Débatmilitant | ||||||||||
Lettre publiée par des militants de la LCR |
n°207
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13 novembre 2008
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Sommaire | ||||||||||
- La globalisation de la crise du capitalisme et le socialisme pour le XXIème siècle | ||||||||||
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Le succès
de Barak Obama est réjouissant, tant il exprime une sanction cinglante
de la politique de Bush et des conservateurs, autant que la reconnaissance des
décennies de lutte des noirs américains pour leurs droits. C'est
bien pour cela que cette victoire, désaveu des politiques passées
et présentes des classes dirigeantes américaines, recueille une
large sympathie dans le monde entier.
" Historique ", oui, cette élection l'est pour ces
raisons, et aussi parce qu'elle intervient au moment où la politique
des classes capitalistes, en particulier américaine, entraîne le
monde entier dans une crise chronique, globalisée et mondialisée,
sans précédent, qui oblige la bourgeoisie à chercher des
solutions politiciennes nouvelles, même parmi celles qu'elle avait exclues
pendant des décennies. Là est le paradoxe. Désaveu de la
politique des classes dominantes, la victoire d'Obama reflète aussi leur
capacité à intégrer dans leur propre jeu politique un fils
des classes opprimées, esclaves, pour les servir. Wall Street a su faire
de celui qui apparaissait comme le représentant des opprimés du
monde entier son élu.
Là est aussi la contradiction.
Obama, avec plus de 65 millions de voix recueillies (6 millions de plus que
Kerry en 2004), dont 66 % des 18-29 ans, 56 % des femmes, 95 %
des Noirs, 43 % des Blancs, a en effet obtenu un vrai succès, tandis
que l'électorat républicain a reculé de plus de 4 millions
de voix, et que Mc Cain n'obtenait la majorité que dans les petites villes
et secteurs ruraux, et parmi les plus de 60 ans.
Mais cette élection n'aurait pas été possible si Obama
n'avait été adoubé par une large partie des classes dirigeantes,
à travers la machinerie du Parti démocrate et par le biais du
financement et des soutiens à sa campagne : 600 millions d'euros
collectés (52 % de plus qu'en 2004), soutien de George Soros, des
patrons de Google, Times Warner, de Warren Buffet, l'homme le plus riche du
monde qui déclarait cyniquement " Si une lutte des classes
se déroule en Amérique, ma classe en est clairement la gagnante ".
Pour cette classe, le job confié à Obama est clair : entretenir
l'illusion que le rêve américain est toujours bien vivant, à
l'heure où le capitalisme connaît la plus profonde crise de toute
son histoire.
La situation des classes populaires est dramatique. La récession provoque
une dégradation terrible des conditions de vie. Des dizaines de millions
de travailleurs, de retraités, viennent de voir partir en fumée
les économies de toute une vie, placées pour assurer une petite
retraite. Des millions d'entre eux devront travailler dix ou vingt ans de plus.
Plus de dix millions de personnes sont sans aucun travail. Rien qu'au mois d'octobre,
240 000 emplois ont été supprimés. Des millions d'Américains
ont leur maison gagée, hypothéquée, ont été
expulsés dans la crise des subprimes. Plus de quarante millions n'ont
pas de couverture maladie. Pour les travailleurs et les classes populaires,
Obama n'a rien dit de bien précis. Les promesses ont été
réservées au patronat, comme les aides aux entreprises (par exemple
25 milliards, peut-être 50, annoncés pour le secteur automobile).
Et, à peine élu, il a tenu a multiplier les gestes à l'égard
des républicains défaits et en pleins crise.
La contradiction s'exprime aussi sur le plan extérieur : comment
donner l'impression de tourner la page de l'ère Bush, tout en continuant
à défendre la domination de l'impérialisme. Dans la campagne,
Obama a dû se démarquer de la politique guerrière de Bush
en Irak et annoncer qu'il préparerait le retrait des troupes
tout
en maintenant les bases américaines sur place ! Le ralliement en
fin de campagne, du général républicain Colin Powell, dirigeant
des équipes Bush, père et fils, lors des deux guerres du Golfe
de 1991 et 2003, indique là-aussi qu'une partie des hauts sommets de
l'Etat ont fait le choix de la carte Obama pour tenter d'incarner un changement.
Mais l'illusion fera long feu au moment où l'impérialisme américain
doit défendre son hégémonie, jamais aussi malmenée
depuis 1991. Qu'Obama ait tenu à affirmer qu'il poursuivrait la " guerre
contre le terrorisme " notamment en Afghanistan et le renforcement
de la puissance militaire américaine éclaire sur la crédibilité
du changement annoncé...
Obama s'est imposé dans son propre camp, comme face aux républicains,
du fait de la faillite des politiques tant de Clinton que de Bush, de leur rejet
par l'opinion populaire, dans le même temps que la grande bourgeoisie
a su faire le choix de le soutenir. Il a certes été élu
d'abord et avant tout du fait du rejet du populisme réactionnaire de
Bush, son idéologie religieuse du " bien contre le mal ",
de la " guerre sans limites ", comme du libéralisme
sans limite. Mais il a gagné aussi parce qu'il a su s'imposer face à
Hilary Clinton.
Paradoxe et contradiction : confrontées au discrédit de leur
propre establishment politique, les classes dominantes américaines ont
su faire le choix, pour reprendre la main, de faire élire Obama, seul
susceptible de donner crédit, tant sur le plan intérieur que vis-à-vis
des peuples du monde entier, à ce qui n'est plus, pour l'essentiel, qu'une
illusion, le rêve américain. " Si jamais quelqu'un
doute encore que l'Amérique est un endroit où tout est possible,
qui se demande si le rêve de nos pères fondateurs est toujours
vivant, qui doute encore du pouvoir de notre démocratie, la réponse
lui est donnée ce soir " déclarait-il le soir de
son élection.
C'est pour cela qu'il a été choisi par les classes dirigeantes
et que toute sa campagne a été menée sur le thème
du volontarisme, " yes we can ", et du changement,
" the change we need ", ou le plus tempéré
" the change we can believe in " (le changement auquel
nous pouvons croire).
D'une certaine façon, cette phraséologie du changement reflète
une réalité, en phase avec la situation historique tout à
fait nouvelle que nous vivons.
La bourgeoisie cherche des issues à la crise globale de son propre système
où, pour la première fois depuis la chute du mur, elle apparaît
comme l'unique responsable ne pouvant plus en renvoyer la responsabilité
sur l'URSS, bouc émissaire tout désigné. Alors elle doit
trouver de nouvelles ressources pour tenter de donner quelque légitimité
à sa domination sur le monde.
Elle inaugure un nouveau libéralisme d'Etat, où l'argent public
est mobilisé à une échelle jamais atteinte pour sauver
la finance et l'industrie, et c'est bien dans cette perspective que s'inscrivent
Obama et le Parti démocrate qui exigent dès maintenant de nouveaux
plans, dans la continuité du plan de sauvetage de la finance de 700 milliards
qu'ils ont voté avec les républicains. Ni l'un ni l'autre de ces
deux partis, pas plus que leurs commanditaires, ne savent ce que donnera cette
politique de renflouement à fonds perdus, ni jusqu'où conduira
la crise mondiale du capitalisme. Les classes dominantes sont dans l'incertitude,
elles ne peuvent plus diriger avec leur vieux personnel pour affronter la crise
politique qu'engendre la crise économique qui, l'une et l'autre, n'en
sont qu'à leur début.
Pendant sa campagne, Obama a répété d'autant plus calmement
" Obama, no drama " qu'il sait bien que la situation
qui l'attend est d'une instabilité extrême. Dans cette situation
nouvelle, il essaiera de donner le change avec un nouveau discours, voire de
nouvelles mesures, mais au service d'une vieille classe faillie. A peine lancé,
le libéralisme d'Etat suscite déjà l'écurement
et la colère de voir des centaines de milliards offerts aux fauteurs
de crise, quand les besoins sociaux élémentaires restent insatisfaits.
Les contradictions sont au cur du système, maintenant elles atteignent
tous les niveaux, jusqu'aux sommets du pouvoir de la première puissance
mondiale. Elles déséquilibrent les rapports politiques et sociaux,
ouvrent des possibilités parce qu'elles révèlent les faiblesses
des classes dominantes.
Mais pour que la situation nouvelle leur soit favorable, les travailleurs, les
classes populaires, ne pourront compter que sur les nouvelles possibilités
qu'ils sauront créer eux-mêmes de la même façon que
les noirs américains ont conquis leurs droits, par en bas.
A la fin de la campagne, des milliers de travailleurs de Boeing s'étaient
engagés dans une longue lutte pour imposer une augmentation des salaires
et des retraites de 15% sur quatre ans. Ils ont gagné après 57
jours de grève, le 1er novembre, quelques jours avant la victoire d'Obama.
Beaucoup parmi eux ont voté pour lui, mais ils ont aussi pris leurs affaires
en main par la grève.
C'est de là que viendront réellement les nouvelles perspectives,
pour les travailleurs comme pour les peuples, de la capacité à
se mobiliser, s'organiser, pour changer le rapport des forces en intervenant
directement sur le terrain politique pour défendre leurs intérêts
de classe dans une perspective socialiste et révolutionnaire. Yes, we
can.
Franck
Coleman
La
globalisation de la crise du capitalisme
et le socialisme pour le XXIème siècle
La discussion sur
le socialisme pour le XXIème siècle est au cur de la bataille
pour la construction d'un nouveau parti anticapitaliste. La crise globale et
mondiale du capitalisme, crise chronique, impose comme un fait politique majeur
non seulement l'échec des politiques libérales mais les limites
historiques qu'a atteintes aujourd'hui le capitalisme. Au point que les représentants
politiques des classes dominantes sont contraints de prétendre à
" refonder le capitalisme ". Prétentions certes tout
aussi ridicules que de vouloir le moraliser mais qui, en retour, mettent au
centre du débat public la question de savoir si le capitalisme peut représenter
l'avenir de l'humanité. Les classes dominantes viennent de subir une
première défaite, le capitalisme n'est plus l'horizon indépassable.
Une bataille s'engage non pour refonder le capitalisme mais bien pour refonder
l'actualité du socialisme ou du communisme et de l'indispensable transformation
révolutionnaire pour y parvenir.
Les idéologues des classes dominantes ont mené leur offensive
au nom de deux contrevérités : le capitalisme comme horizon
indépassable, la " fin de l'histoire ", et aussi
la fin de la classe ouvrière. Ces deux contrevérités sont
démenties par l'évolution même de la société.
La nouvelle phase de développement, financière et spéculative,
du capitalisme débouche sur une crise historique. Dans le même
temps, la classe des producteurs, la classe ouvrière a conquis une place
de plus en plus grande dans l'économie mondiale, expression et aboutissement
d'un ensemble de progrès qui donnent une base matérielle, et aussi
culturelle, nouvelle au projet de transformation révolutionnaire de la
société. La confrontation de ces deux faits dominants de l'évolution
sociale conclut à la possibilité et à la nécessité
du socialisme. Voilà bien le fond de la discussion.
Il ne suffit pas de l'affirmer, il s'agit de le démontrer, de façon
pratique et concrète, à partir de l'expérience de la vie
quotidienne, en répondant aux questions que chacun se pose. Qu'est-ce
qui aujourd'hui refonde ce projet, lui donne sa légitimité ?
Pourquoi, alors que les luttes d'émancipation ont échoué
jusqu'à nos jours à transformer le monde pour en finir avec l'oppression,
serait-il possible aujourd'hui d'affirmer la réalisation du socialisme
comme perspective actuelle pour notre époque ? Pourquoi le mouvement
socialiste et communiste a-t-il échoué ? Pourquoi les régimes
qui se sont revendiqués de lui ont-ils été des régimes
totalitaires ? Quelles transformations sociales, politiques fondent l'actualité
de la perspective socialiste, peuvent accréditer l'idée que cette
perspective n'est pas une utopie ? Et cette discussion ne conduit-elle
pas à revoir nos propres conceptions façonnées par le passé ?
Notre projet a été mis à mal par l'histoire, les défaites
et les échecs et surtout les impostures, les trahisons, les caricatures,
il nous faut repenser sa continuité, sa modernité.
Le
passé ne condamne pas l'avenir
Si le socialisme du XXIème siècle s'inscrit pleinement dans la
continuité des luttes d'émancipation du mouvement ouvrier, il
sera aussi nécessairement en rupture avec ce passé parce que le
monde a changé, parce que les conditions objectives de la réalisation
du socialisme ont considérablement mûri. Il ne s'agit pas de reconstruire
la gauche, le PS ou le PC, même à leurs origines mais bien de construire
un mouvement qui donnera aux idées du socialisme, du communisme, toute
leur dimension émancipatrice de démocratie et de liberté,
dont les luttes antérieures étaient une anticipation, à
un niveau bien supérieur.
Ou le socialisme prendra un contenu infiniment plus riche correspondant à
la société moderne ou il sera remisé au musée de
l'histoire. Ce qui veut dire que poser la question du socialisme pour le XXIème
siècle, c'est penser les conditions de sa réalisation tant objectives,
niveau du développement social, que subjectives, l'émergence d'une
conscience au sein des classes opprimées, du monde du travail, de la
nécessité et de la possibilité de cette réalisation.
Cela renvoie à une réévaluation critique des luttes passées,
des contraintes objectives auxquelles elles se sont heurtées, sur lesquelles
elles se sont brisées pour, dans une même critique, adapter nos
idées aux conditions modernes de la lutte en les émancipant radicalement
des partis de la gauche faillis.
Nous ne pouvons donc éviter de faire un détour par le passé
parce que ce passé a façonné le monde moderne comme le
mouvement ouvrier, son niveau d'organisation et ses conceptions, les nôtres
aussi qu'il est indispensable de soumettre à la critique.
Le socialisme ou le dépassement révolutionnaire
des contra-dictions du capitalisme
Cette discussion renvoie au contenu du socialisme. Il se définit non
comme une utopie ou un modèle mais bien comme une perspective incluse
dans le développement des sociétés humaines, des sciences,
des techniques et des rapports sociaux qui s'organisent autour de la production
et de l'échange, la répartition des richesses. Le socialisme peut
se définir comme le dépassement révolutionnaire de la contradiction
entre socialisation des moyens de production et l'appropriation privée
capitaliste grâce à la conquête du pouvoir, de la démocratie
par les travailleurs eux-mêmes pour en finir avec la domination de la
classe capitaliste par la socialisation, l'appropriation collective des moyens
de production et d'échange.
Si cette perspective apparaît dès le développement de la
société bourgeoise au XIXème siècle et les débuts
du mouvement ouvrier, ce qui fonde le marxisme, la maturité des conditions
tant objectives que subjectives de sa réalisation ne sont pas données
toutes faites, elles se construisent par le travail humain à travers
les luttes de classes et obéissent à un long processus, " la
révolution en permanence ", dont les matérialistes
ne sont nullement en mesure de prédire ni les rythmes ni les étapes.
Le volontarisme de l'action, de la lutte anticipe sur les possibilités
objectives de l'émancipation humaine et impose, à chaque nouvelle
étape, un travail critique sur les conceptions, les illusions qui animaient
cette volonté d'action pour donner aux idées un contenu correspondant
aux évolutions du monde.
Evolution
du mouvement ouvrier et de ses conceptions
Le mouvement socialiste s'est trouvé confronté à une telle
situation à la fin du XIXème siécle, alors que le capitalisme
connaissait un moment charnière de son développement, la mondialisation
impérialiste, passant du capitalisme de libre concurrence au capitalisme
des monopoles et des trusts en lutte pour le partage du monde. Engels, en 1895,
jetant un regard critique sur la première phase de l'histoire du mouvement
communiste qui va de 1848 à la Commune de Paris, écrit :
" L'état du développement économique était
alors bien loin d'être mûr pour la suppression de la production
capitaliste " et il ajoute : " Mais l'histoire
nous a donné tort à nous aussi, elle a révélé
que notre point de vue d'alors était une illusion. Elle est encore allée
plus loin : elle n'a pas seulement dissipé notre erreur d'alors,
elle a également bouleversé totalement les conditions dans lesquelles
le prolétariat doit combattre ". Et de développer
les nouvelles tâches de la social-démocratie. La lutte des barricades,
l'action d'une minorité dont Blanqui fut l'héroïque symbole,
sont dépassées. Il s'agit d'utiliser les conquêtes démocratiques,
dont le suffrage universel, pour gagner les masses à leur propre avenir
afin quelles en deviennent les actrices. La révolution moderne dont la
prolétariat est l'acteur ne sera pas comme les révolutions passées
une révolution d'une minorité mais bien celle de la majorité
de la population, et suppose un haut niveau d'éducation et de conscience
La nouvelle période qui s'ouvrait vit un développement considérable
du mouvement ouvrier qui débouchera sur la gigantesque confrontation
du XXème siècle, époque de guerres et de révolutions
qui bouleversèrent le monde.
Nous vivons un nouveau moment charnière dans le développement
capitaliste, celui de la mondialisation libérale et impérialiste,
et nous avons besoin de ce même regard critique sur le passé, nos
propres conceptions, dans le même temps que nous devons saisir les profonds
changements des conditions mêmes des luttes d'émancipation pour
paraphraser Engels.
La longue marche vers le socialisme
Quant au fond, l'échec des mouvements d'émancipation renvoie à
l'immaturité des conditions objectives, terrain sur lequel se construit
la conscience des opprimés. La révolution n'a réussi à
triompher que dans un pays où les tâches du socialisme se présentaient
alors que les transformations bourgeoises n'y étaient qu'à peine
entamées. C'est cette contradiction qui a produit la bureaucratie contre-révolutionnaire,
l'étranglement de la révolution sans que la vague révolutionnaire
qui secoua alors l'Europe ait la force ne serait-ce que d'arrêter le cours
de la réaction. Le prolétariat des pays avancés, impérialistes
restait, de fait, prisonnier de la politique des classes dominantes impérialistes
qui accumulaient d'immenses richesses par le pillage des colonies dont elles
redistribuaient une part pour acheter la paix sociale. La vague révolutionnaire
qui a suivi la deuxième guerre mondiale et devait mettre fin à
ce pillage colonial, les luttes d'émancipation nationale, ne furent pas
dirigées par la classe ouvrière trop faible encore dans ces pays
et ne purent déboucher sur une contestation de la domination des classes
capitalistes dont ne voulait d'ailleurs pas la bureaucratie moscovite. Certes,
souvent elles se revendiquèrent du drapeau du communisme, mais c'était
celui de la bureaucratie pas celui de la lutte internationaliste des travailleurs.
De fait, la volonté des peuples, leur révolte, leur travail pour
sortir de l'oppression coloniale, construire des nations indépendantes
laissait au capitalisme un vaste champ de développement qui s'est opéré
à travers la mondialisation libérale et impérialiste. La
réintégration de l'ex-URSS dans le marché capitaliste mondial
dans le même temps que les vieux pays opprimés y conquerraient
une nouvelle place ont ouvert une nouvelle phase de développement capitaliste,
mais sur des bases nouvelles, des rapports de force bouleversés, des
progrès scientifiques et techniques considérables, une conscience,
une culture infiniment plus élevées, plus modernes.
L'on ne saurait limiter le bilan de ces tentatives révolutionnaires à
un simple échec. Elles sont l'expression des forces qui ont travaillé
en profondeur la société et elles ont puissamment contribué
à transformer le monde même si elle n'ont pu en finir avec les
classes dominantes capitalistes qui aujourd'hui en tirent les bénéfices
au mépris le plus total de l'avenir de l'humanité et de la planète.
Prolonger
la courbe du mouvement d'émancipation
Penser le socialisme du XXIème sicle, c'est prolonger la courbe de la
lutte des travailleurs et des peuples pour leur émancipation parallèlement
et en compétition avec la courbe du développement capitaliste
pour en dégager une résultante, la voie de développement
de l'humanité à laquelle nous entendons participer, travailler.
La mondialisation bouleverse les conditions d'existence et de lutte des travailleurs
et des opprimés sur l'ensemble de la planète en mondialisant le
rapport d'exploitation capitaliste, en mettant les travailleurs en concurrence
à l'échelle internationale par la prolétarisation de millions
de paysans pauvres ou sans-terre. Elle porte à un paroxysme la contradiction
entre socialisation, globalisation de la production et appropriation privée
capitaliste, sous la forme de l'appropriation financière de plus en plus
détachée de la production elle-même, de plus en plus parasitaire
et, en pillant les ressources naturelles, crée une crise écologique
véritable menace pour la planète elle-même.
La mondialisation débouche sur une crise globalisée des classes
dominantes, de leur système de domination, de leur pouvoir dans le même
temps qu'elle crée les conditions pour résoudre cette crise, la
dépasser.
Cette exacerbation se manifeste concrètement dans le développement
d'une nouvelle classe ouvrière mondiale appelée à jouer
un rôle social et politique de plus en plus grand. L'internationalisme
n'est pas une proclamation mais bien une politique exprimant les intérêts
de la classe ouvrière qui ne peut se penser comme une lutte nationale.
Elle prend racine dans ce nouveau développement de la classe des exploités
ainsi que dans l'interdépendance croissante de la production organisée
à l'échelle mondiale et le développement des échanges
et du commerce.
La mise en concurrence des salariés sur le marché mondial concourt
à saper les bases du réformisme en remettant en cause les surprofits
que les grandes puissances impérialistes tiraient de l'exploitation des
peuples coloniaux et redistribuaient pour une part à une fraction de
leur propre classe ouvrière.
La mondialisation tend à saper les bases de domination de la propriété
privée capitaliste en sapant les bases de la démocratie parlementaire
et en fragilisant les Etats nationaux et crée ainsi les conditions objectives
d'une transformation internationale de la société, conditions
qui n'existaient pas jusqu'alors, du moins à ce niveau.
L'exacerbation des rapports d'exploitation fait de toute question sociale une
question politique qui pose la question du pouvoir, de la démocratie,
alors que la dictature de la finance étouffe toute possibilité
démocratique à l'opposé de ce que prétendent les
apologistes du système. Elle fait de la perspective socialiste la question
clé au centre des débats sur l'avenir de la société,
de l'humanité comme de la planète elle-même.
Les immenses progrès accomplis sur le plan en particulier des moyens
de communication, d'information, de débats non seulement créent
les conditions matérielles et culturelles d'un développement de
la démocratie sans précédent mais ils en nourrissent le
besoin, l'exigence.
La
pensée révolutionnaire ne peut être que critique
Prendre en compte ces bouleversements et ces transformations nous oblige à
poser un regard critique sur nos propres conceptions qui ont été
façonnées par l'histoire du XXème siècle, sur nos
erreurs aussi. Les idées deviennent une force capable de bouleverser
le monde quand les masses s'en emparent, si ces idées, autrement dit,
sont la juste expression des rapports sociaux, de leur évolution comme
des besoins des masses exploitées et opprimées. Elaborer ces idées,
celles du socialisme pour le XXIème siècle, suppose une pleine
liberté de penser dégagée de tous préjugés,
en particulier libre vis-à-vis du passé, tournée vers la
jeunesse. C'est en cela d'ailleurs que le travail de fondation d'un nouveau
parti ne saurait se confondre avec la volonté de relooker la Ligue ou
de perpétuer tel ou tel petit groupes. Il s'agit bien de fonder un nouveau
parti porteur d'une projet pour le XXIème siècle. Sans rien renier
de nos combats passés, bien au contraire, nous devons les intégrer
dans une réalité et des possibilités nouvelles.
La longue période d'isolement du mouvement révolutionnaire, sa
marginalisation ont développé durant la période qui a suivi
Mai 68 des défauts, conséquence du manque de liens avec le monde
du travail. Dans l'impossibilité d'agir pratiquement sur le cours des
choses, les révolutionnaires, ceux que l'on appelait les gauchistes,
étaient trop souvent contraints de se limiter à une attitude propagandiste
voire de donneurs de conseil. Dénonçant les reniements et les
trahisons pour dire ce qu'il aurait fallu ou ce qu'il faudrait faire, les gauchistes
passaient pour des donneurs de leçons, des moralistes voire des dogmatiques
qui auraient voulu imposer au monde leur modèle de société
ou un schéma révolutionnaire tout fait. La grande transformation
qui s'est engagée est que nous avons su plonger nos critiques dans la
réalité même du capitalisme, de ce que vivent les travailleurs,
la population, de leurs espoirs et de leurs luttes. C'est ce qu'ont su faire
Arlette Laguiller et Lutte ouvrière et qui a fait leur succès
en 1995, ce qu'a su faire ensuite Olivier Besancenot et la LCR et qui explique
notre succès, la sympathie que nous suscitons. Il nous faut approfondir
cette évolution.
A défaut d'intervenir pratiquement dans la lutte de classe, les gauchistes
allaient chercher la force de leur combat minoritaire dans la mythification
du passé révolutionnaire invoquant un dogme révolutionnaire
léniniste face au stalinisme. Des idées et raisonnements datant
des années trente étaient, trop souvent, repris sans esprit critique,
transformées en schéma dogmatique : le capitalisme n'est
plus capable de développer les forces productives, il conduit à
une catastrophe, un enchaînement dominé par le mythe de la crise
de 29 et à la conviction de l'imminence de la révolution trop
souvent pensée et imaginée hors de la maturité réelle
des rapports de force et des consciences. " La crise actuelle de
la civilisation humaine est la crise de la direction prolétarienne "
écrivait Trotsky dans le Programme de transition à la veille
de la seconde guerre mondiale. Cette idée juste et féconde fondait
le travail de construction de la IVème internationale et accusait la
responsabilité du stalinisme. Elle n'exprimait cependant déjà
qu'une part de la réalité, ce dont Trotsky avait bien conscience.
Elle devint après la guerre et le triomphe du stalinisme allié
à l'impérialisme une formule, de fait, dépassée.
Elle n'avait d'autre contenu pratique que d'armer le volontarisme militant des
petits groupes que nous étions. A défaut de pouvoir prendre un
contenu pratique dans l'activité de masse, d'y trouver sa force, elle
s'armait d'une idéalisation dogmatique du passé, du léninisme,
du parti bolchevique, du trotskisme lui-même pour accoucher de bien des
caricatures durant la période d'après 68.
Face au pacifisme de la bureaucratie défendant son statu quo avec l'impérialisme,
se développait l'apologie de la lutte armée. La révolution
bien plus qu'un processus démocratique d'émancipation des opprimés
par eux-mêmes devenait essentiellement la lutte armée, la guérilla
se substituant à l'action collective et consciente de la classe ouvrière.
Les cerveaux étaient dominée par l'illusion qu'une minorité
agissante pour pouvait mettre le feu dans la plaine
Le socialisme se résumait à l'Etatisation des moyens de production,
celle-ci devenant le critère dominant indépendamment de qui dirigeait
et contrôlait la marche de l'économie, au nom de quels intérêts.
Le tout s'accompagnait d'une caricature de bolchevisme faisant du parti une
phalange unie par le centralisme démocratique, direction des masses mais
qui ne se pensait pas comme l'expression organisée du niveau de conscience
des masses elles-mêmes.
Cependant quelles qu'aient été les erreurs du mouvement gauchiste
d'après 68, il avait raison ! Nous tentions de faire l'histoire
dans des rapports de force que celle-ci nous imposait et il était bien
difficile d'élever notre propre pensée au dessus de la réalité
de notre propre activité, de celle de la classe ouvrière elle-même,
des réels rapports de force.
Aujourd'hui, fidèles à nous-mêmes et à notre combat
à sa continuité, il nous faut dépasser ces limites pour
prendre la mesure des bouleversements qui ont eu lieu et ont " également
bouleversé totalement les conditions dans lesquelles le prolétariat
doit combattre " pour reprendre la phrase d'Engels en 1895.
Penser
au quotidien la lutte de classe pour le socialisme
Ce bouleversement des conditions des luttes d'émancipation impose à
tous ceux qui entendent faire vivre le socialisme au quotidien non de l'inventer
ou de le réinventer mais d'intégrer ces transformations dans leurs
propres raisonnements, d'adapter leur conception aux conditions nouvelles de
la lutte.
Il nous faut reconstruire notre propre compréhension du socialisme comme
un processus démocratique et révolutionnaire d'émancipation
des opprimés par eux-mêmes à partir de leurs conditions
réelle d'existence, mettre la liberté au cur de notre projet.
Loin de mettre de l'eau dans notre vin, il s'agit bien au contraire d'être
plus radical, plus démocratique, plus révolutionnaire, c'est-à-dire
au coeur du monde du travail et de ses luttes là où se forge une
nouvelle conscience socialiste moderne.
Cette nouvelle conscience intègre les leçons des faillites, trahisons
et reniements des vieux partis issus de l'histoire du mouvement ouvrier :
a. les luttes d'émancipation sont, par leur nature même, internationales,
et la conscience de ce fait, c'est l'internationalisme en opposition à
toute politique nationaliste.
b. l'émancipation des travailleurs sera l'uvre des travailleurs
eux-mêmes, la démocratie est l'instrument et la conquête
indispensable des mobilisations, instrument et objectif. Ce n'est pas une démocratie
limitée au cadre institutionnel bourgeois alors que l'argent détient
le contrôle de toute la vie sociale. C'est une démocratie pour
et par les travailleurs, une démocratie par en bas, révolutionnaire
en rupture avec le pouvoir économique et politique des classes capitalistes.
Le socialisme, c'est d'abord l'intervention consciente des exploités
pour changer eux-mêmes leur condition de vie.
c. La démocratie, le pouvoir, est l'instrument des exploités eux-mêmes
pour l'expropriation des expropriateurs, l'appropriation collective des moyens
de production et d'échange, la planification démocratique vers
la fin du salariat, de l'exploitation et de la société de classe,
la fin de l'Etat pour que l'administration des hommes cèdent la place
à l'administration des choses en harmonie avec la nature donc avec l'humanité
elle-même.
Cette perspective n'est pas une utopie mais bien le rêve concret de nos
luttes quotidiennes, la philosophie qui nous anime. Construire un parti instrument
de sa réalisation, c'est mettre le socialisme au quotidien, intégrer
l'ensemble de notre activité dans cette perspective. Quel que soit le
terrain de notre intervention, l'entreprise, le syndicat, le quartier, l'association,
les élections voir les institutions partout nous voulons uvrer
à la construction d'une conscience moderne, collective, démocratique,
révolutionnaire, socialiste.
Yvan
Lemaitre