Contribution au débat sur un projet de nouveau manifeste anticapitaliste et révolutionnaire
Article paru dans le n° 112 de Débatmilitant
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Un manifeste pour quel parti ?

La CN de la LCR, en discutant à la fois de la question des prochaines élections et du Manifeste, marque une étape importante. Elle vient de décider à une large majorité la candidature d'Olivier Besancenot sur des bases anticapitalistes, celles du plan d'urgence social et démocratique, des mobilisations pour imposer celui-ci et du contrôle de la population sur la marche de l'économie et de l'Etat.
La campagne s'insère dans notre travail de construction d'une nouvelle force anticapitaliste, d'un parti des luttes et des travailleurs. Dans cet objectif, le Manifeste doit s'axer sur la question du programme d'un tel parti, de la stratégie révolutionnaire, non pas de façon dogmatique mais à partir des évolutions du capitalisme lui-même et des luttes du monde du travail confronté à l'offensive de l'aristocratie financière.
Cette nouvelle situation pose toute une série de questions à bien des militants. Quelle évolution du capitalisme, des appareils, des partis réformistes et staliniens ? Quelles évolutions des consciences ? Quelles perspectives offrir aux ruptures qui s'opèrent ? Et l'ensemble de ces questions débouche nécessairement sur la question du pouvoir, qui dirige ? Et donc celle du parti instrument de la lutte pour le pouvoir.
C'est cette question que nous voudrions aborder et à laquelle, pensons-nous, le projet de Manifeste apporte une réponse qui manque de clarté.
Cette question est une préoccupation majeure qui pose le problème du contenu que nous donnons à la notion de parti anticapitaliste large.

Une nouvelle force en rupture avec les partis de la gauche gouvernementale
Au centre du débat du Manifeste se trouve donc posée la question de la délimitation politique de la nouvelle force que nous voulons construire. Celle-ci doit-elle se penser comme une alliance avec d'éventuels courants anti-libéraux où les révolutionnaires ne seraient qu'une tendance, ou au contraire, l'extrême-gauche n'est-elle pas en situation, aujourd'hui et dans ce pays, d'être l'aile marchante de cette force anticapitaliste en formulant une politique pour les luttes qui pose la question du pouvoir ?
Du coup, le Manifeste reste flou sur un certain nombre de questions, sans suffisamment mettre l'accent sur le lien entre la lutte de classe jusqu'au bout et la possibilité de construire un " autre monde " débarrassé de l'exploitation capitaliste.
Or nous avons besoin de clarifier les choses et de définir notre propre stratégie révolutionnaire, qui ne peut dépendre des éventuels accords tactiques à tel ou tel moment. Cette stratégie prend appui sur l'évolution même du capitalisme, qui crée aujourd'hui les conditions des ruptures qui s'opèrent parmi les militants du PC, les militants syndicaux, la jeunesse.
Pour aider à ces ruptures et pour œuvrer à une renaissance du mouvement ouvrier, il y a besoin de discuter les raisons de la faillite des partis réformistes et de sortir de toutes les caricatures du marxisme social-démocrates ou staliniennes.
Ainsi, les évolutions de la gauche gouvernementale ne sont pas dues à un " modèle libéral " ou à des choix idéologiques abstraits qui se seraient imposés au fil du temps, mais à l'évolution même du capitalisme et du rapport de force entre les classes.
La social-démocratie défendait aussi les intérêts de la bourgeoisie dans la période précédente quand elle défendait l'intervention de l'Etat. Cela correspondait à un certain rapport de force dû à la pression de la classe ouvrière, de l'URSS, des révolutions coloniales. Aujourd'hui, ce rapport de force a changé, le capitalisme sape les bases mêmes du réformisme et la social-démocratie se convertit au social-libéralisme. Sa politique se distingue de moins en moins de celle des partis de droite… Jusqu'au populisme et à la démagogie sécuritaire, traduisant le fait que le capitalisme ne laisse aucune marge de manœuvre dans son offensive contre le monde du travail.
Les anciens partis staliniens, confrontés à la chute de l'URSS, essaient pour survivre d'occuper la place laissée libre par la social-démocratie, sur le terrain de l'anti-libéralisme. Mais là encore, ce nouveau réformisme n'a aucun avenir dans cette période d'offensive de l'aristocratie financière, si ce n'est de passer des alliances parlementaires avec les sociaux-libéraux.
Cette situation nouvelle entraîne des changements dans les consciences de bien des militants ou de jeunes qui veulent se battre pour transformer les choses et qui n'acceptent pas la loi des marchés financiers. Le problème de la convergence des luttes pour imposer une autre répartition des richesses se pose largement, en rupture avec toutes les politiques d'accompagnement ou de gestion du capitalisme. Face au chômage de masse, il faut s'en prendre aux bénéfices des actionnaires, à leur mainmise sur la marche de la société et donc à la propriété privée elle-même, que défendent l'Etat et les institutions bourgeoises.
Dans ce contexte de ruptures avec les vieux appareils, de luttes et de résistances face à l'offensive capitaliste, une gauche révolutionnaire et démocratique s'est développée à partir des organisations trotskystes, essentiellement la LCR et LO qui ont défendu le plan d'urgence social et démocratique. C'est ce qu'ont révélé les scores d'Arlette Laguiller en 95 puis d'Arlette et d'Olivier aux élections présidentielles de 2002.
C'est cette situation politique et sociale qui crée les conditions de la construction d'une nouvelle force, qui devrait regrouper les organisations d'extrême-gauche, de la gauche radicale et toutes celles et ceux qui se situent dans le camp des travailleurs et qui recherchent une solution hors du capitalisme et de ses institutions.

La question du parti au cœur du plan d'urgence social et démocratique
Face à l'offensive de la bourgeoisie qui multiplie les plans de licenciements et à celle du gouvernement qui s'attaque aux moindres droits des travailleurs ou des chômeurs, le plan d'urgence et sa démarche transitoire n'ont plus un caractère seulement propagandiste. Le plan d'urgence fait le lien entre la question des revendications immédiates face aux attaques du capitalisme et celle de qui contrôle, qui dirige et détient le pouvoir. Le parti dont les exploités ont besoin fait de même le lien entre les luttes quotidiennes et la lutte pour le pouvoir des travailleurs.
Mais aller au bout de la démarche implique de poser la question de l'organisation des salariés pour imposer de telles mesures et donc celle de la construction d'un parti large des travailleurs et des luttes qui ne pourra se construire qu'à partir des mobilisations du monde du travail et de la jeunesse.
Les mesures de notre plan d'urgence ne sont pas des propositions électorales ou même un programme syndicaliste radical. Elles partent de cette situation où le capital mène une lutte acharnée pour son taux de profit et où toute revendication sérieuse et d'ampleur s'affronte directement à ses intérêts protégés par l'Etat.
Cela signifie formuler un programme pour les luttes, dégagé du " dialogue social " où sont plongées les directions syndicales et dégagé de ceux qui voudraient enfermer les travailleurs dans une nouvelle mouture d'union de la gauche en 2007.
Ce programme signifie formuler une politique indépendante pour le monde du travail, quel que soit le gouvernement. C'est justement la leçon des dernières décennies qui ont montré que si le mouvement ouvrier, ses organisations et leurs directions n'ont pas une compréhension claire du capitalisme et de la politique des classes dominantes, ils ne sont pas en mesure de se battre, ni même de résister.
Une telle politique indépendante défendant les intérêts du monde du travail, ne peut naître spontanément. La construction d'un parti est une partie intégrante de la réalisation des mesures du plan d'urgence. C'est en s'organisant politiquement que les travailleurs peuvent, à partir des luttes elle-même, populariser la mesure de l'interdiction des licenciements et du contrôle sur la marche des entreprises, tel que l'avaient fait les salariés de Lu-Danone en 2001. La convergence des luttes sur cette politique, en transformant le rapport de force, permettrait de créer les conditions de ce contrôle sur la marche des entreprises, et aussi d'appliquer cette même méthode à tous les niveaux de la société : contrôle sur l'Etat, ses institutions, sur les mairies par rapport à la dégradation de la situation des quartiers populaires, etc.
De telles mesures qui supposent des incursions dans la propriété privée, impliquent de rompre avec tous les préjugés réformistes selon lesquels il n'y a rien de possible hors de la direction de la bourgeoisie. Face à cela, les opprimés ont besoin de s'organiser en parti pour formuler leurs intérêts politiques, mais un parti différent, extraparlementaire, qui relie en permanence les luttes et la question politique. A l'opposé, tous les partis réformistes dissocient en permanence ces deux questions : d'un côté les syndicats, voire les " partenaires sociaux ", qui négocient à l'échelle de telle ou telle entreprise et de l'autre le gouvernement qui vote les lois dans le cadre des institutions : ce qui conduit à soumettre la classe ouvrière à l'Etat bourgeois lui-même.

Un parti des luttes aujourd'hui et de la lutte pour le pouvoir des travailleurs demain
Construire un parti pose évidemment la question du pouvoir politique. Alors bien sûr, nous ne sommes pas en mesure aujourd'hui, au regard du développement actuel de la lutte de classe, de définir précisément bien des points d'une stratégie de transformation révolutionnaire de la société. Mais nous devons en tracer les perspectives et les lignes générales à partir de l'évolution du capitalisme lui-même, en faisant le pont entre la question des luttes et celle du pouvoir.
Le parti que nous voulons, parti de l'émancipation des opprimés par eux-mêmes, pose cette question du pouvoir en la reliant à la question des luttes et du contrôle des salariés et de la population sur la marche de la société et de l'Etat. Nous ne pourrions participer qu'à un gouvernement démocratique des travailleurs issu d'une mobilisation d'une nature telle que ces derniers commencent à exercer un contrôle effectif sur l'économie, notamment les activités bancaires et le crédit, ainsi que sur l'Etat. Encore une fois, les mesures du plan d'urgence ne peuvent être prises dans le cadre d'un gouvernement respectant les institutions telles qu'elles sont qui garantissent les intérêts de la propriété privée.
Un tel gouvernement s'appuierait sur toutes les initiatives démocratiques des salariés, sur les assemblées populaires, d'entreprises, de quartier, etc. pour imposer les mesures démocratiques et autoritaires vis-à-vis de la bourgeoisie : l'ouverture des comptes, la prise en main de la production en fonction des besoins sociaux, l'organisation de la population dans les quartiers pour imposer les mesures indispensables en terme de services publics, de crèches, d'écoles, etc.
En ce sens, ce gouvernement ne saurait être que transitoire, préparant la prise du pouvoir des travailleurs eux-mêmes à partir de leur expérience concrète et quotidienne du pouvoir.
Même si aujourd'hui l'état des mobilisations n'en est pas là, mener le débat pour articuler le programme du parti et du plan d'urgence dans une perspective de transformation révolutionnaire de la société, à partir des conditions concrètes de la nouvelle période, est une des tâches du Manifeste.
Ce n'est pas une perspective abstraite, au contraire, puisqu'elle se traduit pratiquement aujourd'hui par la nécessité de construire un parti des luttes et des travailleurs, anticapitaliste, qui soit de toutes les batailles sociales et politiques, y compris les élections, dans l'objectif de préparer un mouvement d'ensemble.

Denis Seillat