Contribution au débat sur un projet de nouveau manifeste anticapitaliste et révolutionnaire
Article paru dans le n° 110 de Débatmilitant
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Crise du parlementarisme et montée du populisme
Quelle réponse pour le mouvement ouvrier ?

L'offensive libérale orchestrée depuis vingt ans par tous les partis gouvernementaux de gauche et de droite, ensemble ou à tour de rôle, a conduit à une crise du parlementarisme et de la démocratie bourgeoise dont le 21 avril 2202 a été l'expression. La logique de rentabilité financière du capital a imposé une seule et même politique à l'ensemble des partis soumis aux intérêts des classes dominantes, comme l'illustre la conversion du PS au social libéralisme.
Incapables d'entretenir l'illusion qu'ils peuvent changer les choses, au moment même où la crise du capitalisme exige une nouvelle offensive contre les droits sociaux et démocratiques de la classe ouvrière, ces partis ont ouvert la voie au populisme, qui prétend se placer au-dessus de la mêlée et des clivages parlementaires.
Les dernières déclarations de Bayrou, toujours empressé d'en faire plus, en témoignent cependant : il propose de " faire sauter le mur de Berlin " entre la droite et la gauche pour faire face " aux échecs répétés dont les Français souffrent depuis 20 ans ". " Les hommes existent… leurs idées sont compatibles " décrivant ce qui devient une évidence.
Ségolène Royal se lance dans une surenchère démagogique et sécuritaire avec Sarkozy qui chasse sur les terres de l'extrême droite dont la présence au deuxième tour des présidentielles en 2002 a révélé à tous l'ampleur de la crise.
Comment répondre à cette offensive populiste qui tente d'imposer une aggravation des conditions de vie aux classes populaires ? Comment imposer l'urgence démocratique intimement liée à l'urgence sociale ? Comment construire l'unité du monde du travail et de ses luttes tout en s'opposant à ceux qui tentent de dévoyer son combat et sa révolte vers un front républicain qui les rend prisonniers de l'impasse institutionnelle ? Autant de questions qui placent la question de la crise des institutions et du parlementarisme, la crise de la démocratie bourgeoise au centre des discussions autour du projet de manifeste.

La question démocratique au cœur de la question sociale
La politique de la bourgeoisie tend à mettre toute la société en ordre de marche pour faire face à la concurrence internationale qui impose les restructurations industrielles et le démantèlement des services publics. Cela se traduit par des licenciements en masse et la remise en cause des droits sociaux du monde du travail comme de ses droits démocratiques.
Jeunes des banlieues ou lycéens, militants syndicalistes et du mouvement social, grévistes de la Poste et de la SNCM : la répression s'amplifie contre ceux qui entrent en résistance, comme en témoigne la récente condamnation à trois mois de prison ferme d'un jeune militant anti-CPE ou celle de deux militants CGT de la Rochelle à un million d'euros d'amende et de la prison avec sursis.
L'heure est à la stigmatisation, à la culpabilisation des pauvres et à la provocation. Chasse sordide aux sans papiers, chasse aux jeunes, aux chômeurs, appels répétés à la " tolérance zéro ", suppression ou " mise sous tutelle " des allocations familiales, les classes populaires et la jeunesse sont criminalisées… au nom de la défense de leurs intérêts. C'est en prétendant défendre les intérêts des classes populaires elles-mêmes que Villepin a instauré l'Etat d'urgence fin 2005, avec le soutien de la gauche " républicaine ", transformant certains quartiers en zones de non-droit.
Face à l'exacerbation des tensions entres les classes, la bourgeoisie a besoin d'un pouvoir fort. L'Etat est dépouillé de ses attributs " sociaux " qui lui avaient été imposés par les luttes ouvrières, pour laisser la place à l'Etat policier.
La bourgeoisie n'a de cesse de rompre les solidarités, les réflexes collectifs. C'est le culte de la réussite individuelle, du mérite, du " qui veut peut ", la glorification de l'" esprit d'entreprise " et de la loi du plus fort qui visent à légitimer l'oppression sociale et les inégalités. Hors de la compétition du capitalisme et de l'économie de marché point de salut !
Cette démagogie réactionnaire se nourrit de ce qu'ont semé les gouvernements précédents, en particulier la gauche qui s'est réconciliée depuis les années 80 avec le marché et l'entreprise en même temps qu'elle se convertissait au sécuritaire au nom du " réalisme ".
Cette offensive réactionnaire avec laquelle on ne peut rompre qu'en rompant radicalement avec le système mine la crédibilité de ceux qui prétendent qu'il est possible de changer la vie dans le cadre des institutions.

La crise de la démocratie parlementaire bourgeoise
C'est sur ce terrain que s'est développée l'extrême droite, flattant les rancoeurs et la peur de l'autre, le nationalisme, les préjugés racistes et sexistes, le repliement sur soi, tandis que les politiques libérales nourrissaient les replis communautaires et encourageaient les intégrismes religieux.
Tous les partis de gouvernement ont participé à l'offensive. Des années de cohabitation et d'alternance au service d'une politique entièrement soumise aux intérêts des classes privilégiées ont provoqué une crise profonde de la " démocratie " bourgeoise, dont la fonction est de faire tourner le personnel politique pour mieux duper les classes populaires et contenir les mécontentements. Le 21 avril 2002 a révélé à tous la crise et l'effondrement des partis de pouvoir. Alors que l'extrême gauche totalisait plus de 10 % des voix, Chirac, candidat le " mieux placé " en rassemblait 19 % devant Le Pen et Jospin. Sonnée, la gauche gouvernementale s'est précipitée comme un seul homme derrière Chirac, transformé en rempart contre l'extrême droite… avec d'autant plus d'empressement qu'elle voulait tenter de faire oublier tant les scores de l'extrême gauche que sa propre responsabilité dans la progression du FN.
La mauvaise comédie n'est pas qu'un simple épisode. Elle est l'expression dans le cadre du théâtre parlementaire des effets de la soumission du pouvoir politique, des institutions, à la concentration du pouvoir entre quelques mains, qui vide ce qui reste de la démocratie parlementaire de tout contenu réel. Le parlement n'est en rien la représentation des classes populaires, mais bien la justification démocratique de la dictature de la finance.

Le Front républicain fait le terrain du populisme
Le 5 mai 2002 a débouché sur le sacre de l'imposteur, érigé en sauveur de la République. Quiproquo dont la fonction était de lier les mains des classes populaires et de donner aux gouvernements fantoches qui ont suivi une pseudo-légitimité. C'est au nom du consensus et de " l'esprit de mai " que Raffarin a pu engager l'offensive, posant à l'homme au-dessus des clivages droite-gauche pour s'attaquer aux " réformes " et instaurer le nouveau " dialogue social "… pour lequel il a pu compter sur les confédérations syndicales converties à la politique du " diagnostic partagé ".
Mais les grèves et mobilisations de 2003 et 2004, celles des lycéens puis le désaveu du 29 mai ont sapé l'entreprise. Le populiste madré a laissé la place à Villepin, homme du Président travaillant une image d'aristocrate raffiné… qui a immédiatement rivalisé de démagogie sécuritaire et de provocation avec le cow-boy Sarkozy chassant sur les terres de Le Pen. Quelques mois plus tard, les deux rivaux décrétaient l'Etat d'urgence, déterrant une loi de la guerre d'Algérie pour mettre au pas et museler la jeunesse révoltée des banlieues au nom du " respect républicain ", lançant ainsi un avertissement à tous.
Le populisme prônant le dialogue social, mis en selle par le social libéralisme, a cédé la place au populisme de la droite extrême qui annonce la couleur : elle se prépare à l'affrontement et à la tensions des rapports sociaux dans le cadre de la mondialisation capitaliste.

De la droite extrême à l'extrême droite : un lien étroit
Le 21 avril 2002 a brutalement mis l'extrême droite sur le devant de la scène. Mais si la droite et la gauche " républicaine " n'ont pas ménagé leur indignation pour mieux dévoyer la révolte de la jeunesse et des couches populaires et tenter de la maintenir prisonnière dans un Front républicain, elles portent une lourde responsabilité dans son développement.
Si les partis d'extrême droite ne sont pas des partis comme les autres, l'histoire récente tant européenne que française montre que l'alliance entre les partis de droite et d'extrême droite n'a rien de contre nature. La présence ou le passage d'hommes d'extrême droite dans les gouvernements autrichien ou italien en atteste, de même qu'en France, l'élection en 1998 de cinq présidents de région grâce aux voix du FN en échange d'accords de cogestion. Quant à Mitterrand, c'est en toute conscience qu'il a utilisé le FN pour entraver la progression électorale de la droite en 1986, lui permettant d'avoir 35 députés à l'Assemblée grâce à une proportionnelle sur mesure mise en place pour ces seules élections.
Pour toute une partie du personnel politique de la bourgeoisie, les frontières entre droite extrême et extrême droite sont perméables… Les partis de droite foisonnent d'anciens cadres d'organisations d'extrême droite, sans compter tous les petits bureaucrates locaux passant d'une écurie à l'autre en fonction des opportunités et de leur plan de carrière. Et la crise au sein du FN, au-delà des rivalités personnelles particulièrement aiguisées, exprime des stratégies qui différent entre les tenants d'une intégration plus grande au jeu institutionnel et au pouvoir (à l'image du parcours de Bossi ou de Fini en Italie) et la garde rapprochée de Le Pen à qui les premiers reprochent d'avoir fait perdre au FN la quasi-totalité de ses élus.
Aujourd'hui, la bourgeoisie n'en est pas à faire appel à des solutions fascistes pour étouffer l'ensemble des libertés démocratiques et encadrer physiquement les classes populaires. Mais elle pourrait en faire le choix si la crise s'aggrave de façon profonde. Et dès à présent elle utilise la démagogie de l'extrême droite et son idéologie réactionnaire pour tenter de désarmer la classe ouvrière, la diviser.

Combat démocratique, front unique et lutte de classe
Face à l'offensive populiste et aux dérives des Sarkozy et autres, les classes populaires ont besoin de retrouver toute leur indépendance et leur unité pour attaquer le mal à la racine : la domination de toute la vie sociale par quelques multinationales.
Faire vivre la démocratie au quotidien nécessite les méthodes de la lutte de classe tant sur le terrain social que politique pour faire respecter l'intérêt collectif contre la logique capitaliste et la loi du profit, contester le droit des patrons et des pouvoirs en place de décider à la place des intéressés eux-mêmes.
Au quotidien, comme dans les combats plus généraux, il ne peut pas y avoir de démocratie sans que la classe ouvrière et la population elles-mêmes prennent les choses en main, rompent les rapports de domination pour conquérir le droit à la parole.
C'est cette profonde aspiration à la démocratie, à l'intervention politique directe et le rejet des inégalités, du tout sécuritaire et de la stigmatisation des pauvres qui ont pour une grande part animé le mouvement de la jeunesse contre le CPE. Le mouvement y a trouvé la force de contester les institutions parlementaires bourgeoises, de refuser de se soumettre à leur prétendu ordre. La question démocratique est intimement liée à la question sociale.
Tous les fronts " républicain " ou " populaire " n'ont servi qu'à obscurcir les véritables rapports de forces entre les classes, qu'à tenter de dévoyer les luttes et les aspirations des opprimés derrière des politiques soumises aux mêmes intérêts financiers.
Au front républicain, les travailleurs opposent leur propre front, celui des luttes, l'unité qui se construit à la base à travers l'organisation démocratique des classes populaires et qui pose la question du pouvoir et du contrôle, de qui décide, des multinationales de l'industrie et de la finance ou de la population ouvrière qui fait tourner la société et en produit toutes les richesses.
Elle pose la question d'un gouvernement démocratique, socialiste et révolutionnaire, expression des organes démocratiques des travailleurs et de la population, leur permettant de prendre la direction de l'économie et d'organiser l'ensemble de la société pour répondre aux besoins définis collectivement, mobilisant toutes les énergies, les dévouements, les compétences, les différences.
Seule l'intervention directe des opprimés et du monde du travail, par leurs luttes et leur organisation démocratique, peut apporter des réponses aux questions sociales et démocratiques.
Démocratie et lutte de classe révolutionnaire sont indissociables, ce principe est à mettre au cœur de notre manifeste.

Carole Lucas