Contribution au débat sur un projet de nouveau manifeste anticapitaliste et révolutionnaire
Article paru dans le n° 106 de Débatmilitant
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L'Europe, arène de la lutte de classe

 

Depuis le traité de Rome en 1957, les progrès dans le sens de l'unification de l'Europe capitaliste n'ont pas été négligeables, depuis la mise en place d'un marché commun et d'institutions communes, jusqu'à l'établissement d'une monnaie unique, malgré les antagonisme nationaux et malgré les tentations jamais absentes de repli sur le pré-carré national.
Sous le fouet de la concurrence -en premier lieu celle des Etats-Unis- l'Europe de la libre concurrence s'est imposée à l'échelle de 6 puis de 25 pays, en même temps qu'elle s'est construite comme une forteresse, à la fois contre ses concurrents et contre les pauvres du monde entier.
Cette Europe pourtant est en crise. Il y a bien sûr une crise de légitimité que le référendum en France a rendu plus évidente encore. Mais la crise de l'Europe au niveau de ses institutions, qui touche à la fois à son fonctionnement comme à son projet, n'est pas seulement la crise d'un modèle qui serait celui du libéralisme. Cette crise exprime de manière concentrée les contradictions du capitalisme d'aujourd'hui. Cette question est au centre des débats politiques et, en conséquence, des discussions sur le projet de manifeste de la LCR.

Les éléments d'une crise
La victoire du Non au référendum, dont une partie importante des voix était clairement de gauche et opposée au repli nationaliste, a mis en échec la prétention des gouvernants à légitimer de manière démocratique une construction vouée essentiellement à satisfaire les besoins capitalistes. La logique du débat a de fait amené à dévoiler -même de manière inachevée ou confuse sur le thème de " l'antilibéralisme "- quelques uns des ressorts de la dictature du capital qui ne supporte pas d'autres politiques aujourd'hui que celle de la démolition des acquis sociaux.
Cet acquis doit être un point d'appui pour continuer le débat et organiser les luttes afin de contester la légitimité de la classe capitaliste à diriger toute la société.
L'enjeu aujourd'hui est bien de dénoncer clairement les contradictions de l'Europe capitaliste. Les institutions ne sont guère réformables. Elles sont destinées à asseoir la puissance des principales bourgeoisies impérialistes au détriment des pays plus pauvres ou plus petits. Leur vocation n'est pas de faire entendre la voix des peuples mais de trouver des arrangements et des compromis entre les intérêts souvent opposés des grands trusts, à la fois partenaires et rivaux.
Contraints par l'exacerbation de la concurrence inter-impérialiste, les bourgeoisies européennes ont été amenées -malgré la faiblesse aujourd'hui encore de leur intégration- à pousser plus loin la construction européenne, avec l'unification d'un marché continental, l'extension de l'euro, la disparition des monopoles nationaux, et même la constitution d'un embryon d'appareil d'Etat (armée, justice, police…).
Mais la contradiction est toujours aussi flagrante entre le développement extraordinaire des sciences et des techniques, et plus généralement des forces productives depuis la guerre, qui appellent à ce que se constituent des entités économiques homogènes qui devraient dépasser depuis longtemps déjà le seul cadre de l'Europe, et la volonté de chaque bourgeoisie de maintenir son Etat national pour préserver les privilèges que celui-ci lui garantit. Voilà qui explique la marche chaotique de la construction européenne depuis 50 ans qui, même si elle s'est accélérée ces dernières années sous la pression de la mondialisation financière, est encore bien loin de pouvoir déboucher sur une unification.
Aujourd'hui, l'Europe continue à s'élargir. Mais plus que jamais le projet d'une simple mise en concurrence au niveau de la fiscalité et surtout pour l'usage de la force de travail révèle la faiblesse du projet européen. L'élargissement à l'Est est surtout un accélérateur de la décomposition des institutions européennes manifestement inadaptées. Tout en révélant de manière cruelle la capacité de l'impérialisme américain à se subordonner ces pays, malgré la construction européenne et en se jouant d'elle. Les rapports de force inter-impérialistes n'ont pas été fondamentalement modifiés de ce point de vue en faveur des bourgeoisies européennes.

Les réponses du prolétariat
L'Europe des subventions et du lobbying, l'Europe des marchands de canons et de l'espace Schengen, avec ses flics et ses barbelés, n'est évidemment pas celle des travailleurs et des peuples ! Mais quelle alternative apporter ?
La réponse est d'abord dans l'analyse que l'on fait de l'offensive ininterrompue que mène la classe capitaliste contre le monde du travail depuis 30 ans. Ce débat a besoin de clarté : le libéralisme n'est pas un " modèle " ou un " dogme ", ce n'est pas une option parmi plusieurs politiques possibles pour la classe capitaliste afin de réaliser ses profits.
Son Etat, la bourgeoisie ne s'en sert plus pour intervenir dans la vie économique à la manière dont elle le faisait dans la période d'expansion, elle s'en sert comme instrument de la guerre qu'elle mène pour démanteler la protection sociale et casser le code du travail dans chaque pays et au niveau de toute l'Europe, en s'appuyant sur les opportunités nouvelles qu'offrent de ce point de vue les institutions européennes. C'est une nécessité pour rétablir son taux de profit après des années de crise et dans les conditions particulières d'une nouvelle phase de la mondialisation où les exigences de la finance sont devenues exorbitantes.
Pour combattre cette Europe anti-sociale et anti-démocratique, les vieilles recettes d'un capitalisme tempéré par de bonnes lois sociales, grâce à de bons gouvernements de gauche favorisant l'emploi plutôt que la spéculation, sont illusoires. Seule une lutte acharnée mettant en cause le droit de contrôle de la classe capitaliste sur la marche de la société pourrait commencer à inverser le rapport de force : interdiction des licenciements sous peine de réquisition, contrôle des comptes, autodéfense du prolétariat.
Aucun bouleversement social d'ampleur ne se fera en France sans qu'il ait des répercussions à l'échelle de tout le continent (et inversement). Un gouvernement des travailleurs en France devrait nécessairement inscrire sa politique dans la lutte pour une Europe des travailleurs et des peuples, pour les Etats-Unis socialistes d'Europe.
Il appellerait tous les peuples d'Europe à élire une assemblée constituante pour décider démocratiquement de la forme politique de leur coopération. En même temps il encouragerait par tous les moyens la lutte des travailleurs pour renverser l'ordre capitaliste existant.
Il ne peut pas y avoir de débouché politique aux luttes sans une contestation radicale des institutions. Les institutions ne sont pas neutres. Elles sont arrimées à des Etats dont la colonne vertébrale est un appareil de répression entièrement sélectionné et formé pour défendre l'ordre bourgeois. La caste des hauts fonctionnaires n'est pas non plus destinée à appliquer tranquillement des mesures dont la vocation serait de s'en prendre aux intérêts capitalistes !
Un gouvernement aussi fidèle aux intérêts de la classe ouvrière que la droite peut l'être à ceux des capitalistes ne pourrait pas gouverner et s'imposer dans le cadre des Etats actuels. Un gouvernement des travailleurs exige non seulement le renversement des institutions bourgeoises mais la mise en place de formes de pouvoir directement issus des luttes du prolétariat pour son émancipation.
Définir cet objectif, c'est aussi répondre à la question du parti qui fait si cruellement défaut au monde du travail. Quels que soient les chemins de traverse empruntés pour regrouper largement autour d'un projet anticapitaliste, c'est toujours le même objectif qui doit nous guider : la construction d'un parti apte à lutter pour le renversement des institutions et donc de l'Etat bourgeois.
A l'échelle de l'Europe, des éléments existent d'ores et déjà dans un certain nombre de pays pour commencer à regrouper plus largement autour d'un projet anticapitaliste. Ce devrait être tout l'intérêt du Manifeste de la LCR de pouvoir s'appuyer sur cette perspective pour en clarifier les enjeux.

Jean-François CABRAL