux sociaux privilégiés et tout naturellement
dans les milieux intellectuels. Le mouvement refluant, c'est tout aussi naturellement
que la grande majorité de ces intellectuels ont rejoint leur milieu social,
se sont glissés sur les rails pour occuper la place à laquelle
la société les destine. Cela ne juge ni le mouvement ni ceux qui
ont suivi un tel chemin dont nombreux sont ceux qui, d'une façon ou d'une
autre, ont gardé leur sympathie pour le mouvement ouvrier. Cela ne peut
faire oublier aussi que certains de ces intellectuels qui s'étaient enthousiasmés
en scandant "travailleurs, étudiants, solidarité" sont
restés jusqu'au bout, au mépris des postes et des places, au mépris
des carrières, fidèles à leurs idées, dans le camp
des travailleurs, dévoués à leur classe.
Cette campagne de presse est bien incapable de masquer l'essentiel, qui fait
de mai 68 une date historique, l'irruption des masses sur le terrain où
se règle leur propre sort pour paraphraser Trotsky, à travers
la plus grande grève générale qu'ait connu le pays.
La presse consacre bien peu de place à ce que sont devenus les acteurs
principaux de mai 68, les dix millions d'ouvriers, d'employés, de salariés
qui ont paralysé le pays, montré aux yeux de tous que sans eux,
plus rien ne marchait, que la société c'était eux, et qu'il
faudrait que ce soit eux qui la dirigent.
En affirmant cela, dans les faits, en défiant les classes dominantes,
les millions de grévistes, quel que soit leur propre niveau de conscience
individuelle, donnaient une grande force au deuxième acteur de mai 68,
les idées de la révolution.
Bien sûr, les partis de la gauche traditionnelle, les syndicats réformistes,
surent préserver leur influence, domestiquer et canaliser " cette
irruption des masses ", mais ils ne purent les empêcher d'écrire,
dans des lettres ineffaçables, l'actualité de la révolution,
la nécessité d'en finir avec le pouvoir d'une minorité
de parasites qui s'approprient l'essentiel des richesses produites par l'immense
majorité de la population qu'ils dépossèdent du droit de
jouir des fruits de son propre travail.
C'est cela que la presse s'efforce d'effacer. Elle en est bien incapable tellement
le système qu'elle défend étale sa faillite. Mai 68 n'était
qu'un début. Il ne s'agit pas de chercher ou d'espérer le recommencer.
Il s'agit de continuer l'essentiel de son combat, lutter pour l'émancipation
des travailleurs par eux-mêmes et en finir avec la société
de classes.
" 10 ans, ça suffit ! "
Tel était le slogan souvent crié dans les manifestations de la
jeunesse contestataire comme dans les cortèges ouvriers. Le mouvement
de mai 68 fut dès le début politique, pas seulement chez les étudiants,
mais aussi chez les travailleurs qui, encouragés par la contestation
de la jeunesse, entraient souvent dans la grève sans avoir formulé
des revendications, mais animés par l'espoir que cette fois-ci, les choses
étant sérieuses, De Gaulle pouvait, devait partir. La haine du
régime gaulliste faisait l'unanimité parmi les acteurs de 68 qui
voulaient changer le cours des choses, même s'ils ne savaient pas par
quoi le remplacer. Le pouvoir gaulliste prétendument fort, obligé
de reculer devant les mobilisations des étudiants, montra sa faiblesse,
son incapacité à ramener l'ordre social, à faire cesser
la vague gréviste.
Ce sont les directions syndicales et les partis de la gauche, notamment le plus
influent dans la classe ouvrière, le PCF, qui ont forgé le mythe
que la grève générale n'était pas politique, qu'elle
avait seulement des objectifs économiques. Eux qui ne voulaient pas contester
le pouvoir gaulliste dans la rue, qui se sont ralliés à la grève
générale qu'ils ne pouvaient endiguer, pour détourner la
lutte du terrain où elle était déterminante, la rue, pour
la dévoyer sur le terrain électoral qui était une impasse,
ont justifié leur trahison par un mensonge.
L'usure du régime était telle que la bourgeoisie elle-même
envisagea de s'en séparer avant qu'il ne reprenne la situation en main
grâce à la complicité de la gauche.
En 10 ans, de son retour aux affaires en 1958 aux événements de
mai 68, celui qui était apparu au-dessus des partis dans la période
précédente, se montrait tel qu'il était, porte-parole du
parti de l'ordre, de la réaction.
Il fut rappelé au pouvoir en 1958, dans une situation de crise, choisi
à cause de son passé de général réactionnaire,
qui s'était mis en réserve en 1946, alors qu'il avait été
le symbole de la bourgeoisie qui n'avait pas fait le choix du soutien à
Vichy. Il apparaissait alors comme au-dessus des partis dans un contexte où
tous les partis se déconsidéraient dans le cadre de la IVème
République instaurée au lendemain de la guerre et qui reposait
sur la collaboration de la SFIO, du PCF et du MRP, le parti de droite de l'époque.
Le PC éloigné du pouvoir en 48, alors qu'il gardait un nombre
élevé de députés, l'instabilité parlementaire
était telle que les gouvernements se faisaient et se défaisaient
selon les marchandages. La sale guerre menée par l'impérialisme
français en Algérie depuis 1954 s'enlisait et pour en sortir,
il fallait un homme de droite, capable d'imposer à l'armée, aux
français d'Algérie, un accord négocié avec le FLN.
Lorsque l'armée en Algérie s'insurge le 13 mai 1958, De Gaulle
revient au pouvoir, soutenu à la fois par un Parlement à majorité
de gauche qui lui remet tous les pouvoirs, et par l'armée en Algérie.
Il modifie alors le régime parlementaire incapable d'assurer la stabilité
politique nécessaire pour les affaires de la bourgeoisie, augmente les
pouvoirs de l'exécutif en instaurant un régime présidentiel,
réduit la représentation parlementaire du PCF et réorganise
la droite dans un grand parti soumis à De Gaulle qui, apparaissant comme
au-dessus des partis, s'impose à tous. L'indépendance arrachée
par la lutte du peuple algérien en 1962, l'usure du régime gaulliste
commence.
Et en 1968, le mouvement étudiant ruinait le mythe du "pouvoir fort"
invoquées par les directions syndicales et de la gauche pour justifier
leur passivité. La grève générale fit le reste.
Spontanéité
ou explosion longuement murie ?
Le journal Le Monde du 15 mars précédent les événements
publiait un article d'un journaliste, Pierre Viansson-Ponté, affirmant
que "ce qui caractérise actuellement notre vie publique, c'est
l'ennui". La révolte de la jeunesse, éclatant spontanément,
serait venue rompre cet ennui, entraînant la classe ouvrière dans
la grève générale. Comment expliquer cette explosion, alors
qu'il était de mode dans certains milieux intellectuels de parler de
"l'embourgeoisement" de la classe ouvrière ? Et
il ne manqua pas, parmi les acteurs mêmes, de partisans de la spontanéité
révolutionnaire, acteurs dépassés par le sens et la portée
de leurs propres actes, qui, sans conscience politique, reprenaient à
leur compte ce que l'on disait d'eux.
Il était en effet bien difficile pour ceux qui proclamaient la fin de
la classe ouvrière et de la lutte de classe, d'expliquer et de comprendre
les causes profondes de l'explosion sociale qui brisait tous leurs préjugés
réactionnaires.
Quand des dizaines de milliers de jeunes ouvrent brusquement les yeux sur la
réalité du pouvoir en place en s'affrontant courageusement à
son appareil d'Etat, quand des millions de travailleurs s'engouffrent dans la
grève, sans obéir à un quelconque mot d'ordre venu d'en
haut, le mouvement prend le caractère d'une explosion sociale spontanée.
Mais celle-ci était l'aboutissement de l'évolution des consciences
qui s'était faite dans la période précédente.
Cette évolution n'était pas propre à la France, mais le
produit de transformations à l'échelle internationale, tant sur
le plan politique que sur le plan économique. La bourgeoisie française
était sortie de la guerre dans le camp des vainqueurs, mais elle n'était
plus qu'une bourgeoisie de deuxième ordre, obligée de faire appel
aux capitaux américains pour reconstruire son appareil économique
et bientôt confrontée à la révolte des peuples des
colonies. S'ouvrait alors la période des sales guerres coloniales qui,
en France, à travers l'UNEF, syndicat politisé, mobilisa la jeunesse
contre la guerre en Algérie, puis ce fut le tour des Etats-Unis qui durent
assumer la responsabilité de la guerre au Viêtnam. A travers l'affrontement
entre la première puissance impérialiste et tout un peuple courageux,
dressé pour son indépendance, se fit la politisation d'une fraction
de plus en plus large de la jeunesse de tous les pays qui choisit son camp,
celui des peuples opprimés. Cette révolte ne laissa pas la classe
ouvrière indifférente, même si c'est surtout sur le terrain
économique qu'elle prit conscience de la nécessité d'entrer
en lutte pour exiger son propre droit à l'existence.
A la veille de la grève générale de mai 68, la classe ouvrière
connaissait des conditions d'existence difficiles. Elle avait, par son travail
produit toutes les richesses que la bourgeoisie s'était accaparées
pendant la période qualifiée des " trente Glorieuses "
qui furent surtout glorieuses pour les profits de la bourgeoisie. En France
comme ailleurs, la fin de la guerre signifiait la possibilité de profits
accrus pour les bourgeoisies qui reconstruisent leur appareil de production
en surexploitant leurs classes ouvrières. Pendant 30 ans, il y eut une
réelle expansion économique, un développement de la production
et dans les quelques pays riches, une augmentation de la consommation. Mais
bien évidemment, cette expansion ne fut possible que parce que la part
de la classe ouvrière augmenta sans commune mesure avec les richesses
produites. Ainsi, en 1950, le pouvoir d'achat de la population ne représentait
que 60 % du niveau de 1938. Mais l'industrie en expansion, absorbait une main
d'uvre en augmentation constante, de nouveaux travailleurs, issus des
campagnes, allaient grossir les rangs des O.S., les femmes rentraient de plus
en plus nombreuses sur le marché du travail et la bourgeoisie faisait
venir de nouveaux contingents de travailleurs immigrés. La classe ouvrière,
pendant toute cette période, augmenta en nombre, plus 1,5 millions, et
son poids s'accrut dans l'économie. Pour inonder le marché de
produits à bas prix, les capitalistes introduisirent le travail à
la chaîne, le travail en équipes et les journées de travail
étaient de 48 heures hebdomadaires pour 53 % des ouvriers en 1966, de
50 heures dans le bâtiment et de 55 heures dans la sidérurgie.
Les salaires n'augmentaient pas en proportion des profits et bien que l'augmentation
de la consommation ait été réelle, le fossé ne cessait
de se creuser entre les classes. Le chômage venait de passer brusquement
de 200 000 à 500 000. Ainsi, la difficulté à
se loger était grande et il y avait encore des bidonvilles à la
porte des grandes villes. Prenant conscience des inégalités croissantes,
les travailleurs commencèrent à revendiquer leur part de la croissance
et cela passait par des augmentations substantielles des salaires. Dès
décembre 1966, les grèves furent nombreuses, chez Dassault à
Bordeaux, puis en février et mars 1967, chez Rhodiaceta et Berliet, dans
la région de Lyon, puis dans la métallurgie à Nantes, aux
chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire, dans les mines de fer en Lorraine.
En janvier 1968, les grévistes de la Saviem à Caen s'affrontèrent
violemment avec la police qui investit l'usine.
C'est de la conjonction de la révolte entre la jeunesse, politisée
au contact des générations qui s'étaient battues contre
la guerre d'Algérie, qui ne peut trouver sa place dans une société
figée, réactionnaire, s'incarnant dans le pouvoir de De Gaulle,
et l'exaspération de la classe ouvrière, que naissent les événements
de mai 1968. Le mécontentement accumulé, jusqu'alors contenu,
brusquement se libère, explose, bouleverse l'ordre établi et les
préjugés des sociologues, commence à prendre conscience
de lui-même et à s'organiser...
Le
parti socialiste et le parti communiste français en 1968 et en 1998 :
deux façons de servir l'ordre bourgeois en crise
En mai 1968 le Parti socialiste, en tant que tel, n'a joué aucun rôle.
Il était alors fondu dans une coalition électorale, la FGDS (Fédération
de la Gauche Démocrate et Socialiste) dirigée par Mitterrand qui
n'était lui même pas socialiste. Il n'apparaissait quasiment jamais
sous son propre drapeau de l'époque, la SFIO, totalement déconsidérée
depuis l'intensification de la guerre d'Algérie en 1956.
Le parti socialiste n'avait qu'une faible existence dans la classe ouvrière.
C'est le PCF lui même qui s'acharnait à lui donner du crédit
en faisant dépendre toute perspective de changement d'une éventuelle
"union de la gauche".
En mai 68, les dirigeants de la FGDS savaient que ce n'était pas seulement
De Gaulle qui était contesté. Ils l'étaient eux-mêmes,
avec tout le système politique bourgeois et l'ensemble de la société
capitaliste. Ce n'est qu'à partir du moment où les accords de
Grenelle se révélèrent insuffisants pour arrêter
la grève et que le pouvoir gaulliste sembla devenu inopérant que
Mitterrand et ses collègues socialistes sortirent du bois.
Le 28 mai, Mitterrand annonça que si les "non" l'emportaient
au référendum bidon que De Gaulle avait proposé quatre
jours plus tôt et si alors De Gaulle démissionnait, lui, Mitterrand,
pourrait être candidat à sa succession. Comme De Gaulle, Mitterrand
se proposait de vider la rue en remplissant les urnes. Pas question pour lui
d'être porté au pouvoir par 10 millions de grévistes et
des centaines de milliers de jeunes révoltés. De fait Mitterrand
constituait avec De Gaulle et la droite un front pour l'ordre et "le retour
au calme". Il signalait au passage à l'opinion bourgeoise inquiète
qu'il était là, comme solution de rechange, au cas où De
Gaulle ne pourrait plus faire face à la situation.
En 68, le PCF était hégémonique dans la classe ouvrière.
Aux élections législatives de 1967, il avait obtenu 22% des votes
et près d'un million de voix de plus que la FGDS. Le PCF était
surtout le seul parti politique implanté nationalement, à agir
et à s'exprimer dans les entreprises et contrôlait totalement la
CGT qui était très largement majoritaire dans tous les secteurs.
Mais depuis bien longtemps les dirigeants du PCF ne se servaient de cette influence
que pour convaincre les travailleurs de ne pas provoquer le "pouvoir fort"
de De Gaulle, de miser sur la "voie pacifique", c'est à dire
sur d'hypothétiques succès électoraux. Ils bannissaient
les drapeaux rouges et "l'Internationale" des manifestations et excluaient
de la CGT les rares militants d'extrême gauche qui s'y opposaient à
eux. Pendant toutes ces années le PCF avait tout fait pour apparaître
aux yeux de la bourgeoisie comme un parti fiable, capable de gérer ses
affaires au gouvernement et de garantir la paix sociale. Mais la crise politique
qui éclata en mai 68 ébranla tout le système et tous ces
savants calculs.
En quelques jours, le PCF s'était retrouvé devant une révolte
massive de la jeunesse étudiante, contestant radicalement sur les barricades
le pouvoir gaulliste et la société capitaliste et ayant des leaders
"gauchistes". Lorsque les premières grèves avec occupation
se déclenchèrent tout à fait indépendamment de sa
volonté, l'enjeu pour lui fut de conserver son influence sur la classe
ouvrière tout en jouant son rôle de rempart du système.
Très rapidement, la direction du PCF demanda à ses militants d'étendre
la grève. C'était pour elle le meilleur moyen d'en prendre le
contrôle et aussi de garantir son influence sur ses propres militants.
Les dirigeants du PCF et de la CGT prenaient un risque calculé. Leurs
militants devaient organiser la grève et les occupations de telle façon
que la masse des travailleurs y reste passive, spectatrice. Il n'était
pas question de faire des usines des foyers d'agitation politique et de démocratie
ouvrière.
Le PCF et la CGT s'efforcèrent de limiter la grève aux revendications
économiques et de couper la classe ouvrière de la contagion des
idées révolutionnaires. Les accords que les dirigeants de la CGT
avaient signé à Grenelle avec les autres dirigeants syndicaux
furent repoussés par les travailleurs. Les calomnies du PCF contre le
mouvement étudiant et ses leaders n'empêchèrent pas des
dizaines de milliers de travailleurs, surtout des jeunes, de sympathiser avec
eux et de rejoindre leurs manifestations. Mais la capacité manuvrière
du PCF, son influence presque partout incontestée au sein des entreprises
lui permirent de faire reprendre le travail à 10 millions de grévistes
dont bien peu étaient convaincus d'avoir obtenu ce pour quoi ils avaient
fait grève pendant 3 et 4 semaines. Il trahissait ainsi la grève
générale et rendait un fier service à la bourgeoisie et
à tout son personnel politique.
Aujourd'hui le PCF est encore plus un parti à caractère social-démocrate
du fait de l'écroulement du stalinisme. Tout au long des années
70, alors que la bourgeoisie faisait payer cher à la classe ouvrière
les débuts de la crise, il a tout fait pour différer les luttes
et concentrer les espoirs des travailleurs sur les élections. C'étaient
l'union de la gauche et le programme commun qui devaient "changer la vie"...
Au gouvernement, le PCF a pesé de tout son poids pour faire accepter
aux travailleurs des mesures d'austérité que la droite n'avait
pas osé imposer. La démoralisation qui en a résulté
a fait beaucoup de dégâts. Le PCF lui-même a perdu beaucoup
de son influence tant électorale que militante.
Aujourd'hui, il est de nouveau au gouvernement. Il s'efforce de présenter
un visage ouvert et démocratique. Mais l'influence qu'il a conservée
dans les rangs de la classe ouvrière, il l'utilisera dans toute crise
sociale et politique pour une fois de plus tromper les travailleurs même
s'il n'a plus le monopole politique dans la classe ouvrière car les militants
d'extrême-gauche sont bien plus présents et influents qu'ils ne
l'étaient en mai 1968.
Alors quand demain la classe ouvrière, par ses luttes, viendra une nouvelle
fois déjouer les calculs politiciens des dirigeants du PS et du PCF,
ils ne pourront sauver la mise à la bourgeoisie si les travailleurs se
sont dotés entre temps d'un authentique parti socialiste et communiste.
MAI
68 : une crise internationale
L'année
68 est celle de nombreux mouvements de contestation de l'ordre impérialiste
dans le monde entier mais aussi de l'ordre stalinien en Europe de l'Est.
A l'origine, la vague de fond qui a fait mûrir cette crise vient des luttes
d'émancipation des peuples coloniaux. Ces mouvements ont créé
une prise de conscience dans la jeunesse sensible aux injustices. Une partie
d'entre elle en arrive à mettre en cause toute la société.
Ces centaines de milliers de pauvres qui, à Cuba, en Chine et au Vietnam
tiennent tête à l'impérialisme, soulèvent l'enthousiasme.
Aux Etats-Unis, à partir de 1965 se développe la lutte contre
la guerre du Vietnam menée principalement par les étudiants. Au
printemps 67, ils sont de plus en plus nombreux à refuser la conscription
et s'organisent dans les campus contre les agents recruteurs. Durant les années
67-68, des manifestations se succèdent avec des affrontements violents
avec la police. Le 4 avril 68, l'assassinat de Martin Luther King à Memphis
déclenche des révoltes dans les ghettos noirs des villes du Nord
et du sud. La radicalisation du mouvement noir influence le mouvement de la
jeunesse étudiante qui s'exprime sur plusieurs campus, notamment celui
de Berkeley où elle s'affronte pendant quatre jours avec la police. Et
il y a, en octobre, 100 000 personnes qui manifestent à New York devant
le Pentagone.
En Allemagne fédérale, les mouvements de jeunesse sont aussi très
marqués par la lutte anti-impérialiste. Le fer de lance de la
révolte étudiante est la SDS (Union des Etudiants Socialistes),
avec à sa tête Rudi Dutschke. Elle est issue de l'organisation
de jeunesse du parti socialiste allemand. Les jeunes Allemands se lancent dans
des actions contre les bases de l'OTAN. En avril 68, un anticommuniste tire
sur Rudi Dutschke. Cela déclenche des manifestations violentes dans plusieurs
grandes villes allemandes. Mais cette contestation de la jeunesse allemande
est restée coupée de la majorité de la population travailleuse.
Au Japon, une des organisations étudiantes la plus radicale, les "
Zengakuren ", s'en prend à tous les symboles de l'impérialisme
américain. Ces étudiants organisés militairement, mèneront
entre autres une lutte aux côtés des paysans expulsés de
leurs terres par la construction d'un aéroport.
Le soulèvement de la jeunesse étudiante dans de nombreux pays
encourage à son tour d'autres mouvements sociaux comme en France ou en
Italie. Il stimule tous ceux qui aspirent à se libérer des dictatures,
en Amérique Latine ou bien dans les pays d'Europe de l'Est soumis aux
régimes des bureaucrates staliniens. En Espagne, la lutte contre la dictature
de Franco a été engagée des années avant par les
ouvriers, notamment les mineurs des Asturies. L'agitation antifranquiste des
étudiants commencée en janvier 68 redouble durant le mois de mai,
stimulée par le mouvement français. A l'Est, la contestation étudiante
va se développer en Pologne en mars 68. En Tchécoslovaquie la
destitution du dictateur Novotny, créature des bureaucrates soviétiques,
a suscité de grands espoirs dans la jeunesse et la population. Devant
les risques d'un mouvement social explosif les bureaucrates soviétiques
étouffent dans l'uf la contestation en envoyant le 20 août
68 les chars en Tchécoslovaquie.
Au Mexique, en septembre et octobre à plusieurs reprises, l'armée
mitraille les manifestations étudiantes et fait des centaines de morts.
Les athlètes noirs américains vainqueurs aux jeux olympiques de
Mexico manifestent poing levé sur le podium en octobre 68.
Forces
et limites de MAI 68
Ce qui fit avant tout la force du mouvement de 68, ce fut l'intervention de
la classe ouvrière utilisant l'arme de la grève générale
et montrant, plus de trente ans après 36, qu'elle était la seule
force capable d'ébranler le régime gaulliste et de remettre en
cause la domination des capitalistes. Les jeunes travailleurs qui prirent l'initiative
des grèves à Sud-Aviation, à Cléon et dans bien
d'autres entreprises, ouvrirent la voie aux dix millions de salariés
qui renouèrent avec les armes de la lutte de classe, la grève
générale et les manifestations qui firent chanceler le pouvoir
gaulliste et donnèrent des sueurs froides aux bourgeois.
La limite de cette intervention de la classe ouvrière, c'est qu'elle
ne prit conscience que tardivement et de façon partielle du véritable
rôle joué par les directions syndicales. Beaucoup de travailleurs
voulaient faire céder les patrons sur leurs revendications et n'étaient
pas prêts à suivre aveuglément les dirigeants syndicaux,
sans pour autant dépasser le cadre dans lequel les bureaucrates voulaient
cantonner leur lutte. La CGT put ainsi, sans grande résistance, transformer
ce qui était une grève générale en une somme de
grèves particulières. Ce fut tardivement, lorsque l'appareil stalinien
usa de tous les moyens pour faire reprendre le travail, qu'il se heurta à
la résistance d'une partie des grévistes qui se refusaient à
brader leur mouvement. Même dans des usines considérées
comme des fiefs du PC et de la CGT, les manuvres des bureaucrates pour
la reprise du travail se heurtèrent à l'opposition d'une partie
des travailleurs. Mais leur résistance fut désarmée car
il n'eurent point le temps et la ressource de créer leurs propres formes
d'organisation qui leur auraient permis de déjouer les manuvres
de l'appareil stalinien. Et beaucoup eurent le sentiment justifié que,
même si les revendications accordées n'étaient pas négligeables,
elles n'étaient pas à la mesure de l'ampleur et de la force du
mouvement.
Mais malgré ces limites, la preuve était faite, non seulement
que la classe ouvrière restait la seule force sociale capable de bouleverser
la société, mais que la main mise de l'appareil stalinien sur
les travailleurs, si elle était toujours solide, n'était pas sans
faille et cela représentait un espoir pour les révolutionnaires.
Le second point fort de mai 68, ce fut la résurgence des idées
révolutionnaires. Drapeaux rouges et drapeaux noirs en étaient
le symbole. Les idées révolutionnaires que le gaullisme et le
stalinisme paraissaient avoir étouffées, resurgissaient. L'intervention
de dizaines de milliers d'étudiants et de millions d'ouvriers, faisant
grève, manifestant et affrontant la police, se réunissant, débattant
et confrontant idées et expériences en permanence, fut l'occasion
d'une prise de conscience collective de la possibilité de changer la
société par la lutte et redonna toute leur vigueur aux idées
révolutionnaires.
La limite de cette résurgence des idées révolutionnaires,
c'est qu'elle ne déboucha pas sur la constitution d'une force politique
organisée. Les révolutionnaires ne parvinrent pas à dépasser
l'horizon étroit de leurs rivalités de boutique, d'autant que
beaucoup dans le feu des événements s'illusionnèrent sur
les possibilités du mouvement. Contrairement aux illusions de certains,
la révolution n'était pas à l'ordre du jour. Il aurait
fallu pour cela que la bourgeoisie n'ait plus de solution politique de rechange.
Il aurait fallu aussi que la classe ouvrière se pose le problème
de la prise du pouvoir et y postule consciemment, ce qui n'était pas
le cas. Enfin, le PC n'était pas moribond, comme se plaisaient à
le dire un peu rapidement ceux qui, dans l'extrême-gauche, prenaient leurs
désirs pour des réalités et prétendaient résoudre
le problème de la mainmise des staliniens sur la classe ouvrière
en le supprimant.
Le troisième point fort de mai 68, ce fut de mettre fin à un mythe
politique, celui de "l'Etat fort" gaulliste, dont les opposants de
gauche disaient qu'il n'était pas possible de l'ébranler et dont
les partisans pronostiquaient qu'il leur assurait le pouvoir pour des décennies.
Quelques dizaines de milliers d'étudiants et surtout des millions de
travailleurs en grève ont fait la démonstration que cet Etat fort
n'était qu'un mythe. La police qui symbolisait la force et la brutalité
du régime gaulliste fut tenue en échec par la détermination
des étudiants. De Gaulle, dont tous les partis avaient contribué
à assurer la légende, était incapable de reprendre la situation
en main. Ses vieilles ficelles, comme son appel à un référendum
sur la participation, paraissaient usées. Et si le mouvement de mai 68
ne parvint pas à mettre à bas le symbole qu'il représentait,
ce fut essentiellement grâce à la complicité des partis
de gauche et des dirigeants syndicaux.
Ainsi, avec ses forces et ses faiblesses, mai 68 fut l'occasion d'une prise
de conscience collective de centaines de milliers de jeunes, de travailleurs,
de la possibilité de changer la société par leurs luttes.
Ceux qui le commémorent aujourd'hui pour mieux l'enterrer ou marquent
leur dédain en minimisant son impact, ne sont peut être pas au
bout de leurs surprises. L'affirmation de l'existence d'un courant d'une extrême-gauche
ouvrière, minoritaire mais bien réel, n'aurait pu se faire sans
les bouleversements que provoqua le mouvement de mai 68, et il pose de nouveau
aux révolutionnaires le problème du parti qu'ils n'avaient pu
résoudre alors.
Des
révolutionnaires forts de leurs idées, mais coupés de la
classe ouvrière
A en juger par toutes les invectives et les calomnies qui leur étaient
adressées, les militants révolutionnaires en 1968 étaient
partout puisqu'on les rendait responsables de tout. En fait les groupes révolutionnaires
en 68 étaient très minoritaires et très divisés.
Les nombreuses organisations révolutionnaires pouvaient se classer en
trois courants principaux : les trotskystes, les maoïstes et les anarchistes.
Mais au-delà de leurs divergences, ils avaient bien des points communs.
La plupart d'entre eux, maoïstes ou trotskystes, venaient du PCF dont ils
avaient été exclus, les uns - ceux qui allaient créer la
JCR - parce qu'ils n'avaient pas voulu soutenir la candidature de Mitterrand
en 1965, les autres - fondateurs de l'UJC(m-l) parce que dans la querelle entre
les bureaucrates soviétiques et les dirigeants nationalistes chinois,
ils voyaient en Mao le garant des idées révolutionnaires... et
le continuateur de Staline. La grande majorité d'entre eux étaient
étudiants et avaient peu de liens avec la classe ouvrière.
Cette absence de liens avec la classe ouvrière était due en grande
partie au barrage exercé par les staliniens qui considéraient
la classe ouvrière comme leur chasse gardée. Tous les moyens leur
étaient bons, calomnies, agressions physiques, contre les révolutionnaires.
Seul un groupe trotskyste, " Voix ouvrière ", héritier
du groupe dirigé par Barta qui avait déclenché la grève
Renault 47, avait entrepris un travail systématique d'intervention politique
et d'implantation des idées révolutionnaires dans la classe ouvrière,
travail fait un temps en commun avec le courant lambertiste.
Mais la brutalité des staliniens n'expliquait pas tout: la faiblesse
des liens avec les travailleurs tenait aussi à la conception que ces
groupes se faisaient du rôle de la classe ouvrière. La plupart
des groupes révolutionnaires se reconnaissaient dans les idées
tiers-mondistes et le soutien à la révolution cubaine, chinoise
ou vietnamienne, dirigées par des leaders nationalistes dont la référence
au communisme était plus inspirée du stalinisme que des idées
de Lénine et de Trotsky et auxquelles ils attribuaient des caractères
révolutionnaires qu'elles n'avaient pas. Quoiqu'ils aient continué
à se réclamer formellement du rôle révolutionnaire
de la classe ouvrière, ils pensaient que dans les pays du tiers monde
d'autres couches sociales, notamment la paysannerie, pouvaient jouer le même
rôle. Au nom du même raisonnement, nombre d'entre eux allaient prêter
à d'autres couches sociales petites-bourgeoises, comme les étudiants,
des vertus révolutionnaires.
Tout cela fit la force et la faiblesse des révolutionnaires en mai 68.
Leurs idées étaient populaires chez les étudiants et les
jeunes travailleurs qui aspiraient à changer la société.
Mais leur absence de liens avec les travailleurs fit que, même si beaucoup
d'ouvriers se sentirent trahis par la politique des directions syndicales et
notamment celle de la CGT, ils ne purent trouver dans les groupes révolutionnaires
l'appui et les perspectives nécessaires.
Mais si les révolutionnaires étaient minoritaires, s'ils étaient
coupés de la classe ouvrière, Mai 68 avaient redonné vie
et dynamisme aux idées qu'ils défendaient et leur influence allait
bien au delà de ce qu'étaient leurs organisations.
L'acharnement des dirigeants du PC et de la CGT à les discréditer
et à dresser un barrage entre les travailleurs et eux en était
la preuve. Le pouvoir gaulliste ne s'y trompa pas non plus, qui prit le 13 juin
68 des mesures de dissolution contre onze organisations d'extrême-gauche
au nom d'une loi du 10 janvier 1936 sur les milices de combat et milices privées
qui était censée faire barrage aux organisations d'extrême-droite
!
Une
occasion manquée
En 68, les nombreux groupes révolutionnaires furent surpris de l'irruption,
non seulement des étudiants manifestant leur volonté de changer
la société, mais surtout des travailleurs. Or en quelques semaines,
des dizaines de milliers d'étudiants, de lycéens mais aussi de
jeunes travailleurs ont manifesté leur sympathie pour les idées
révolutionnaires, découvert l'enthousiasme des luttes collectives.
Si la grande majorité des travailleurs en grève suivait les consignes
syndicales et notamment celles de la CGT, beaucoup regardaient vers ces gauchistes
qu'ils ne connaissaient pas, mais dont ils découvraient les idées
avec curiosité et sympathie.
Du jour au lendemain, c'est tout un courant d'opinion qui s'est affirmé
à la gauche du PCF, enthousiasmé par les idées de la lutte
et de la révolution, rejetant la politique timorée et sectaire
des dirigeants staliniens et la politique des réformistes de la SFIO
discrédités par leur rôle dans la guerre d'Algérie.
Il se manifesta notamment le 27 mai lors d'un meeting au stade Charléty.
Plus de 70 000 personnes, lycéens, étudiants mais aussi ouvriers
- il y avait des délégations d'entreprises comme Sud-Aviation,
le Crédit Lyonnais, l'ORTF et bien d'autres - étaient venus dans
l'espoir de voir naître un parti qui se situe à la gauche du PCF,
qui soit l'expression politique de l'enthousiasme révolutionnaire de
Mai. Quelque chose de neuf pouvait naître, un courant politique venait
d'affirmer son existence, mais il ne se concrétisa pas dans la constitution
d'une force politique organisée.
Les groupes révolutionnaires ne furent pas capables de faire face à
une telle situation. Non parce qu'ils étaient numériquement faibles
mais parce qu'ils n'étaient pas préparés politiquement
à y faire face, parce qu'à l'instant où leurs idées
trouvaient un écho de masse, ils se trouvaient prisonniers de raisonnements
et de comportements passés qui les paralysaient et stérilisaient
leur intervention.
Aucun groupe révolutionnaire n'était
en mesure de capitaliser et d'organiser les dizaines de milliers de jeunes,
étudiants et ouvriers, qui se tournaient vers les idées révolutionnaires
mais qui étaient bien en peine de choisir entre tous ces groupes. Regrouper
les forces des révolutionnaires pour que ce courant puisse se donner
une expression politique était une nécessité et toutes
les forces des révolutionnaires n'auraient pas été de trop.
(Voir annexe 2 comment Lutte ouvrière
posait la question du parti en aout 1968) Cela ne fut pas possible
à cause des faiblesses du mouvement révolutionnaire, de sa coupure
avec la classe ouvrière et de sa difficulté à rompre avec
les murs politiques imposées par le stalinisme. Les groupes révolutionnaires
avaient pourtant fait l'expérience dans le cours même des événements
de 68 qu'ils étaient capables de militer au coude à coude. Mais
ils ne surent pas passer au delà de leurs intérêts de boutique
et se hisser à la hauteur des intérêts généraux
du mouvement.
Cette incapacité des révolutionnaires à s'unir, à
construire le cadre qui aurait permis d'accueillir et de faire militer ensemble
tous ceux qui se réclamaient des idées révolutionnaires,
détourna d'eux bien des jeunes, des travailleurs.
Le mouvement gauchiste gardait son image étudiante dont Krivine se fit
le porte parole à l'occasion des élections présidentielles
de 1969 sans réussir à attirer ne serait-ce qu'une frange minime
de l'électorat ouvrier de la gauche.
Cette incapacité de l'extrême-gauche révolutionnaire ne
fut pas sans conséquence car de telles occasions ne se produisent pas
fréquemment. L'existence d'un parti révolutionnaire aurait en
effet profondément et durablement changé le rapport de forces
dans la classe ouvrière. Son absence laissait libre la voie à
la politique de l'Union de la gauche que beaucoup dans la classe ouvrière
rejoignirent faute d'une autre alternative. Mais la méfiance restait
vive comme le prouva le score d'Arlette Laguiller aux présidentielles
de 1974 qui, à la surprise générale, recueillit plus de
600 000 voix en axant sa campagne sur la dénonciation de Mitterrand et
de sa politique, au moment où la gauche s'échinait à susciter
de nouvelles illusions pour accéder au pouvoir et une nouvelle fois tromper
son électorat ouvrier.
Trente
ans après MAI 68, vers un nouveau parti des travailleurs socialistes
et communistes révolutionnaires
Le vingtième anniversaire de Mai 68 n'a laissé de souvenir impérissable
à personne. Cela n'a rien d'étonnant car le mois de mai 88 où
Mitterrand a entamé son deuxième septennat n'entrait vraiment
pas en résonance avec celui de 68. Les attaques redoublées de
la bourgeoisie depuis le début de la crise de 1974-75 et la politique
anti-ouvrière des gouvernements de gauche depuis 1981 avaient agi de
façon dissolvante sur le moral de nombreux militants de gauche ou d'extrême-gauche.
Aujourd'hui, les illusions des travailleurs dans le système et sur la
possibilité de changer leur sort par les élections ont reculé.
Les travailleurs sont choqués par les liens entre politiciens et hommes
d'affaires de même que par l'envolée des actions en Bourse à
la suite des plans de licenciements.
Changement des conditions objectives
Voilà pourquoi le trentième anniversaire de Mai 68 se présente
bien différemment et remet en lumière et à l'honneur les
idées révolutionnaires. Depuis l'année 1995, on assiste
plutôt à une remontée du militantisme syndical et associatif,
et à un intérêt croissant d'une fraction du monde du travail
et de la jeunesse pour les groupes d'extrême gauche. Cela s'est exprimé
par les scores inédits d'Arlette Laguiller en 1995 et des listes d'extrême
gauche, en particulier de Lutte Ouvrière, aux dernières élections
régionales.
Il y a là un phénomène durable qui traduit des changements
dans la situation objective depuis un an. Avec le retour au gouvernement des
partis de gauche, les illusions dans ces partis ont encore reculé sans
entraîner une nouvelle vague de démoralisation paralysant le monde
du travail. Cela a été attesté notamment par la grève
des routiers, le mouvement des chômeurs et celui en Seine-Saint-Denis.
Aussi bien ces luttes que les scores des listes révolutionnaires indiquent
une prise de conscience d'une fraction de la classe ouvrière déliée
de toute solidarité avec les partis de la gauche plurielle et avec les
directions syndicales qui y sont liées. Elle forme la base sociale d'un
parti d'extrême-gauche.
La
crise de l'extrême gauche
Au moment où se dessinent les éléments favorables à
la construction d'un tel parti, le mouvement révolutionnaire est affecté
par une crise. Il hésite à rompre avec des pratiques et une approche
des problèmes qui ne peuvent pas lui permettre de les résoudre
s'il s'y accrochait. C'est le cas par exemple de LO qui se réfugie dans
un repli sectaire alors que son succès aux régionales suscite
une attente ou de la LCR qui tarde à s'opposer clairement au gouvernement
de la gauche plurielle et ne sait plus très bien si elle doit changer
de nom.
Il s'agit d'une crise d'inadaptation à une situation inédite dont
l'ensemble de l'extrême-gauche n'a pris que partiellement conscience.
Cette inadaptation momentanée se traduit par un malaise et diverses crises
internes à plusieurs groupes révolutionnaires. Nous en sommes
au début d'une prise de conscience où chacun doute de ses positions,
de sa direction et de lui-même, cherche à cacher son trouble en
s'accrochant à des formules toutes faites et en se réfugiant dans
des attitudes de crispation sectaire. A cela s'ajoute en même temps l'aspiration
à se regrouper avec d'autres pour faire face à ses responsabilités
et franchir une étape, mais en ne voyant devant soi qu'un chemin semé
d'embûches pour y parvenir. La discussion qui s'amorce actuellement entre
la LCR et Lutte Ouvrière sur le front unique est symptomatique de cette
crise. Aussi lourdement académique soit-elle, on ne peut que se réjouir
de la reprise d'une discussion que ces deux organisations récusaient
depuis des années. Mais il est assez ahurissant de voir s'aligner sur
des pages et des pages des arguments sur le front unique face au danger de l'extrême-droite,
que ni LO ni la LCR ne peuvent dans les conditions actuelles promouvoir, alors
qu'une discussion plus fructueuse sur la nécessité de créer
tout simplement un front unique... de tous les révolutionnaires s'imposerait.
Enraciner les idées marxistes révolutionnaires dans le monde du
travail et la jeunesse
L'expérience militante et le potentiel d'énergies qui existent
dans l'ensemble de l'extrême-gauche est important. Ces atouts ne peuvent
donner leur pleine mesure qu'à condition que tous les révolutionnaires
regroupent leurs forces et orientent leurs efforts vers la classe ouvrière
et la jeunesse pour y enraciner les idées marxistes. Aujourd'hui, l'extrême
gauche n'a plus contre elle l'obstacle d'organisations staliniennes puissantes
et influentes. L'obstacle ne peut plus venir essentiellement que des faiblesses
héritées d'une longue période pendant laquelle les révolutionnaires
ont dû tenir face aux appareils bureaucratisés des partis et syndicats
staliniens et social démocrates. La pression de ces appareils, combinée
à l'isolement des forces vives de la classe ouvrière, a contribué
à développer des conceptions politiques et des méthodes
de fonctionnement caricaturales, marquant bien souvent la méfiance et
le scepticisme des groupes révolutionnaires quant à la capacité
des travailleurs à s'emparer des idées marxistes. La rupture avec
ces caricatures s'impose.
La
recomposition du mouvement révolutionnaire
Cette métamorphose du mouvement révolutionnaire ne peut s'opérer
que dans la confrontation large et démocratique de tous les points de
vue et dans la recherche systématique des collaborations en vue d'un
regroupement de toutes les tendances révolutionnaires. Ne pas en prendre
conscience en 1998 serait une preuve d'irresponsabilité, le propre de
militants plus attachés à leur conservatisme intellectuel et organisationnel
qu'aux intérêts généraux du mouvement révolutionnaire
comme du mouvement ouvrier. Pour développer toutes les possibilités
qui s'offrent à nous, pour nous dégager des étroitesses
qui amènent chacun à théoriser une forme ou une autre de
localisme, il nous faut mettre en commun toutes nos capacités, discuter
du programme et du fonctionnement permettant le regroupement de toutes les tendances,
envisager de créer une presse commune permettant à de nombreux
correspondants ouvriers d'y participer, accumuler des expériences communes
dans les luttes pour ouvrir la possibilité d'y jouer un rôle déterminant.
C'est ainsi que les idées du marxisme et du bolchévisme prendront
un contenu actuel et seront à nouveau des armes efficaces dans les mains
des travailleurs et de la jeunesse. C'est ainsi qu'à des rythmes et avec
des difficultés impossibles à prévoir, les révolutionnaires
tisseront des liens solides avec des militants socialistes et communistes qui
n'ont plus confiance dans leur parti et cherchent confusément un cadre
et des idées conformes à leurs aspirations.
Les moments forts d'une crise qui ébranla le système
3
mai : déclenchement des évènements
Le 3 mai, le recteur Roche demande l'intervention de la police pour faire évacuer
la cour de la Sorbonne où les militants d'extrême-gauche tiennent
un meeting. La police embarque tout le monde Les étudiants présents
aux abords de la Sorbonne, réagissent et manifestent aux cris de "La
Sorbonne aux étudiants", "Libérez nos camarades".
Les paniers à salade sont secoués. La police charge et procède
à plus de 600 arrestations et 12 étudiants sont inculpés.
Le 5 mai, quatre d'entre eux sont condamnés à deux mois de prison
ferme. La préfecture interdit toute nouvelle manifestation mais l'UNEF
et le SNES appellent pour le 6 mai à une grève générale
dans l'université. De son côté, le PCF dans l'Humanité-Dimanche
affirme que "ces faux révolutionnaires se comportent objectivement
en alliés du pouvoir gaulliste et de sa politique qui nuit à l'ensemble
des étudiants."
Du
6 au 13mai : la mobilisation des étudiants contre le pouvoir
Le 6 mai, des manifestations rassemblent jusqu'à 20 000 personnes. L'UNEF
pose trois revendications: le retrait des forces de police du Quartier Latin,
l'amnistie des condamnés, la réouverture des facultés fermées.
De jour en jour, à Paris comme en province, le mouvement s'élargit.
Le 10 mai, la manifestation parisienne rassemble plus de 50 000 personnes.
Les forces de l'ordre bouclent le Quartier Latin. Les manifestants montent une
soixantaine de barricades. Vers 2h00 du matin, les CRS ont l'ordre de charger.
La brutalité de la répression est sans précédent.
Les habitants du quartier ouvrent leurs appartements aux étudiants pourchassés
ou blessés. Mais la police poursuit les manifestants dans les cages d'escaliers
et les appartements privés. Les affrontements durent jusqu'à 7h00
du matin.
Le samedi, l'UNEF et le SNES invitent les syndicats ouvriers à appeler
à la grève générale. Les syndicats s'en tiennent
à une grève de protestation de 24 h.
Dans tout le pays, tous les quartiers, toutes les familles, on discute de cette
"nuit des barricades". Les travailleurs sont indignés par la
violence de la répression et aussi impressionnés par le courage,
la détermination de ces étudiants qui mettent en échec
le régime gaulliste
Du
13 au 26 mai : l'entrée en scène de la classe ouvrière
Le 13 mai, tout le pays est paralysé. Le soir, à Paris, la manifestation
rassemble près d'un million de personnes. Le lendemain les organisations
syndicales ne lancent aucun mot d'ordre de grève. Mais à Nantes,
les ouvriers de Sud-Aviation ne reprennent pas le travail et occupent l'usine.
Le 15, sous l'impulsion de jeunes ouvriers, Renault-Cléon près
de Rouen se met en grève et l'usine est occupée. Le 16, la grève
s'étend aux autres usines du groupe Renault. Le mouvement de généralisation
de la grève est irréversible. Alors, les dirigeants syndicaux
de nombreuses usines prennent les devants. La CGT met sur pied des "comités
de grève" qui ne sont composés que de militants syndicaux.
En quelques jours, dix millions de travailleurs entrent dans la grève.
Le 24, la CGT organise deux défilés distincts de la manifestation
des étudiants. Les défilés de la CGT sont autorisés
par la préfecture. La manifestation des étudiants est interdite.
De nombreux travailleurs jeunes et moins jeunes la rejoindront. Les barricades
ne se cantonnent plus au Quartier Latin, mais des affrontements ont lieu dans
tout Paris jusqu'à l'aube.
Dans la soirée, De Gaulle s'adresse au pays. Mais l'annonce d'un référendum
fait chou blanc.
Le 26 mai, les centrales syndicales et le patronat négocient au ministère
du Travail, rue de Grenelle. La CGT signe un "protocole" d'accord.
Du
27 mai au 1er juin : une semaine décisive
Les syndicats vont présenter les accords de Grenelle aux travailleurs.
Seguy se fait huer à Renault-Billancourt. Les centrales sont contraintes
de tout remballer. Le soir, au stade Charlety, le meeting de l'extrême-gauche
rassemble 70 000 personnes, dont de nombreux travailleurs. C'est l'enthousiasme,
le sentiment que le régime gaulliste arrive à son terme et que
tout est possible.
De Gaulle disparaît le 29 mai. Dans l'indécision, il va à
Baden-Baden se faire remonter le moral par le chef des forces françaises
en Allemagne, le général Massu. Mais ce qui va réarmer
moralement et politiquement De Gaulle, c'est l'empressement de toute la gauche
à le soutenir. Mitterrand, Mendès-France et le PCF font savoir
qu'ils sont prêts à prendre leurs responsabilités au sein
d'un gouvernement de la gauche. Mais tous précisent bien que cette solution
de rechange au gouvernement en place ne vaut que si De Gaulle décide,
de lui-même, de prendre sa retraite. De Gaulle comprend alors que tous
lui laissent le champ libre Le 30 mai, il fait savoir qu'il ne se retirera pas,
dissout l'Assemblée nationale et convoque de nouvelles élections
législatives. La manifestation de soutien à De Gaulle de 200 à
800 000 personnes selon les estimations, défile sur les Champs Elysées.
Le PCF utilise la visite de De Gaulle à Massu et la manifestation gaulliste
pour développer la crainte de la guerre civile. Les élections
législatives sont présentées comme permettant d'obtenir
ce que la grève n'arrachera pas au patronat. Le 1er juin, le bureau politique
du PCF déclare : "De Gaulle annonce son intention de procéder
à de nouvelles élections. Le PCF n'avait pas attendu ce discours
pour demander que la parole soit donnée au peuple dans les plus brefs
délais. Il ira à cette consultation en exposant son programme
de progrès social et de paix, et sa politique d'union."
Du
1er juin à la fin de la grève : le PCF avec la CGT met tout son
poids pour la reprise
Le 1er juin, la CGT et les autres centrales syndicales acceptent que redémarre
la distribution d'essence. Seule l'UNEF et les groupes d'extrême-gauche
appellent à une manifestation qui regroupe 40 000 personnes aux cris
de "Ce n'est qu'un début, continuons le combat".
Le 3 juin, l'Humanité titre : "Premiers résultats importants
dans un certain nombre de secteurs" et le 6 juin: "Cheminots,
RATP, postiers, mineurs, EGF, etc. : reprise victorieuse du travail".
C'est l'intoxication à la reprise pour hâter le mouvement, décourager
les travailleurs les plus combatifs.
Le 7 juin, les CRS occupent Renault-Flins. De violents affrontements éclatent.
Des étudiants viennent prêter main forte aux travailleurs. Ils
sont dénoncés par l'Humanité. Un jeune militant d'extrême-gauche,
Gilles Tautin, meurt noyé dans la Seine en essayant d'échapper
aux CRS aux usines Renault de Flins.
Le 11 juin, les ouvriers de Peugeot affrontent les CRS. Deux ouvriers sont tués.
Le lendemain la CGT fait le minimum en appelant à une heure de débrayage.
Le 13 juin, le gouvernement dissout onze organisations d'extrême-gauche.
Le PCF loin de protester s'en félicite dans le même temps où
avec la CGT, il active la reprise du travail, et mène une campagne électorale
active dans laquelle il se présente comme un "parti d'ordre"
selon ses propres termes.
Le 15 juin, la majeure partie des travailleurs a repris le travail. Les élections
législatives vont pouvoir se dérouler dans un calme relatif. Elles
seront une défaite cuisante pour les partis de gauche.
" La question du parti " telle que Lutte ouvrière la posait en aout 1968
Nous publions des extraits d'un article intitulé " La question du parti ", publié dans le numéro spécial de Lutte Ouvrière de l'été 68, parce que cet article nous semble intéressant à un double titre. D'une part, il permet de mesurer à quel point Lutte Ouvrière a renoncé à la politique qui était la sienne, ensuite parce que tous ceux qui pourraient s'étonner de la contradiction apparente entre nos propres raisonnements et le fait que les militants à l'origine de notre tendance viennent de Lutte Ouvrière, comprendront mieux notre filiation. Bien des choses dites dans cet article nous semblent d'une totale actualité.
" [...] Le problème de la construction de ce parti se trouve
posé en termes nouveaux. Il ne s'agit plus de trouver les voies permettant
aux révolutionnaires de gagner des militants ouvriers, il s'agit désormais
d'organiser ceux qui existent potentiellement, qui se sont révélés
au cours des événements. Et il s'agit de le faire rapidement,
avant qu'un possible reflux, avec son cortège de démoralisation,
ne réduise à néant l'acquis de mai.
Or, beaucoup de ces militants sont désorientés par la division
de l'extrême-gauche. Ils ne voient pas sur quoi baser leur choix, et ils
n'ont effectivement pas les moyens de faire un tel choix [...]
Il ne s'agit pas de prêcher pour des raisons opportunistes une unité
sans principe. De toute manière, tous les militants qui combattent à
la gauche du P.C.F. se retrouveront un jour ou l'autre, par la force des choses,
dans un même parti révolutionnaire. Ou alors, celui-ci n'existera
pas. Seuls des sectaires invétérés pouvaient, et peuvent
continuer à imaginer qu'il leur est possible de construire seul leur
parti, murés dans un splendide isolement [...]
Il faut pour cela que chacune de ses tendances constitutives agisse en ne perdant
pas de vue justement qu'elle n'est qu'une tendance du futur parti. Qu'elle repousse
tout sectarisme, tout esprit " de boutique " et de concurrence. Qu'elle
considère les intérêts du mouvement révolutionnaire
dans son ensemble comme son propre intérêt.
Il faut aussi, dès à présent, tout mettre en uvre
pour unifier dans les plus courts délais l'ensemble des tendances révolutionnaires
au sein d'un même parti.
Ce ne sera naturellement possible que si chacune de ces tendances conserve le
droit et la possibilité réelle, de défendre librement ses
idées au sein du parti unifié.
Mais la reconnaissance d'un tel droit [...] serait l'affirmation d'un droit
démocratique élémentaire, sans lequel un parti révolutionnaire
ne saurait même pas exister.
Il nous faut là aussi combattre les séquelles du stalinisme dans
l'extrême-gauche. Le monolithisme n'est pas un facteur d'efficacité
révolutionnaire [...]. Un parti révolutionnaire pour accomplir
ses tâches, a besoin que règne en son sein la démocratie
la plus intense. Non seulement que les formes démocratiques soient observées,
mais surtout qu'existent entre militants, entre la base et la direction, à
tous les niveaux, de réels rapports démocratiques. La richesse
de la vie intérieure d'un parti est un signe de santé [...].
Que chacune des tendances de l'extrême-gauche considère que sa
politique est la plus juste, c'est bien naturel. Le contraire serait particulièrement
inconséquent. Mais dans les conditions actuelles, chacune d'elle doit
être aussi convaincue qu'il serait infiniment plus profitable pour elle-même
comme pour les intérêts généraux du mouvement, de
défendre ses idées au sein d'un parti unifié. Aucun révolutionnaire
digne de ce nom ne peut craindre la lutte des idées.
L'unification de toutes les tendances révolutionnaires ne serait pas
une fin. Mais ce serait un sérieux commencement. Il resterait au jeune
parti à s'aguerrir, à se tremper dans la lutte, à sélectionner
sa direction et ses cadres, à se rendre apte enfin à remplir sa
tâche historique, la révolution prolétarienne. [
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