Contribution au débat sur un projet de nouveau manifeste anticapitaliste et révolutionnaire |
Article paru dans le n° 104 de Débatmilitant |
Déterminisme
économique,
lutte sociale et politique
Depuis le début des années 1990, nous sommes entrés dans
une nouvelle période qui crée les conditions d'une renaissance
du mouvement ouvrier, posant comme une question centrale et concrète
l'émergence d'un nouveau parti pour le monde du travail. C'est là
que la discussion autour du Manifeste prend toute son importance car elle doit
permettre de définir une compréhension commune de la période,
des possibilités nouvelles qu'elle ouvre et, en conséquence, définir
nos tâches militantes pour uvrer à la construction de ce
nouveau parti.
Dans ce cadre de raisonnement, il nous faut définir l'articulation entre
les déterminismes économiques qui ont conduit à cette nouvelle
période et les luttes sociales et politiques dans lesquelles nous intervenons,
et à travers lesquelles un tel parti pourra voir le jour.
Bien sûr, il n'y a pas de déterminisme économique mécanique
qui ferait qu'un nouveau parti naîtrait directement des transformations
économiques. Ce déterminisme-là est une caricature du marxisme.
Mais un nouveau parti ne naîtra pas non plus du seul volontarisme militant
pour faire face à l'offensive de la bourgeoisie. Il ne suffit pas de
vouloir pour pouvoir, illusion qui, sur le fond, revient à être
dupe de soi
et le jouet des circonstances.
En tant que militants révolutionnaires, il s'agit de participer consciemment
à la lutte des classes qui se déroule indépendamment de
notre volonté, mais dans laquelle notre tâche est d'aider, par
une compréhension claire du capitalisme, de ses lois, de son histoire,
de la politique des classes dominantes, à la formulation d'une politique
indépendante pour le mouvement ouvrier.
L'enjeu du Manifeste n'est pas de nous délimiter des autres courants
par des formules identitaires. Son but est de formuler les perspectives générales
pour l'ensemble du monde du travail en dépassant l'éclatement
actuel du mouvement social et de ses organisations, autour de la perspective
d'une transformation révolutionnaire de la société pour
en finir avec la propriété capitaliste. En reprenant la formule
de Marx, il s'agit de comprendre le monde pour le transformer.
Définir
une compréhension matérialiste et militante de l'histoire
Nous ne pouvons nous contenter d'une condamnation morale du capitalisme, ni
de proclamer un idéal de société. L'indignation, la révolte
ne suffisent pas à l'action. Il nous faut penser le monde pour pouvoir
le transformer, nous inscrire pleinement dans le mouvement réel pour
comprendre la réalité du combat social dont nous sommes partie
prenante pour qu'il puisse aller jusqu'au bout de ses possibilités, le
renversement de la bourgeoisie et de son Etat.
C'est pour cela que l'un des enjeux de la période est de redonner aux
idées du socialisme et du communisme leur contenu réel, subversif.
Actualiser le marxisme pour aller jusqu'au bout de la rupture avec toutes les
caricatures, qu'elles soient social-démocrates ou staliniennes, qui l'ont
vidé de son contenu révolutionnaire. " Le socialisme
réel " qui a disparu avec la fin de l'URSS et des pays
de l'Est, avait fait du marxisme un dogme servant à justifier ce qui
n'était que des régimes de dictature anti-ouvrière. Il
faut aujourd'hui renouer le fil, se réapproprier le marxisme révolutionnaire
en tant que conception matérialiste et militante indispensable pour comprendre
et agir dans les luttes sociales.
Le marxisme est une conception matérialiste au sens où, fondamentalement,
c'est l'évolution des capacités productives c'est-à-dire
des sciences et des techniques qui conditionne l'évolution de la société
humaine. La base de la société humaine est la façon dont
les hommes s'organisent pour produire et répartir les richesses leur
permettant de subvenir à leur besoin. Cette évolution économique
conditionne l'évolution sociale, les rapports de forces entre les classes
et donc le cadre même de la lutte des classes.
Mais le marxisme est surtout une conception militante car ce déterminisme
économique n'est ni mécanique, ni aveugle, prédéterminé
sans que les hommes ne puissent agir dessus. Tout au contraire, rien n'est écrit
à l'avance, les hommes écrivent leur propre histoire, par leur
intervention politique, au sens large et riche du terme, c'est-à-dire
en agissant pour participer à la gestion des affaires publiques, à
la démocratie.
A travers notre intervention politique, il s'agit donc d'abord d'aider la classe
des salariés à faire consciemment son histoire, ce qui implique
d'avoir une claire conscience de la nature des évolutions économiques
et de leurs implications sur les rapports entre les classes. Notre analyse repose
sur la compréhension du déterminisme conçu non comme une
fatalité mais comme ce qui détermine le cadre, le champ d'action
des hommes pour faire leur propre histoire. Ne pas avoir conscience de ce déterminisme
économique, revient à se bercer de l'illusion d'un libre-arbitre
dans l'action politique, conception idéaliste qui prive de la possibilité
d'intervenir consciemment dans le combat de classe.
Au-delà de la dénonciation des ravages de la mondialisation, en
faire la critique du point de vue des possibilités révolutionnaires
qu'elle ouvre
C'est l'évolution même des contradictions qui se sont développées
avec la mondialisation et, en conséquence, celle des rapports entre les
classes, sur le plan tant politique qu'économique, qui met la perspective
d'une renaissance du mouvement ouvrier à l'ordre du jour.
Dans toute la période précédente, depuis les années
1920 et la vague révolutionnaire qui a donné naissance à
l'URSS, ou durant les luttes des années 1930, puis de l'après
guerre et de la vague des révolutions anticoloniales, la bourgeoisie
a mené une lutte féroce mais elle a dû faire des concessions
au monde du travail et aux peuples, sous forme de législations sociales
ou en mettant fin à la domination coloniale directe. Face à la
chute de ses taux de profit qui s'est accentuée dans les années
1970, ces concessions sont devenues, pour la bourgeoisie, autant d'entraves
dans la course effrénée à la rentabilité du capital.
Aussi, depuis le début des années 80, la bourgeoisie s'est lancée
dans une vaste offensive contre le monde du travail et les peuples pour revenir
sur toutes ces concessions et brutalement diminuer leur part dans la répartition
des richesses. A travers cette offensive, toutes les barrières douanières,
tous les règlements financiers ont été levés pour
permettre la libre circulation des capitaux. Et en même temps, tout ce
qui pouvait limiter le droit des capitalistes à faire du profit, secteurs
publics, législation du travail, couvertures sociales, a été
remis en cause
La mondialisation correspond donc à une fuite en avant, c'est la réponse
de la bourgeoisie sur le terrain de la lutte des classes aux contradictions
de son propre système économique. Elle s'inscrit dans la continuité
de toute l'évolution du capitalisme et donc de la lutte des classes entre
la bourgeoisie et la classe ouvrière.
L'idéologie libérale vient justifier cette offensive, plus qu'elle
n'en est pas la cause. Derrière cette idéologie réactionnaire
à laquelle se sont convertis tous les partis gouvernementaux de droite
comme de gauche, il y a les intérêts économiques d'une classe,
il y a la théorisation de la politique économique de la bourgeoisie
pour faire payer la crise de son système aux salariés et aux peuples,
un système dont la nature même est la concurrence.
L'effondrement de l'URSS et des régimes d'Europe de l'Est à partir
de 1989, a été une étape décisive de cette offensive,
et en même temps sa consécration puisque cela semblait annoncer
définitivement " le triomphe de l'économie de marché
". Avec la mondialisation s'est généralisé au monde
entier un capitalisme de libre concurrence caractérisé par la
domination du capital financier et l'exacerbation de la concurrence entre les
firmes multinationales et entre les nations.
Mais les discours sur les vertus du marché ont fait long feu, la mondialisation
a rapidement montré son vrai visage. Car la conséquence de cette
offensive est une généralisation et une accentuation à
l'échelle du monde des contradictions fondamentales du capitalisme, entre
une production socialisée et même mondialisée et une appropriation
privée, caractérisée par le parasitisme des actionnaires
rentiers.
Ainsi l'essor des nouvelles technologies, soi-disant base d'une nouvelle économie
devant assurer une croissance sans fin, n'a abouti qu'à une fièvre
spéculative qui a fini en krach. Le libre marché mondial devant
apporter paix et prospérité est devenu le cadre d'une concurrence
effrénée entre les firmes multinationales et entre les nations
entraînant une montée des tensions internationales qui a abouti
à un état de guerre permanent.
La lutte pour la domination du monde sous l'égide des Etats-Unis a provoqué
un essor sans précédent du militarisme et une nouvelle offensive
impérialiste, entraînant une réorganisation du monde autour
de nouvelles zones d'influences, en fonction de rapports de forces économiques
en transformation. La mondialisation combine donc la libre concurrence des capitaux
et des nations et la violence impérialiste pour la domination du monde
et le pillage des peuples.
En même temps que la mondialisation a redessiné les rapports de
forces internationaux, elle a contribué à étendre et développer
comme jamais à l'échelle mondiale le rapport d'exploitation salariée,
entraînant un vaste processus de prolétarisation dans les pays
pauvres. Ce qui là aussi est, de fait, en train de modifier le rapport
de forces objectif entre les classes.
Dans la discussion sur la nouvelle période ouverte par la mondialisation,
il est primordial de comprendre les déterminismes économiques,
les contradictions internes du capitalisme, qui ont conduit la bourgeoisie à
mener cette offensive généralisée contre la classe ouvrière
et les peuples. Comprendre aussi que cette réponse de la bourgeoisie
sur le terrain de la lutte des classes, loin de résoudre ces contradictions,
les a généralisées, contribuant à transformer les
rapports de forces entre les classes à l'échelle du monde. La
bourgeoisie mène son offensive mais à travers cela, jamais la
classe des salariées ne s'est autant développée à
l'échelle de la planète. Et ce développement même
crée les bases matérielles pour un renouveau du mouvement social,
car il est déjà le cadre de luttes à travers lesquelles
se forge une nouvelle conscience de classe.
La seule dénonciation, l'indignation, aussi légitime soit-elle,
face aux méfaits de la mondialisation ne peuvent suffire pour définir
un programme d'action. C'est pour cela que nous faisons la critique de la mondialisation
libérale et impérialiste du point de vue de ses conséquences
sur l'évolution des rapports entre les classes, c'est-à-dire du
point de vue des possibilités révolutionnaires qu'elle ouvre.
Prendre
la mesure des possibilités ouvertes par la nouvelle période
Changer le monde, comme la perspective d'une société communiste
ne sont pas des utopies à laquelle on se réfère, mais bien
des tâches inscrites dans les contradictions même du système.
L'analyse de ces contradictions fonde l'actualité du programme révolutionnaire,
lui donne sa légitimité notamment face aux nouveaux courants réformistes
qui, d'une façon ou d'une autre, essaient d'entretenir l'idée
qu'un capitalisme régulé serait possible.
Le problème qui nous est posé est de savoir si la fin de l'URSS
et des pays de l'Est, et le triomphe à l'échelle du globe de l'économie
de marché, font du capitalisme un horizon indépassable ou si,
au contraire, les transformations sociales et politiques de ces deux dernières
décennies ont contribué aux mûrissements des conditions
objectives pour une transformation révolutionnaire de la société.
De fait, le développement même du capitalisme mondialisé
révèle à quel point l'économie de marché
est incapable de permettre un développement harmonieux de la société
humaine. Avec la mondialisation, la production de richesses matérielles
comme les échanges ont augmenté d'une façon considérable
mais dans le cadre d'un marché aveugle s'opposant fondamentalement à
toute forme de régulation économique. Le résultat est une
condamnation sans appel : un tel système ne peut qu'entraîner l'accumulation
des richesses créées dans les mains d'une minorité de plus
en plus réduite au détriment du reste de la société,
comme de la planète tout entière. Car non seulement les inégalités
sociales se creusent toujours plus rapidement, mais c'est aujourd'hui l'équilibre
écologique même de la planète qui est menacé. La
logique à court terme de la course effrénée aux profits
est destructrice et s'oppose à toute volonté d'établir
consciemment des rapports harmonieux entre l'Homme et son environnement.
L'illusion en la possibilité d'un capitalisme régulé par
l'intervention d'un Etat est dissipée chaque jour à l'échelle
du monde par la rapacité de la bourgeoisie qui ravage la planète,
transformant tout en marchandise, en source de nouveaux profits, de nouvelles
spéculations. La démonstration qu'il est impossible d'amender
le capitalisme se fait aujourd'hui, dans les faits, à grande échelle,
aux yeux de millions d'opprimés qui en subissent les conséquences.
Cela contribue à transformer en profondeur les consciences.
Non seulement le capitalisme fait aujourd'hui à l'échelle du monde
la démonstration qu'il est un système inamendable sapant par là-même
les bases matérielles du réformisme mais, pour reprendre l'expression
du Manifeste de Karl Marx, il " engendre ses propres fossoyeurs ".
La mondialisation a renforcé à l'échelle du monde la classe
des salariés, lui donnant par là même de nouvelles forces.
D'autant que cette nouvelle classe ouvrière est de fait unifiée
par le développement capitaliste lui-même. En les faisant travailler
dans les mêmes multinationales et leurs réseaux d'entreprises sous-traitantes,
en les mettant en concurrence sur un même marché mondial unifié,
la mondialisation oblige les salariés à se penser comme une partie
d'un prolétariat mondial confronté à une classe bourgeoise
elle-même internationale. La moindre lutte locale contre des licenciements,
pour les salaires, pour faire reconnaître des droits syndicaux se retrouve
automatiquement confrontée à la politique des multinationales,
oblige à être pensée à ce niveau. Ainsi, la mondialisation
crée les conditions matérielles pour qu'à travers les luttes
de résistance qui se développent, émerge une réelle
conscience de classe internationaliste. Les forces matérielles, sociales
agissent dans le sens d'une transformation de la société, ce qui
fait de la classe des salariés, de la classe ouvrière le principal
acteur des transformations révolutionnaires à venir.
Notre activité politique participe de cette prise de conscience par les
salariés de leur propre condition, de leur propre rôle à
partir de leur expérience concrète, à travers leurs luttes
quotidiennes pour le progrès social et démocratique.
Le communisme n'est pas, en effet, une doctrine énonçant la perspective
d'une société idéale mais bien l'expression du contenu
même de l'évolution historique. Il est l'expression consciente
de la contradiction fondamentale entre la socialisation de la production et
l'appropriation privée capitaliste et il naîtra de la solution
de cette contradiction à travers la lutte des classes. La perspective
d'une transformation révolutionnaire s'enracine dans les luttes quotidiennes
et, au coeur de ces luttes, se forme l'instrument de l'émancipation des
travailleurs par eux-mêmes, indépendant des institutions et des
partis se situant sur ce terrain. Seule une claire compréhension des
déterminismes économiques à travers lesquels la société
évolue, à travers lesquels les consciences se transforment, à
travers lesquels les luttes sociales et politiques se développent permet
de formuler des perspectives générales pour l'ensemble du mouvement
ouvrier, une politique indépendante pour la transformation révolutionnaire
de la société.
Charles
Meno