Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°206
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30 octobre 2008
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L'étatisme
de Sarkozy ou l'union de la banque
et de l'Etat contre les travailleurs et la population
Mardi 28, à
Rethel, dans les Ardennes, en présentant son plan de "mobilisation
pour l'emploi", Sarkozy a annoncé son intention d'accélérer
ses attaques contre le monde du travail et la création de 100 000 emplois
aidés de plus
sans oublier sa botte secrète contre la crise :
le développement du travail du dimanche !
Ce plan de "mobilisation pour l'emploi" était sensé
constituer le troisième volet de son soi-disant plan contre la crise.
Il vient après l'annonce, le 23 octobre à Annecy, des mesures
de soutien aux PME, elle-même précédée du vote par
l'Assemblée nationale de 360 milliards d'euros de soutien aux banques.
Mais, malgré toutes les rodomontades "volontaristes", et comme
pour mieux illustrer l'impuissance des mesures prises par les dirigeants politiques
et économiques à contrôler un tant soit peu la situation,
les Bourses continuent leur jeu de yoyo, alternant krachs brutaux et remontées
irrationnelles, tandis que tombent de nouvelles annonces de fermetures d'entreprises,
en particulier dans l'automobile
Mais qu'importe. Au-delà des ambitions personnelles du petit homme qui
voit dans la situation l'occasion de jouer un rôle historique à
la mesure de ses prétentions, il y a, dans ses discours, la cohérence
d'une intervention politique qui vise à maintenir la crédibilité
d'un système économique profondément ébranlé
par la crise. Henri Gaino, l'homme qui écrit les discours de Sarkozy,
résume ainsi le fond de l'argumentation : " le capitalisme
financier a perverti le capitalisme et détruit le système de valeurs
qui depuis toujours lui donne sa vitalité et sa puissance créatrice.
L'enjeu aujourd'hui c'est de revenir aux sources éthiques du vrai capitalisme,
celui de l'entrepreneur, de la récompense de l'effort et du mérite,
de la responsabilité ".
Dénoncer le capitalisme financier en l'opposant à un soi-disant
"vrai" capitalisme n'a pas d'autre objectif que de tenter de faire
passer au mieux des mesures destinées à assurer le maintien de
la domination du
capitalisme financier. Quitte à abandonner les
discours libéraux d'hier. Quitte à habiller les "mesures"
d'un laïus "antilibéral" qui friserait même, aux
yeux de certains "observateurs" bienveillants, le "socialisme"
Sarkozy se complait dans l'imposture.
Cela ne fait que contribuer à reléguer un peu plus les dirigeants
socialistes au rayon des accessoires. Ils n'ont aucune alternative à
opposer à Sarkozy et jouent les dupes. Lors du vote du cadeau de 360
milliards aux banques, ils s'étaient abstenus au prétexte qu'il
n'était " pas question de s'opposer à un plan qui
permet au niveau européen de sortir des premières tourmentes de
la crise financière " ; Après l'intervention
de Rethel, Hollande fait semblant de s'étonner des insuffisances du plan
de Sarkozy : " Nicolas Sarkozy a fait un meeting, mais il n'a pas apporté
les réponses qui étaient attendues par ceux qui craignent pour
leur propre emploi ". Quelle surprise !
Une attitude que les dirigeants des grandes confédérations syndicales,
engluées dans le " dialogue social ", n'hésitent pas
à reprendre. Pour Thibault, " on demande aux salariés
de s'adapter à la situation en mettant quelques pansements ici et là,
ce n'est absolument pas à la hauteur de la crise " ; pour Chérèque,
" M. Sarkozy a présenté cette annonce comme la troisième
étape de son plan anti-crise, on peut dire qu'elle est certainement la
plus décevante "
Le
" retour du politique ", façon Sarkozy
" S'il y a bien un fait majeur qui émerge de cette crise,
c'est le retour du politique. L'idéologie de la dictature des marchés
et de l'impuissance publique est morte avec la crise financière "
prétend Sarkozy. Il voudrait s'appuyer sur ceux qui pensent que la crise
vient d'un manque de régulation du capitalisme, d'un renoncement de l'Etat
à assurer ses fonctions de contrôle du fonctionnement de la société,
l'illusion d'un "Etat providence" protégeant les classes populaires
des appétits des classes dominantes. Alors il promet " un
Etat plus actif dans l'économie, qui assume ses responsabilités,
qui entreprend et qui investit "
Mais le véritable contenu de ce "retour du politique" tient
dans la nature même des mesures qu'il prend. Ces mesures ne remettent
absolument pas en cause ce "capital financier" qui est dénoncé
comme responsable de tous les maux. Bien au contraire, elles s'inscrivent totalement
dans le fonctionnement de ce système.
C'était clairement le cas avec les centaines de milliards votés
pour venir au secours de banques, leur apporter la garantie de l'Etat sous prétexte
de "restaurer la circulation du crédit". Autrement dit tenter
de maintenir en état de fonctionnement le processus par lequel les institutions
financières collectent leur part de plus-value produite par l'exploitation
du travail. Et du même coup, apporter une nouvelle prime à la spéculation,
puisque cette circulation financière est articulée sur les marchés
financiers, la Bourse et autres "industries financières". En
prenant sur l'argent des contribuables.
C'est le cas également avec les mesures annoncées à Annecy
en "faveur des PME". Au-delà de l'aspect dérisoire des
sommes engagées, et qui sont bien incapables de faire face à l'ampleur
de la récession, ces mesures ne remettent absolument pas en cause les
liens de dépendance de l'économie "réelle" au
pouvoir de la finance. Pour l'essentiel, elles constituent une garantie de l'Etat
aux prêts bancaire, et à ce titre, elles contribuent à renforcer
ces liens de dépendance auxquels Sarkozy prétend vouloir mettre
fin. Elles ne constituent par ailleurs en aucune façon la politique de
crédit qui serait nécessaire pour répondre aux besoins
des travailleurs indépendants.
Quand au "fond souverain à la française", le "fond
stratégique d'investissement", il n'apportera rien de bien différent :
l'Etat empruntera aux banques l'argent qu'il utilisera pour prendre des participations
dans les entreprises industrielles "stratégiques" qui en auront
besoin
Le système financier, dans lequel l'Etat s'imbrique par
le biais de ce fond, reste au cur de l'affaire. L'Etat sert d'intermédiaire
et de caution, et les banques retrouveront leur mise, avec les intérêts,
quel que soit le résultat du "sauvetage"
et au frais
du contribuable.
Bien sûr, l'Etat n'a pas attendu la crise pour intervenir au service des
classes dominantes : le quart de siècle de mondialisation libérale
que nous venons de vivre est l'histoire d'une offensive continue de l'Etat contre
les travailleurs et les classes populaires pour restaurer les profits de la
bourgeoisie. Les "réformes sociales" menées à
marche forcée par le gouvernement actuel et le patronat en sont le prolongement.
Et la crise est pour Sarkozy l'occasion d'en rajouter une couche sur ce terrain
également. C'est la substance de son plan pour l'emploi présenté
à Rethel ce mardi. Les seuls "emplois" en perspective, c'est
une centaine de milliers de contrats aidés de plus ; pour le reste,
c'est l'accélération de la mise en place de la "sécurité
sociale professionnelle", une synthèse cynique de mesures contre
les droits des salariés, avec ou sans emploi.
Parisot ne s'y est pas trompée, qui a vu dans cette annonce " d'excellentes
nouvelles " et salue " la volonté du président
de la République de lever les tabous, en particulier à propos
du travail le dimanche et de l'utilisation des CDD pour stimuler l'économie ".
Tout est dit
Loin d'être une rupture avec la politique libérale passée,
l'"étatisme" de Sarkozy est une accentuation de cette politique.
Alors que la phase de mondialisation de l'économie prend fin sous la
forme d'une crise majeure, de nouvelles formes politiques se mettent en place,
fondées sur l'union de l'Etat et de la banque. Un "libéralisme
d'Etat" qui a pour but d'aider les sommets de classes dominantes à
traverser la crise avec le moins de casse possible, mais aussi à maintenir
leur domination dans la période qui suivra.
Impuissance
devant la crise historique de la domination capitaliste
Car personne ne s'attend à ce que, l'épisode aigu actuel passé,
les affaires reprennent comme avant. La phase de croissance qui a accompagné
le développement considérable de la Chine et de quelques autres
pays "émergents" semble bien terminée. Les illusions
dans un accroissement sans limite des profits tirés de cette expansion
s'effondrent dans la récession ou le ralentissement qui frappe l'ensemble
des pays de la planète, et dans la gigantesque purge financière
qui ébranle tous les marchés financiers.
La situation actuelle n'est pas une simple crise conjoncturelle, passagère.
Elle est le signe que le capitalisme atteint ses propres limites, qu'il n'en
sortira que pour s'enfoncer dans une crise permanente. En ce sens, la crise
actuelle marque un tournant historique du capitalisme à un niveau bien
supérieur à celui de la crise de 1929. Nous vivons le début
de la crise globalisée du capitalisme, la crise de la domination de la
bourgeoisie devenue une aristocratie financière parasitaire.
Une situation dont la bourgeoisie et ses représentants politiques sont
bien conscients, comme l'exprimait Sarkozy à Annecy : " Nous
n'avons pas le droit d'échouer sinon nous risquons d'être confrontés
partout à la révolte des classes populaires et des classes moyennes
qui rejetteront une mondialisation qu'elles ne vivent plus comme une promesse
mais comme une menace, non plus comme une source d'espérance mais comme
une cause d'injustice ".
Et il ajoutait : "
nous devons, dans les circonstances
actuelles, continuer d'être volontaristes comme nous l'avons été
face à la crise financière. Car c'est le volontarisme qui sera
le meilleur antidote à la dangereuse tentation du protectionnisme, de
l'anticapitalisme et du dirigisme bureaucratique que les désordres actuels
vont immanquablement nourrir. "
Les Etats et les institutions financières s'avèrent impuissantes
à s'opposer au développement de la crise et à l'accélération
de la récession. Tout au plus peuvent-elles, grâce à leur
expérience des crises passées, freiner les effets de la purge
gigantesque qui est en train de s'opérer.
La période qui a suivi la chute du mur de Berlin, au cours de laquelle
le capitalisme a pu être considéré par une grande majorité
comme "l'horizon indépassable", et les communistes révolutionnaires
comme des ringards totalement hors de l'histoire, est terminée. Le capitalisme
a fait faillite. La légitimité de sa domination sur la société
est remise en cause, et cela contraint la bourgeoisie et ses larbins politiques
à mener une bataille politique pour défendre le capitalisme en
tant que tel. C'est une des raisons principales de l'agitation incessante de
Sarkozy montant au créneau pour défendre la "refondation
du capitalisme", les vertus du marché et de l'effort justement
récompensé,
sans oublier de nous mettre en garde contre
la " dangereuse tentation de l'anticapitalisme ".
Capitalisme
ou socialisme
Dans un chapitre du Programme de transition (1)
intitulé " L'expropriation des banques privés et l'étatisation
du système de crédit ", Trotsky écrivait en 1938 :
"
Dans leur structure, les banques reflètent, sous
une forme concentrée, toute la structure du capitalisme contemporain
: elles combinent les tendances du monopole aux tendances de l'anarchie. Elles
organisent des miracles de technique, des entreprises gigantesques, des trusts
puissants; et elles organisent aussi la vie chère, les crises et le chômage.
Impossible de faire un seul pas sérieux dans la lutte contre le despotisme
des monopoles et l'anarchie capitaliste, qui se complètent l'un l'autre
dans leur uvre de destruction, si on laisse les leviers de commande des
banques dans les mains des rapaces capitalistes ".
La situation d'aujourd'hui est certes différente, mais les conclusions
sont les mêmes : pour mettre fin à la gabegie destructrice
qui résulte du pouvoir sans limite qu'exerce l'aristocratie financière
sur la société toute entière, il faut retirer les " leviers
de commande " de ses mains, en imposant nos propres mesures d'urgence
pour éviter le blocage de la production et des échanges, l'asphyxie
de l'économie :
-
Regrouper les institutions financières, sous le contrôle démocratique
des travailleurs et de la population
Les dirigeants des grandes institutions financières (banques, compagnies
d'assurance, fonds de pension, etc.) tiennent entre leurs mains tous les fils
qui contrôlent l'économie. Ces institutions assurent la collecte
d'une infinité de capitaux particuliers et décident de la façon
dont ces derniers seront investis, et dans quel domaine.
Elles détiennent ainsi de fait le droit de vie et de mort sur des milliers
d'entreprises, de toute taille, voire de secteurs entiers de la production,
avec comme seul critère la recherche du meilleur rendement.
La collecte des capitaux privés, leur gestion, leur placement dans des
entreprises industrielles, agricoles ou commerciales, ou encore au service de
l'Etat, peut très bien se faire par le biais d'un grand service public,
une grande banque nationale regroupant l'ensemble des institutions financières
existantes. Les salariés qui assurent déjà le fonctionnement
de ces entreprises continueraient leur travail dans le cadre de l'institution
publique et y exerceraient leur contrôle.
Les restructurations actuelles des banques se font dans la violence des fusions
imposées par les choix stratégiques des sommets et la pression
de la crise. Ce qui est possible sous la contrainte de la concurrence le serait
bien plus simplement dans le cadre d'un choix collectif et démocratique,
auquel seraient totalement associés les employés de ces entreprises,
qui en seraient eux-mêmes les acteurs.
Bien sûr, l'aristocratie financière parasitaire qui trône
au sommet de ces groupes y perdrait son pouvoir et ses sources de revenus
Il s'agirait, en quelque sorte, de quelques dizaines de " licenciements
pour faute grave ".
- Mettre
fin au casino boursier, et assurer le contrôle démocratique des
travailleurs et de la population sur les investissements
Mettre fin à la gabegie de la spéculation boursière est
une mesure de salut public. Il faut fermer les marchés des titres financiers,
leur substituer la centralisation de l'ensemble des capitaux privés et
de leur gestion au sein d'une institution centrale.
Le choix de prêter telle ou telle somme à telle ou telle entreprise
ne doit plus dépendre du rendement attendu, mais d'un choix social, l'estimation,
par les classes populaires et les salariés, de l'utilité sociale
de l'entreprise, des besoins qu'elle est destinée à satisfaire.
Ce contrôle démocratique des classes populaires et des travailleurs
sur les investissements est la condition nécessaire à une autre
répartition des richesses, en particulier entre la part des salaires,
la part des investissements, et la part de la rémunération des
placements de capitaux. Elle suppose l'expropriation des grands groupes financiers.
- Substituer
une planification démocratique aux lois aveugles de la concurrence et
du marché
Les entreprises qui assurent la production des biens et des services sont prises
entre les contraintes des financiers qui exigent le rendement maximum des capitaux
prêtés et celles de la concurrence. A cette dépendance destructrice,
il faut substituer une production répondant à un plan défini
démocratiquement par les travailleurs et la population, en fonction des
besoins réels et indépendamment de toute notion de rentabilité.
Les collectivités locales (communes, communautés de communes,
départements, régions, état), répondent déjà,
même si c'est de façon peu démocratique, à certains
besoins collectifs de la population par le biais de services publics ou de délégations
de service public à des entreprises privées. Un mode de fonctionnement
sur lequel il serait certainement possible de s'appuyer, d'étendre progressivement
à l'ensemble des entreprises, en imposant que les choix soient réellement
ceux de la population concernée.
Face aux menaces
de la crise, à la guerre de classe que mènent Sarkozy et ses donneurs
d'ordre, la révolte monte dans des couches toujours plus larges des travailleurs
et de la population, l'urgence d'une riposte s'impose. Mais les revendications
les plus légitimes, refuser de payer les frais de la crise, exiger la
satisfaction de les besoins les plus urgents, se heurtent inévitablement
aux fondements mêmes de la société et ne peuvent se concevoir
sans que les travailleurs ne soient obligés de faire, selon la formule
de Trotsky (2), " des incursions de plus en
plus profondes dans les rapports de propriété privée, c'est-à-dire
de prendre le chemin des mesures socialistes ".
Eric
Lemel
(1)
Trotsky, Programme
de Transition, 1938 - retour au texte
(2) Trotsky, La
révolution permanente, 1929