Débatmilitant
Lettre publiée par des militants de la LCR
n°214
19 février 2009



Le congrès du NPA, " l'apocalypse "
ou la démocratie révolutionnaire à l'œuvre ?

 

L'apocalypse selon Besancenot " titrait un éditorialiste des Echos le 12 février à propos du congrès fondateur du NPA. Et d'éclairer les lecteurs du journal patronal sur quelques éléments de notre apocalyptique programme : " annulation pure et simple de la dette publique (banqueroute), nationalisation des banques pour constituer un service public unique du crédit géré par les salariés et les usagers réunis en conseils (en russe, 'soviets'), contrôle généralisé des prix. Augmentation du SMIC à 1500 euros net, hausse générale des salaires de 300 euros net, allocation aux jeunes de 700 euros par mois, embauche d'un million de fonctionnaires, réduction de la durée du travail à 30 heures, interdiction (ou taxation lourde) des licenciements, généralisation obligatoire des CDI, suppression de toutes les exonérations de charges patronales, rétablissement à 37,5 ans de la durée de cotisation de retraite, alourdissement à 50 % de l'impôt sur les sociétés… On se limite au plus important ".
Voilà l'apocalypse pour ceux qui ont loué pendant des décennies la mondialisation libérale et impérialiste, applaudi sans vergogne à tous les reculs imposés par le patronat à la classe ouvrière, se félicitant année après année des bénéfices des multinationales et de l'explosion délirante de la bulle financière, comptabilisant guerres, chômage et misère dans les colonnes pertes ou profits.
Ils n'ont que mépris pour les travailleurs et la population, comme l'a montré encore une fois hier Sarkozy qui, dans son discours à la télévision, a été jusqu'à refuser de parler de la grève générale dans les territoires d'outre-mer, a prétendu avoir une " politique de justice sociale " quand il ne fait que distribuer quelques miettes, a condamné comme une " politique de facilité " qui conduirait à la " banqueroute ", " l'embauche de fonctionnaires, le rétablissement de l'autorisation administrative de licenciement, l'augmentation massive du SMIC. "
Ils s'exaspèrent devant les conséquences de leur choix, quand la colère explose, craignant plus que tout " la contagion " de la grève générale de Guadeloupe à toutes les Antilles, à la Réunion, à la métropole. Alors ils exhortent l'Etat et Sarkozy à " rétablir l'ordre, mais aussi l'économie " (Les Echos, 17 février), encourageant de fait la répression qui a commencé, avec depuis lundi des dizaines de manifestants interpellés, un renforcement massif des forces de police, et la mort d'un militant syndical et du LKP dans des conditions non élucidées, conséquence évidente de la montée répressive engagée par l'Etat. Ces porte-paroles patronaux espèrent la fin du conflit et une défaite des salariés guadeloupéens. Ils voient bien comment l'ampleur et la détermination de la grève d'un côté bousculent gouvernement, patronat et élus de gauche, de l'autre trouvent la sympathie et l'adhésion d'une fraction très large du monde du travail.
Les chantres de la mondialisation libérale et impérialiste sont bizarrement surpris par les luttes, celle de Guadeloupe, celle de la journée d'action du 29 janvier, et les convergences qui se construisent. Aujourd'hui que la mondialisation entre dans une crise globalisée d'une ampleur jamais connue, ils s'étonnent et se scandalisent que des femmes, des jeunes des hommes se rassemblent se rassemblent pour dire : " nous vous reconnaissons aucune légitimité à diriger la société ". Et ils avouent leur stupéfaction hostile devant le NPA qui ose reprendre à son compte les exigences dont ces luttes sont porteuses. L'éditorialiste, aveuglé par son hostilité, prophétise un " tétanos économique… les disputes des soviets… le marché noir… la glaciation … l'apocalypse universelle ", sans même d'ironie ! Comme si la catastrophe, ce n'était pas eux qui l'avaient préparée…

Le défi que nous avons relevé
Derrière la stupidité du propos, Les Echos enregistrent un fait politique que, quant au fond, ils se refusent à comprendre. La fondation du NPA est bien l'expression d'une situation politique nouvelle, où l'entrée en faillite du capitalisme discrédite de plus en plus ceux qui prétendent l'aménager, donne une nouvelle vigueur aux luttes et aux idées du socialisme, et où l'affrontement entre les classes prend une nouvelle dimension, plus aiguë, plus directe. Le NPA naît des contradictions mêmes du capitalisme, des aspirations du monde du travail, de son refus de payer la crise à la place des financiers et des patrons. Il naît des résistances en cours, de la révolte de la jeunesse grecque à la grève générale aux Antilles, de l'opposition aux guerres impérialistes à la lutte contre les licenciements et pour les services publics. Il est le produit d'une évolution qui, depuis 1995, a construit un lien entre remontée des mobilisations, rupture avec la gauche institutionnelle, et progrès de l'extrême gauche.
Notre défi, c'est de faire de ces luttes et résistances mêmes les bases de notre parti, notre programme politique, parce que c'est d'elles que viendront les possibilités pour le monde du travail de transformer lui-même la société, de conquérir la démocratie, de donner vie à la perspective au socialisme.
Certains y voient du " super syndicalisme ", d'autres prétendent que nous ne serions qu'une force " protestataire ", comme Challenge titrant " Besancenot, l'homme sans solution ". Sans solution pour sauver leur système, oui. Mais pas sans solution pour faire le lien entre la protestation, la contestation, les luttes sociales, et l'affirmation d'un projet politique. Notre programme est d'œuvrer à la convergence des luttes des travailleurs et de la jeunesse pour leurs droits, sociaux, démocratiques et écologiques, parce que seule cette démarche transitoire et permanente, des luttes aujourd'hui vers le pouvoir des travailleurs demain, peut permettre une conquête de la démocratie par les opprimés eux-mêmes.
Cette politique, en rupture avec les institutions, inquiète tous ceux qui vivent du jeu institutionnel, et qui le savent nécessaire à la bonne marche de l'économie capitaliste, à la sauvegarde de la société d'exploitation. Sarkozy expliquait, juste avant notre congrès, le danger d'" ouvrir un boulevard aux adversaires du capitalisme qui amèneront à nouveau le totalitarisme ". Pour Bertrand, " c'est une idéologie ringarde "… mais il craint de voir Olivier Besancenot en " chef d'orchestre de l'opposition à Nicolas Sarkozy ". Côté PS, Valls s'inquiète de devoir " courir après l'extrême gauche ". Peillon a trouvé que " c'est une machine à faire perdre la gauche "… Quant à Moscovici, il s'indigne que le NPA veuille " plumer la volaille socialiste ". Etonnant… et révélateur de leur gêne. Ils sentent bien que la routine de l'alternance institutionnelle est proche de l'épuisement, et qu'elle sera bientôt incapable d'absorber les crises sociales et politiques.
La sympathie rencontrée dans les classes populaires par la fondation du NPA, que certains voudraient expliquer simplement par la bonne image d'Olivier Besancenot, s'ancre profondément autour de cette question de la rupture. L'article de Challenge cite d'ailleurs un sondage (Edelman Trust Barometer) publié au moment du Forum de Davos, fin janvier, " montrant que l'Hexagone est le pays d'Europe qui montre la plus grande défiance à l'égard du système capitaliste. Il y règne le sentiment que tout progrès social exige une rupture violente ".

La logique politique des rapports de classe
Cette rupture, c'est l'aboutissement logique de la lutte des classes. En s'en revendiquant clairement, le NPA a réussi une première étape en convainquant des milliers de nouveaux militants de participer à la construction d'un tel parti, pour les luttes, non électoraliste. Bien sûr, il participera aux élections, mais comme dans son activité quotidienne, ce sera pour contester la politique des partis au service des classes dominantes avec ses mesures d'urgences, pour affirmer son programme, et contribuer aux convergences des mobilisations.
Le congrès a très clairement réaffirmé ce que les militants avaient largement adopté dans les assemblées préparatoires : l'indépendance totale vis-à-vis du PS et des institutions, en tirant les bilans de la faillite des politiques menées par le PS, le PC et les Verts dans leurs différentes pratiques du pouvoir, au niveau gouvernemental ou des collectivités locales.
Ainsi, la résolution sur les élections européennes, adoptée par une très large majorité, affirme la recherche d'une unité des anticapitalistes, " nous la souhaitons féconde et utile à une montée des luttes tant sociales, écologiques que politiques "(1), en assumant par avance le chantage au sectarisme qui n'a pas manqué de venir du côte du PCF ou de Mélenchon, incapables de rompre définitivement avec le PS, M.G. Buffet ne manquant jamais une occasion de rappeler la nécessaire unité " de toute la gauche ".
Assumer cette logique de la rupture pour définir une politique pour le monde du travail, c'est cela aussi qui a donné au congrès sa cohérence. Par delà les débats et leur diversité, s'est confirmée la volonté collective de définir une politique de classe et un fonctionnement démocratique qui permettra à chaque comité de mener " librement ses activités dans le cadre des orientations nationales et locales (…) disposant d'une autonomie d'adaptation de ces orientations aux réalités locales " (Statuts).
Certes, bien des questions restent ouvertes, notamment celle des voies et des moyens de la transformation révolutionnaire. Certains ont défendu " un réformisme révolutionnaire ", ou une démarche de révolution liée aux élections, ces amendements ont été rejetés. Le congrès a plutôt affirmé l'idée qu'il y avait un lien direct entre les luttes sociales, la conquête de la démocratie, et la question du pouvoir, sans pour autant pouvoir en tracer des pistes plus précises.
Ces débats commencent et cela s'est retrouvé dans le vote sur le nom du parti. NPA l'a emporté largement, mais sans doute par défaut, montrant que pour beaucoup ces discussions n'ont pas été suffisantes. Le fait que les différents noms avec " révolutionnaire " ou " révolution " ont obtenu beaucoup de voix dans les assemblées électives, plus même que NPA, en témoigne. Le congrès s'est d'ailleurs prononcé de façon assez serrée entre Nouveau Parti Anticapitalise et Parti Anticapitaliste Révolutionnaire (316 pour NPA, 270 pour PAR et 13 abstentions).
Au final, il y a une certaine fierté d'avoir su faire des pas en avant, sans prétendre résoudre tous les problèmes artificiellement ou par en haut, une fierté démocratique assumant pleinement la construction par en bas et ses difficultés, avec une certaine conscience de ses propres limites, mesurant les étapes qui sont devant nous pour relever les défis que nous nous sommes fixés.

A travers l'expérience collective, construire une conscience marxiste, révolutionnaire
L'expérience que nous menons est inédite aujourd'hui, par le rassemblement de milliers de camarades d'origines différentes, beaucoup n'ayant jamais milité auparavant, d'autres venant de divers courants trotskystes, du syndicalisme, du PC, de l'altermondialisme, et bien d'autres encore. C'est bien pour cela que dans les Principes fondateurs, nous déclarons que " Nous voulons que le NPA fasse vivre le meilleur de l'héritage de celles et ceux qui ont affronté le système depuis deux siècles, celui de la lutte des classes, des traditions socialistes, communistes, libertaires, révolutionnaires. "
A partir de là, le défi est bien d'élaborer une conscience collective, pas un œcuménisme ou un dogme, mais définir une philosophie militante répondant aux multiples aspirations et traditions traversant le NPA, en confrontant débat, action et idées.
Pour nous, qui animons Débat militant, la seule méthode qui permette la synthèse du " meilleur de cet héritage " est la méthode d'un marxisme vivant, en prise avec la lutte des classes. C'est cette philosophie, la critique matérialiste, scientifique, qui attaque le plus clairement le capitalisme à la racine : au cœur de l'économie, en visant la propriété privée des moyens de production, sa contradiction fondamentale, l'appropriation privée des richesses produites socialement par le vol de la plus-value, et la fonction de l'Etat pour défendre ce système.
C'est cette philosophie aussi, celle de " l'émancipation des travailleurs par eux-mêmes ", qui trace jusqu'au bout la logique de la lutte des classes, en faisant le lien entre les luttes et résistances quotidiennes du monde du travail et la conquête de la démocratie pour un pouvoir des travailleurs.
La gauche a depuis longtemps renoncé à la critique révolutionnaire de la propriété privée capitaliste et de l'Etat, qualifiée de trop simpliste. Elle ne faisait qu'accorder sa théorie à sa pratique de gestion du système. A l'inverse, nous avons besoin de renouer le fil avec ces idées, celles d'un marxisme dégagé des dogmes du stalinisme et de la social-démocratie. La lutte pour changer le monde exige une compréhension cohérente de l'évolution et de l'histoire, une compréhension qui s'élabore à la lumière des progrès de la science loin de tout conservatisme, préjugé, c'est-à-dire en adoptant le point de vue de ceux qui n'ont rien à perdre et tout à gagner, à travers leurs combats.
Débat militant aura à cœur de contribuer au travail collectif pour définir une compréhension commune, renforcer notre programme, l'argumenter, l'appuyer sur des éléments solides qui libèrent d'une simple critique morale du capitalisme, pour que nos interventions dans toute leur diversité aident à renforcer la confiance du monde du travail dans ses propres perspectives.
Il n'y a pas d'autre voie pour nous donner les moyens d'être à la hauteur du défi que nous avons relevé, pour renforcer la cohérence et l'unité du processus de construction du NPA, afin d'en faire le parti de la transformation révolutionnaire de la société.

Frank Coleman

1- L'ensemble des textes et les résultats des votes du congrès sont disponibles sur le site : http://www.npa2009.org, rubrique NPA ?.