Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°198
26 juin 2008

Sommaire :
Après l'échec des 10 et 17 juin
Spéculation, surprofits, inégalités… vers la catastrophe annoncée


Après l'échec des 10 et 17 juin

Après l'échec du 10 juin dans la Fonction publique, la journée d'action du 17 a été en recul par rapport à celle du 22 mai. Dans certains secteurs comme la SNCF ou la Poste, elle a été peu suivie, révélant tout le malaise de bien des travailleurs et des militants face à la situation actuelle. Éparpillement des luttes, "dialogue social" avec le gouvernement, "position commune" avec le MEDEF sur la représentativité, tout cela pèse d'autant plus que la révolte est bien présente face à la dégradation de la situation et l'offensive du gouvernement. Mais les directions syndicales, elles, ne proposent que des luttes sans lendemain et sans perspectives, si ce n'est le... 7 octobre prochain pour une "rentrée en fanfare" comme le déclare Thibault !
Le gouvernement et la droite reprennent l'initiative. Dans son éditorial, le Figaro du 18 juin écrit : " Nicolas Sarkozy a remporté une victoire psychologique majeure : montrer que la France n'est plus le pays irréformable qu'on nous décrit depuis trente ans. Qui osait croire, il y a seulement douze mois, que le gouvernement pourrait sans encombre réformer les régimes spéciaux, allonger à 41 ans la durée de cotisations, instaurer le service minimum, tout en vidant les 35 heures de leur substance ? ". Heureuse du sale coup sur les 35 heures, la droite rêve de mettre fin définitivement à ce "pouvoir de la rue" et à la contestation qui s'est imposée par en bas en 1995 ou lors du CPE.
Le gouvernement lance même une nouvelle provocation sur la Sécu, avec l'annonce de ne plus rembourser qu'à hauteur de 35 %, au lieu de 100 %, les médicaments traitant les affections longue durée. Bachelot a même le culot de déclarer que la prise en charge complète doit être "préservée"... sans préciser si c'est par les mutuelles ou la Sécu. Elle joue le même jeu que Bertrand, qui veut déréglementer le temps de travail tout en déclarant que les 35h resteront le cadre légal !
Beaucoup pensaient, après l'élection de Sarkozy, que celui-ci passerait tout "en force", briserait les grèves par la répression, etc. Mais si celui-ci est à l'offensive aujourd'hui, c'est avant tout par la politique du "dialogue social" par laquelle il a réussi à enfermer les directions syndicales et à les ridiculiser. Celles-ci sont incapables d'organiser la riposte, d'affirmer une politique indépendante du pouvoir, qui affirme, à l'opposé des "diagnostics partagés" en tout genre, la légitimité du "pouvoir de la rue".
Même après avoir été utilisées par le gouvernement pour la remise en cause des 35 heures, elles en redemandent. Devant le Conseil économique et social, où siègent les directions syndicales, Fillon vient de proposer une "charte du dialogue social" pour la rentrée, tout en expliquant qu'il ne céderait rien sur les contre-réformes en déclarant : " nous sommes, je suis réformateur et impatient " ! Et Chérèque d'expliquer doctement à propos de cette charte : " Il nous faut un mode d'emploi de la loi sur le dialogue social ", comme si tout le monde n'avait pas encore compris à quoi il servait ! Il faut dire que depuis quelques jours, celui-ci discute en coulisse avec Copé sur le texte de loi sur la représentativité et le temps de travail. Alors que cette loi représente une attaque majeure, en permettant aux entreprises d'imposer la durée du travail par tous les chantages possibles, la seule perspective annoncée est de discuter avec les députés de droite pour amender à la marge ! Engagées par leur signature, les directions syndicales ne veulent même pas formuler la revendication du retrait pur et simple de cette loi !
Mais si Sarkozy a pu engluer les directions syndicales dans sa politique, il est loin d'avoir gagné la bataille, en particulier celle de l'opinion. Les ruptures s'approfondissent à la base et le décalage est de plus en plus grand entre la révolte au cœur du monde du travail et les calculs des bureaucraties syndicales obnubilées par leurs intérêts d'appareil. Comme le fait remarquer un article du Monde, le calcul du gouvernement est à court terme en risquant en particulier de " fragiliser M. Thibault dans la mutation qu'il veut imprimer pour inculquer une culture du compromis à la CGT ".
Il devient évident, pour tous ceux qui veulent se battre et travailler à la convergence des luttes contre Sarkozy et son gouvernement, qu'il est urgent de rompre avec la politique du "dialogue social" et de l'accompagnement des contre-réformes. Une étape supplémentaire vient d'être franchie et une bataille très importante est en route au sein des syndicats sur ce clivage.
La politique du "dialogue social" conduit les syndicats à participer aux mauvais coups du gouvernement en n'amendant qu'à la marge les remises en causes les plus profondes, quand ils ne signent pas directement des accords qui sont des reculs pour les travailleurs comme la réforme du marché du travail. Ce faisant, ils apportent de l'eau au moulin du gouvernement, en accréditant à la fois l'idée qu'il pratique le "dialogue", mais aussi que ces attaques sont inévitables, qu'il n'y a rien à faire face à la mondialisation et à la sacro-sainte loi du profit.
Mais dans bien des syndicats, des militants refusent cette évolution et aspirent à rompre avec cette politique. Ils voient bien qu'il n'y a aucune fatalité, que les riches s'enrichissent encore davantage pendant que les salaires reculent, que les licenciements font monter les actions et les profits d'une infime minorité de parasites. Ils voient bien qu'il s'agit de préparer une lutte sérieuse et pas ces "journées d'action" sans lendemain qui démoralisent sans redonner confiance dans la lutte. Pour cela, il faut affirmer des revendications unifiantes sur les salaires, contre les licenciements, et ne pas se justifier face au gouvernement et au patronat, qui en veulent toujours plus.
Le combat pour une politique de lutte de classe dans les syndicats est bien évidemment lié à la question de la construction d'un nouveau parti anticapitaliste capable de faire émerger une nouvelle conscience de classe face à l'offensive actuelle. A l'opposé des "diagnostics partagés" en tout genre, il faut une opposition radicale, politique, à Sarkozy et à Fillon : ils peuvent faire des effets de manche sur leur "impatience" à asséner les mauvais coups, ils sont bien loin d'avoir vaincu ceux qu'ils craignent le plus, les travailleurs, les jeunes, les opprimés, ce fameux "pouvoir de la rue".
Mais pour les faire reculer et reprendre l'initiative, il nous faut rompre avec l'orientation d'adaptation et d'accompagnement qui se construit aujourd'hui dans les syndicats autour de la signature sur la représentativité tant dans le privé que dans la fonction publique, élaborer un plan, une politique pour les luttes.

Denis Seillat

Spéculation, surprofits, inégalités…
vers la catastrophe annoncée


Les représentants des pays producteurs et consommateurs de pétrole, des institutions internationales et des compagnies pétrolières se sont retrouvés à Djeddah, en Arabie Saoudite, dimanche 22 juin pour une conférence sur l'énergie. L'objectif annoncé était de tenter de faire face à la flambée des cours du pétrole, qui aggrave la situation économique et nourrit la contestation sociale et politique.
" Prenant en compte les conditions et priorités nationales différentes, tout comme leur intérêt commun dans un marché pétrolier mondial stable ainsi que dans une croissance économique durable ", les participants ont accouché d'une déclaration dont l'essentiel, comme on pouvait s'y attendre, relève du vœu pieux : il faut plus de transparence et de régulation des marchés financiers, il faut augmenter les capacités de production et de raffinage pour faire face à une demande qui s'accroît, il faut que les institutions financières internationales intensifient les aides " pour atténuer les conséquences des prix du pétrole élevés sur les pays les moins développés "…
Pour expliquer les raisons de ce phénomène, il est le plus souvent invoqué une crise énergétique, résultat d'une demande générale en augmentation du fait de la croissance des pays "émergents", tandis que les capacités de production actuelles seraient insuffisantes, pour des raisons techniques, climatiques, politiques. Tout cela au nom de la loi de l'offre et de la demande. Une "explication" qui a pour but de masquer les responsabilités directe des trusts du pétrole, même si elle ne parvient pas à masquer la spéculation, qui est dénoncée comme un excès immoral, une anomalie du capitalisme.
Il est indiscutable que la demande est tirée par la croissance des pays "émergents", alors que les capacités de production et de raffinage restent limitées de par les choix des trusts du pétrole. A quoi s'ajoutent les craintes résultant de l'évaluation des réserves encore disponibles, qui font apparaître la perspective d'une "fin du pétrole" comme relativement proche. Tout comme il est indiscutable que les spéculateurs financiers non seulement profitent de cette situation mais y ont une large part de responsabilité du fait de leur volonté d'accumuler des profits colossaux.
Si la course à la productivité, qui accentue la demande énergétique de façon totalement anarchique, en épuise les ressources et conduit à la catastrophe écologique est une des conséquences de la politique des classes dominantes et de leurs Etats, la spéculation en est une des composante essentielle, organiquement liée au capitalisme.
Tout simplement parce que les détenteurs de capitaux n'investissent dans un processus (industriel, commercial, financier…) que dans le but d'en tirer un profit, le profit maximum. Investir, c'est spéculer sur des profits à venir, quelle que soit leur origine. "Fausser" les lois de la "libre concurrence", organiser la pénurie, limiter l'offre pour augmenter les prix, ne sont que des moyens parmi d'autres de tirer le maximum de profits de cette spéculation. Des pratiques qui sont la politique même des classes capitalistes.
Cette conférence de Djeddah est une illustration des conséquences de cette politique, la crise globalisée. Elle aussi une manifestation de l'inquiétude que les conséquences économique, sociales, politiques (émeutes de la faim, manifestations contre la hausse des prix du pétrole…) font naître dans les milieux dirigeants de la planète.
La presse y voit aussi le constat de l'impuissance des principaux acteurs. Sentiment renforcé par le fait que, dès le lendemain du sommet, et comme pour en souligner le côté dérisoire, le pétrole est de nouveau parti à la hausse, tandis qu'en France les prix des carburants franchissaient de nouveaux records… Mais cette "impuissance" n'est qu'un faux semblant : la crise résulte de la politique même de ceux qui prétendent la combattre, et leurs "remèdes" ne font que l'aggraver.

La politique des classes capitalistes
La flambée des prix de l'énergie, comme de ceux des matières premières minières et alimentaires, ne sont qu'un des aspects de la crise économique dans laquelle nous sommes entrés depuis bientôt un an. Crise qui est à la fois globale, mondiale, marquée par des ébranlements boursiers planétaires, une crise bancaire et du crédit généralisée, mais qui, du moins pour l'instant, n'a pas revêtu le côté "catastrophique" qu'avait pris une crise comme celle de 1929.
La mondialisation de l'économie, résultat d'une période de croissance qui touche l'ensemble de la planète, et qui a vu, parmi quelques autres pays, la Chine devenir "l'usine du monde", premier exportateur mondial de pays manufacturés, est en phase d'atteindre son apogée, mais se poursuit cependant, tandis que la crise se développe. C'est ce qui explique que malgré ses manifestations, malgré les conséquences sociales dramatiques qu'elle entraîne, la crise n'affecte pas, du moins pour le moment, la santé des profits et de la grande bourgeoisie internationale. Bien au contraire.
Le Figaro du 25 juin, dans un article intitulé "Le monde compte dix millions de millionnaires", reprend les résultats d'une enquête d'une revue financière américaine. Il pointe le fait que, malgré la crise, le nombre des personnes dont la fortune dépasse le million de dollars vient de franchir le cap des dix millions, avec des croissances très importantes sur un an : en Inde (+ 22,7 %), en Chine (+ 20,3 %), au Brésil (+ 19,1 %)... D'autre part, la fortune globale (40 700 milliards de dollars) que se partagent ces "millionnaires" n'a cessé de croitre " malgré les turbulences qui ont frappé les marchés financiers à partir de l'été ", "… grâce à la flambée des matières premières, pétrole en tête, et à la bonne résistance des économies et des Bourses émergentes ". Le club des " "très grandes fortunes" (détenant plus de 30 millions de dollars d'actifs financiers) comptait l'an dernier 103 320 personnes (+ 8,8 % par rapport à 2006). Et leurs avoirs (qui pesaient 37 % des 40 700 milliards !) ont bondi de 14,5 %. ". Et l'article conclut sur une note optimiste : " Malgré les crises financières et boursières qui secouent la planète depuis le début de l'année, l'avenir s'annonce prometteur. La richesse des grandes fortunes devrait croître de 7,7 % par an d'ici à 2012 "…
La crise est le produit naturel des ingrédients qui ont contribué à cette croissance perverse. La baisse continue des revenus de la grande masse des salariés des anciens pays industrialisés sous la pression de la course au profit, de leur mise en concurrence avec les salariés des pays pauvres, a eu pour effet de diminuer le marché solvable des principaux pays "consommateurs" de la planète : c'est désormais la récession aux Etats-Unis, principal importateur mondial. Récession dont une des premières manifestations a été la crise du secteur de l'immobilier l'été dernier, et qui s'étend progressivement à l'ensemble de la planète.
La réponse des bourgeois et des gouvernements à la crise est de même nature que les causes qui la nourrissent. Pour assurer leurs profits coûte que coûte, ils poursuivent sans relâche leur attaques contre les salaires, le temps de travail, les retraites, les prestations sociales… Mis sous perfusion par les banques centrales qui cherchent à "maintenir la confiance des marchés", les financiers internationaux spéculent sur le pétrole, les matières premières agricoles et minières, faisant leur profit sur le dos des "consommateurs", des prolétaires qui n'ont pas d'autre choix, pour se nourrir et se déplacer, que de payer le prix fort. Les populations des pays des plus pauvres sont confrontées à la famine, le pouvoir d'achat de la population des pays plus riches ne cesse de baisser, tandis que marins-pêcheurs, paysans, transporteurs routiers, manifestent contre une situation qui les pousse à la faillite…
La santé des capitalistes va bien, certes, mais cette santé est la cause même de la crise qui ruine la société, elle engendre la récession et prépare, de fait, la catastrophe.

De nouvelles conditions pour les luttes
Le capitalisme, aujourd'hui, atteint les limites de son développement, tant du point de vue planétaire que dans l'exacerbation de la contradiction entre la socialisation et l'appropriation privée. Pour ne prendre qu'un exemple, la prolétarisation de millions de paysans des pays pauvres, la disparition des agricultures vivrières que cela implique, et leur remplacement par des monocultures industrielles, participe de la division internationale du travail, d'une socialisation des productions agricoles. Mais ce qui pourrait être un progrès technique et social se transforme en cause de famine, par le seul fait que cette évolution se fait dans le cadre de l'appropriation privée, par les multinationales de l'agro-alimentaire, des profits tirés de l'exploitation des paysans prolétarisés des pays pauvres et de la spéculation sur le marché des matières premières agricoles.
Le capitalisme a contribué à constituer, à l'échelle du monde, une économie globalisée dans laquelle des millions de travailleurs collaborent à la création de produits et de services destinés à un marché international.
En exacerbant la lutte de classe menée par les capitalistes à l'ensemble de la population laborieuse de la planète, la crise contribue à éclaircir la question des rapports sociaux, par dessus les frontières. Si les conséquences peuvent prendre des formes différentes suivant les endroits et les secteurs de l'économie, les causes en sont facilement identifiables : la mainmise des multinationales de la finance et de l'industrie, la folie destructrice de la concurrence et de la recherche du profit maximum.
La crise rend palpable l'idée que les divisions entre les hommes ne passent pas par des frontières géographiques mais bien par des clivages de classe, l'opposition centrale, irréductible, entre les exploiteurs et les exploités. Elle crée une solidarité de fait entre les exploités du monde entier, et ce d'autant que chacun peut constater que les formes de lutte, relayées par les médias, sont partout les mêmes, grèves, manifestations, contestation sociale et politique dans la rue et par les luttes.
" …s'il se laisse trop emporter par son apparente splendeur, le capitalisme mondial risque de faire naître parmi ses propres citoyens le désir d'un socialisme mondial. Cela pourrait arriver lorsqu'un irrépressible sentiment d'injustice s'exprimera face aux conséquences, au quotidien, des mécanismes mis en place pour la survie des moins scrupuleux "... écrit Norika Hama, professeur dans une école de commerce japonaise, dans une tribune consacrée au G8 publiée dans les Echos

Une politique pour les classes exploitées
Oui, l'issue est bien un socialisme mondial.
Ce contexte politique lie les luttes quotidiennes pour la défense des intérêts quotidiens des exploités à la perspective d'une transformation de la société. Il impose que nous nous donnions un programme qui puisse donner une cohérence politique aux luttes catégorielles dispersées. Un programme qui soit, en même temps, un véritable programme politique, pour un changement révolutionnaire de la société, s'appuyant sur la lutte des classes réelle, la contestation sociale qui concerne de multiples catégories sociales, salariés du public comme du privé. Et qui puisse aussi apporter ses propres réponses à la situation des petits paysans, artisans, commerçants, voire petits patrons, étranglés par la crise.
L'enjeu est de contribuer à ce que la révolte sociale, qui nait de l'exacerbation de la lutte des classes menée par les capitalistes contre la très grande majorité de la population de la planète, se transforme en lutte des classe menée de façon consciente par les travailleurs, contre la bourgeoisie internationale et ses Etats ; contribuer à faire en sorte que l'expérience accumulée par les travailleurs dans la lutte des classes de tous les jours se transforme en conscience de classe, et acquière la capacité politique de mener les changements économiques, sociaux et institutionnels qui s'imposent.
Et que se construise ainsi une conscience socialiste mondialisée libérée de toutes les étroitesses nationales.

Eric Lemel