Contribution au débat sur un projet de nouveau manifeste anticapitaliste et révolutionnaire
Article paru dans le n° 109 de Débatmilitant
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L'actualité de la démarche transitoire
Des exigences des luttes à la question du pouvoir

Le mouvement des jeunes contre le CPE a pu remporter une victoire morale et politique sur le gouvernement parce qu'il a su s'adresser aux salariés et trouver leur appui, parce qu'il a créé une crise sociale et politique. Affranchis du respect des institutions, les jeunes ne se sont pas arrêtés devant le Parlement et la loi qu'il avait votée, ils n'ont compté que sur le rapport de forces qu'ils ont su créer en contrôlant démocratiquement leur propre mouvement. Face à la gauche gouvernementale et aux directions syndicales qui discutent de la " flexisécurité ", sur le terrain voulu par le Medef, ils ont osé poser le problème de la lutte contre la précarité et le chômage, opposant de fait la logique des intérêts de la collectivité à celle des intérêts d'une minorité d'actionnaires, sans se soucier de la " faisabilité " du point de vue capitaliste.
Le mouvement des jeunes indique que tout mouvement un tant soi peu important est amené à poser aujourd'hui la question des véritables intérêts servis par le pouvoir et de la nécessité d'un pouvoir représentant réellement les couches populaires, émanant de celles-ci, il souligne l'actualité de la démarche transitoire.
La démarche transitoire et le plan d'urgence sociale et démocratique ne sont pas des " propositions " que pourrait appliquer d'en haut on ne sait quel gouvernement, fût-il animé des meilleures intentions, mais bien un programme pour les luttes qui, partant des exigences répondant aux besoins fondamentaux de la population, s'attaque à la propriété privée et pose le problème d'un pouvoir au service des intérêts de la collectivité, d'un gouvernement des travailleurs, des salariés, des chômeurs, des jeunes.

La question des rapports entre les classes au coeur de la démarche transitoire
C'est l'inconciliabilité des intérêts des salariés avec ceux de la classe possédante qui exige de s'attaquer à ce qui fait le fondement de son pouvoir, la propriété privée capitaliste.
C'est ce fait qui se révèle aujourd'hui à des fractions toujours plus larges du monde du travail, après plus de vingt ans d'offensive de la bourgeoisie pour défaire et mettre en pièces ce que les travailleurs avaient pu lui imposer comme concessions et limites à sa rapacité. La société capitaliste apparaît incapable de permettre le moindre progrès social, tout au contraire elle ne fait qu'engendrer la régression sociale, chômage, précarité, misère, désespoir et inquiétudes pour l'avenir.
La social-démocratie classique, écrivait Trotsky dans le Programme de transition, en 1938, qui développa son action à l'époque où le capitalisme était progressiste [à la fin du XIXème siècle], divisait son programme en deux parties indépendantes l'une de l'autre : le programme minimum, qui se limitait à des réformes dans le cadre de la société bourgeoise, et le programme maximum, qui promettait pour un avenir indéterminé le remplacement du capitalisme par le socialisme. Entre le programme minimum et le programme maximum, il n'y avait aucun pont. La social-démocratie n'a pas besoin de ce pont, car de socialisme, elle ne parle que les jours de fête.
L'Internationale communiste est entrée dans la voie de la social-démocratie à l'époque du capitalisme pourrissant, alors qu'il ne peut plus être question de réformes sociales systématiques ni de l'élévation du niveau de vie des masses; alors que la bourgeoisie reprend chaque fois de la main droite le double de ce qu'elle a donné de la main gauche (impôts, droits de douane, inflation, "déflation", vie chère, chômage, réglementation policière des grèves, etc.); alors que chaque revendication sérieuse du prolétariat et même chaque revendication progressive de la petite bourgeoisie conduisent inévitablement au-delà des limites de la propriété capitaliste et de l'État bourgeois. [...]
Ce qui distingue l'époque actuelle, ce n'est pas qu'elle affranchit le parti révolutionnaire du travail prosaïque de tous les jours, mais qu'elle permet de mener cette lutte en liaison indissoluble avec les tâches de la révolution.
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Aujourd'hui, le capitalisme mondialisé, le parasitisme de la finance, la mondialisation armée à l'échelle de la planète révèlent ce même caractère " pourrissant ". La propriété privée permet à une infime minorité d'accaparer de richesses toujours plus considérables, les besoins sociaux et démocratiques les plus élémentaires se heurtent aux exigences de la rentabilité, de la baisse du coût du travail, à la dictature des marchés
A l'heure de la mondialisation financière, la réalité décrite par Trotsky devient une constante, amenant des fractions de plus en plus larges du monde du travail à rompre avec la logique de l'adaptation aux " réalités du monde moderne " au nom desquelles les partis gouvernementaux de gauche ont eux-mêmes mis en oeuvre une politique de régression sociale et les directions syndicales se sont faites les complices de cette politique qu'elle soit menée par la gauche ou par la droite.
Dans les consciences, l'idée que l'on ne peut compter que sur les moyens de la lutte des classes pour imposer nos besoins fondamentaux face à l'aristocratie financière fait son chemin. La nécessité d'une lutte d'ensemble pose la question sociale comme le résultat d'un rapport de force global entre la bourgeoisie et le monde du travail. Elle prend un caractère politique et pose la question de quelle autre société construire.
Souligner ce lien entre la lutte de classe jusqu'au bout et la construction d'un " autre monde " est une de nos tâches.
Sont en jeu non seulement la nature des revendications qu'un mouvement d'ensemble des salariés, des chômeurs, des jeunes peut mettre en avant, mais également les moyens qu'il se donne pour s'élargir à toutes les couches du monde du travail, en susciter les initiatives, étendre sa maîtrise sur l'ensemble de la vie économique et sociale. C'est ainsi que le mouvement de la jeunesse, s'il est resté limité dans ses revendications, a franchi un pas important dans ce sens en montrant la force d'une organisation collective, parce que démocratique, de la lutte, en opposition avec la routine et les vieilles méthodes bureaucratiques des directions syndicales.

Le plan d'urgence, un plan pour les luttes vers un gouvernement des travailleurs
Les revendications du plan d'urgence ne sont pas plaquées de façon artificielle et incantatoire. Elles partent des besoins élémentaires de la population, " du travail et une existence digne pour tous ", selon les mots du Programme de transition. Ce sont en particulier l'interdiction des licenciements, la répartition du travail entre tous et l'augmentation générale des salaires.
Poser la revendication d'un SMIC à 1500 € nets, d'un rattrapage du pouvoir d'achat par une augmentation générale de 300 euros pour tous, et de la progression des salaires en même temps que les prix, implique de s'attaquer aux profits des trusts et aux dividendes des actionnaires, le contrôle des salariés et de la population sur les augmentations des prix. Une telle revendication est indispensable pour imposer une autre répartition des richesses entre le capital et les salariés.
La répartition du travail entre toutes les mains ouvrières implique que les salariés, les travailleurs ayant un emploi établissent une liaison étroite avec les chômeurs, pour en exiger et imposer l'embauche dans leurs entreprises. Elle pose, en conséquence, la question du contrôle de la marche des entreprises, que celles-ci soient encore publiques ou privées.
Toutes ces revendications ont en commun qu'elles nécessitent de s'en prendre à la propriété privée. Plus que les revendications elles-mêmes, le problème est surtout comment elles sont articulées avec la mobilisation des travailleurs, leur contrôle sur l'économie, l'expropriation des gros actionnaires qui ont la haute main sur elle, et la question du pouvoir, d'un gouvernement des travailleurs, issu des mobilisations, sous le contrôle des travailleurs organisés.
Le contrôle de la population sur l'économie n'est pas le résultat de " nouveaux droits " attribués d'en haut. Au contraire, c'est par ses initiatives, sa mobilisation, son organisation sous la forme de comités ou d'assemblées élus sur les lieux de travail, d'habitation que les travailleurs peuvent exercer un contrôle sur l'économie.
Cette lutte démocratique dans la sphère de l'économie est nécessaire parce que, comme le dit Rosa Luxembourg, " elle crée les formes politiques qui serviront au prolétariat de tremplin et de soutien dans sa lutte pour la transformation révolutionnaire de la société bourgeoise ".
Pour garantir ce contrôle il faut que les travailleurs se donnent leur propre gouvernement.
Quelle forme prendra une telle révolution, il est difficile aujourd'hui de le dire. Dans tous les cas, pour nous, ce ne peut être qu'un gouvernement issu des mobilisations et sous le contrôle de la population, des travailleurs.
Nous pouvons aujourd'hui imaginer comment cela pourra se faire en prolongeant la courbe des expériences faites dans le passé par le mouvement ouvrier.
Au XIXème siècle, la faiblesse de la classe ouvrière empêchait que la question du pouvoir soit posée autrement que sous la forme de coups de mains de minorités et d'insurrections de rues.
En 1871, la Commune de Paris instaura l'Etat-commune, organe de démocratie directe, à la fois exécutif et législatif. Elle instaura diverses formes d'auto-organisation comme l'armement des travailleurs (comités de la garde nationale, de vigilance...).
En 1917, à partir des besoins des masses (la paix, le pain, la terre), les soviets deviennent de véritables organes de pouvoir après le renversement du gouvernement mis en place par la révolution de février. Ce sont les instrument du contrôle démocratique des travailleurs sur leurs luttes qui deviennent les organes du pouvoir des travailleurs. Mais dans le contexte d'isolement de la révolution et de l'arriération de l'économie, les difficultés d'un contrôle durable sont énormes et ouvrent la voie à la bureaucratie.
Les luttes de grande ampleur et les bouleversements sociaux n'ont pas manqué depuis et ont posé, pour certains, comme en 1936 ou dans l'immédiat après-guerre, la question du pouvoir, mais dans un contexte où le mouvement ouvrier, après l'écrasement du mouvement révolutionnaire par le stalinisme, était sous l'emprise hégémonique du réformisme. La longue phase d'expansion et de croissance de l'économie a donné à celui-ci une crédibilité nouvelle dans la période qui a suivi la deuxième guerre mondiale jusqu'au début des années 1980, où tous les gouvernements ont commencé à s'attaquer systématiquement aux droits du monde du travail, révélant la faillite des idées réformistes.
Alors que s'est ouvert un nouveau cycle de luttes dont l'issue ne peut être positive que si elles remettent en cause la propriété capitaliste et le pouvoir de la bourgeoisie, la question du pouvoir des travailleurs et de leur capacité à diriger eux-mêmes l'économie et la société se pose dans des conditions autrement plus favorables à l'exercice démocratique de ce pouvoir.
Le développement économique du siècle écoulé a en effet transformé la société en profondeur. La socialisation de la production, c'est-à-dire la participation de millions de travailleurs aux mêmes processus de la production et de la distribution sur l'ensemble de la planète a connu un progrès considérable, dans le même temps où a presque disparu la petite production indépendante. La dernière révolution technologique, celle de l'informatique, a développé des moyens techniques jusque là inimaginables qui permettent la circulation et l'échange des informations ainsi que l'expression et la consultation rapides de l'opinion sur tous les problèmes qui pourront se poser.
Sont ainsi créées les possibilités d'un contrôle effectif de la population sur la production et la distribution des biens, d'une participation pleine et entière de tous aux décisions, à tous les niveaux, qui feront apparaître les révolutions du passé comme les premiers balbutiements d'une réelle démocratie révolutionnaire.

Galia Trépère